Pétrole, développement, recherche : le réveil de la "Françarctique" ?

Par Mika Mered*  |   |  1315  mots
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Les masques tombent et les fantasmes s'effacent: l'Arctique fond inexorablement, sans que nous n'ayons plus la main. L'heure n'est plus au débat sur le fait de savor si c'est une mauvaise nouvelle pour la planète, tout le monde s'accordant à dire que la déglaciation de l'Arctique est une catastrophe aux conséquences écologiques, économiques, politiques et géostratégiques considérables pour les siècles à venir. Mais ce n'est pas pour autant la fin du monde...

 

Dans ce bouleversement majeur en préparation, nous sommes souvent confrontés au discours environnementaliste d?ONGs bénéficiant de publics crédules à grands renforts de matraquage médiatique pour obtenir des financements. Capitalisant sur le pouvoir de l?ours blanc dans l?imaginaire collectif occidental elles tendent à souvent désinformer le grand public dans un déni coupable de la réalité : le développement de l?Arctique est invariablement inévitable.

 

Une dynamique inéluctable
Historiquement basés sur l?horizontalité géostratégique de nos planisphères, les équilibres mondiaux connus étaient valables dans un monde où Russie et Canada étaient encore séparés par un Arctique infranchissable par la mer ; dans un monde où Dubaï, Suez et Singapour ne se sentaient pas menacés par de lointains nouveaux marchés ; dans un monde où l?OPEC pensait son cartel inébranlable ; dans un monde où Chine et Japon ne se considéraient pas comme des Etats du « Proche-Arctique » comme on parle du Proche-Orient. Pourtant, chaque jour, les spécialistes du secteur -dans un microcosme de plus en plus bruyant- sont confrontés à des événements qui témoignent de cette dynamique supportée par toutes les puissances industrielles de la planète.

Dernier témoignage : le tournant inclusif des nations arctiques au dernier sommet interministériel du Conseil Arctique, le 15 mai dernier dans la ville minière de Kiruna (Laponie Suédoise). En acceptant de donner le statut d?observateur permanent à Chine, Japon, Corée du Sud, Singapour, Inde, et Italie, les nations arctiques ont entériné définitivement la dynamique qui place l?Arctique au c?ur de l?hémisphère nord ; donc au c?ur de la géopolitique mondiale à terme.

L?exemple des hydrocarbures
Depuis l?appel à un moratoire sur les activités de Shell en Alaska lancé mi-février par Carol Browner, ancienne conseillère de Barack Obama au climat, et John Podesta, ancien directeur de son cabinet de transition ?aujourd?hui lobbyistes sur K Street? nombre de journalistes pourtant bien intentionnés sont malheureusement tombés dans le piège d?une « pause » dans le développement Arctique au rythme des actions coup de poings de Greenpeace.

La vérité est que l?Arctique monolithique tel qu?il est quasi-exclusivement dépeint dans les medias n?existe naturellement pas. Il existe des Arctiques, dans lesquels la confiance populaire dans le développement local passe par l?investissement dans l?innovation à travers la R&D technique et la prospective géoéconomique et politique.

C?est ainsi qu?à l?inverse de la politique des lobbys à l?américaine, le gouvernement fédéral canadien ouvrait dans le même temps de nouvelles concessions pétrolières aux enchères dans l?archipel à l?extrême nord du Nunavut (Baffin, Cameron), en osant appeler publiquement la recherche privée à l?aide pour déterminer les nouvelles concessions à ouvrir en fonction de leur profitabilité et attractivité estimée.

L'enjeu politique du pétrole
Plus près de chez nous, toujours au printemps dernier, le Directorat Norvégien du Pétrole (NPD) annonçait avec fierté l?augmentation de 15% des réserves offshore du pays grâce à une estimation corrigée des ressources offshore en Mer de Barents. L?ancien gouvernement islandais annonçait lui son intention d?exploiter le pétrole offshore localisé aux confins nord-est de sa zone économique exclusive, allant jusqu?à faire du sujet un enjeu clé des élections générales du 27 avril qui virent la victoire ex-aequo des deux partis pro-offshore de centre-droit.

De même, à trois heures de vol de Reykjavík, l?intensification de l?exploitation pétrolière, gazière et minière était au c?ur de la campagne électorale au Groënland où l?on a voté le 12 mars, à une large majorité, en faveur d?un développement énergétique et minier vertueux à travers la candidature de la nouvelle Premier ministre sociale-démocrate Aleqa Hammond.

Enfin, nous avons assisté durant tout le printemps à l?interminable tournée eurasiatique du président exécutif du numéro un énergétique russe Rosneft, Igor Sechin, également ancien Vice-Premier ministre de Dmitri Medvedev. Chinois, Coréens, Japonais, Malais, indiens...l?ancien Vice-Premier ministre russe, après ses coups de maître avec le géant américain ExxonMobil et avec BP, trouva de nombreux interlocuteurs tant publics que privés pour financer un plan d?investissement pharaonique de 250 milliards d?euros sur 10 ans sur l?ensemble de la façade arctique.

La prospective pour revitaliser la « Françarctique »
En France aussi nous sommes à un tournant : face à la multiplication des effets du bouleversement arctique, la grande famille polaire française se politise et regarde à nouveau vers l?avenir. Sous l?impulsion d?une nouvelle generation de chercheurs embrassant l?outil prospectif à long-terme, il y a bon espoir que la décennie à venir s?apparente pour la France à un retour aux grandes heures du développement scientifique et diplomatique en Arctique et Antarctique des années 50-60.

Bien en retard sur nombre de nos concurrents, ses initiatives se multiplient aujourd?hui. L?Institut Polaire Paul-Emile Victor (IPEV) va officiellement ouvrir aux Italiens en 2015 la base de recherche fondamentale AWIPEV qu?elle co-administre avec son homologue allemand (AWI) dans l?archipel du Svalbård. Par ailleurs, le Comité National Français de la Recherche Arctique & Antarctique (CNFRA) et le think tank Le Cercle Polaire gagnent en puissance. Ce mois de juin, trois jeunes chercheuses ont lancé la branche française de l?Association des Jeunes Scientifiques Polaires (APECS) et la French Polar Week. Le réseau universitaire se mobilise lui aussi à travers des institutions pionnières comme l?Université de Saint-Quentin en Yvelines (UVSQ) ou l?Université de Bretagne Occidentale.

Mais l?initiative la plus importante est sans nul doute le Chantier Arctique Français (CAF) ?dont la dénomination anglaise est plus équivoque : French Arctic Initiative. Premier programme national de recherche pleinement transdisciplinaire sur les enjeux arctiques, le CAF est le premier à rassembler la communauté nationale autour d?un travail de prospective humaine en osant enfin accorder une vraie place au futurisme géopolitique et géoéconomique tant d?un point de vue temporel que spatial.

Les médias doivent donner à l'Arctique sa vraie place
Point d?orgue d?une dynamique discrète mais constante engagée en 2010, le CAF proposait du 3 au 6 juin derniers un colloque fondateur où ont été arrêtées les grandes orientations de la recherche Arctique française pour la décennie à venir. Aujourd?hui, il ne tient plus qu?aux medias français de donner à l?Arctique la vraie place politique, économique, technologique et sécuritaire qu?il mérite au lieu de toujours le réduire à quelques brèves dans les pages environnement.

Toutes ces initiatives sont autant d?outils que la France développe bon an mal an, malgré le manque de moyens financiers, pour renouer avec cette politique fortement ambitieuse qui a toujours caractérisé notre relation aux pôles depuis les premières expéditions royales. Si les politiques manquent encore d?embrasser pleinement cette réalité, la nouvelle génération polaire française, elle, se mobilise pour voir l?avenir.

La génération DIY (Do it yourself) l?a bien compris : au fond, nous sommes bien plus riverains de l?Arctique que nous l?imaginons ! Et c?est bien parce que nos relations aux pôles seront une des clés du 21ème siècle que revitaliser la "Françarctique" pionnière de Yves Joseph de Kerguelen ou Paul-Emile Victor doit être une de nos priorités impératives en ce début de siècle.

 

*Mikå Mered est CEO chez Polariis A.S., une société de conseil en risques politiques internationaux et stratégies d'investissement dans les régions polaires (cercle Arctique & Antarctique).