L’état préoccupant de la régulation financière, cinq ans après Lehman Brothers

Le monde est-il armé pour une nouvelle crise financière ? Pour Yann Coatanlem, président du club Praxis, et Raphaël Douady, chercheur au CNRS et directeur académique du Laboratoire d’Excellence sur le Régulation Financière, la faillite de Lehman Brothers n'a servi à rien... ou presque.
Le monde est encore loin de la transparence financière. | REUTERS

Cinq ans après la faillite de Lehman Brothers, l'économie mondiale est-elle mieux armée pour faire face à une nouvelle crise financière systémique ? Lorsqu'on a vécu, comme nous, cette crise dans l'œil du cyclone depuis New York, la question est loin d'être académique ! 

Des efforts de régulation

Bien-sûr des efforts sans précédent ont été accomplis par les gouvernements et les régulateurs. Les accords de Bâle III, imposant une hausse significative des ratios prudentiels à travers une forte augmentation des fonds propres des banques, sont essentiellement en place, au moins pour les plus grandes banques.

La législation américaine Dodd-Frank, et son équivalent européen EMIR, imposent déjà aux banques une très forte diminution des transactions sur produits dérivés de "gré à gré", au profit de produits mieux standardisés, traités au sein de chambres de compensation exigeant des appels de marge sensés couvrir de manière adéquate le risque de contrepartie. Des contraintes importantes de liquidité ont été imposées aux banques, de même que des dispositions destinées à rendre les faillites plus ordonnées. Et les "stress-tests" réguliers, du moins aux Etats-Unis, font partie du décor de la régulation.

Des résistances subsistent

Le premier bémol à apporter est que toutes ces réformes sont conduites de façon insuffisamment coordonnées au niveau du G20, avec le potentiel de créer un environnement concurrentiel biaisé. Au cœur de cette problématique, on trouve les questions de régulation "cross-border" : est-ce que les USA peuvent exiger la capitalisation renforcée des filiales américaines de banques étrangères, imposer des règles sur des transactions effectuées en Europe ou vice-versa ?

Dans la zone euro, l'union bancaire fait encore l'objet de fortes résistances, et rien n'est décidé sur la recapitalisation des institutions financières et la liquidation des banques en faillite.

Pas d'outil mondial de régulation

Tout aussi important, quel est l'outil mondial de gestion de la liquidité ? Il n'existe pas. Cela est apparu très clairement en 2011, lorsque la fermeture du robinet de liquidité en dollars pour les banques non américaines a conduit à une massive contraction des activités de crédit.

Un des aspects les plus critiquables des nouvelles règlementations réside dans le calcul pro-cyclique des ratios prudentiels : dans une crise grave des pertes entrainent un besoin d'augmentation des fonds propres conduisant à des ventes catastrophiques contribuant au renforcement de la crise dans une spirale infernale. Le capital prudentiel doit pouvoir être utilisé dans une crise plutôt que maintenu.

On ne souligne pas assez que le risque souverain, pourtant au cœur de la crise de la zone euro, est insuffisamment pris en compte par les nouvelles régulations. Alors que les plans Vickers au Royaume-Uni et Liikanen dans la zone euro prétendent séparer les activités commerciales et les activités de marché, rien n'empêche les banques de saturer leurs portefeuilles d'obligations d'Etat. Et elles le font…

La faillite des entreprises "sans risque" : un vrai danger

Les conséquences macro-économiques de la régulation sont rarement abordées. L'enjeu est-il de punir la finance ou de la remettre au service de l'économie réelle ? Pour ne donner qu'un exemple, en pénalisant par des ratios prudentiels élevés les investissements « à risque », et en étant beaucoup moins contraignant sur les investissements « non risqués », c'est-à-dire bien notés, on oriente les capitaux vers des secteurs de l'économie matures, donc moins rentables que les entreprises jeunes et porteuses de croissance.

Ce faisant, on crée un effet de levier sur les entreprises notées AA aux effets potentiellement délétères. Comme l'exemple de Lehman Brothers l'a prouvé, la faillite d'une seule entreprise AA a des effets bien plus dévastateurs que celle de mille entreprises "risquées". Le risque réel est souvent bien différent de celui calculé par ou pour les régulateurs.

Demandons la transparence des institutions financières

Nous considérons d'autre part qu'une transparence totale des transactions financière est illusoire et dangereuse. Comme le dit un proverbe chinois : "si tu veux cacher quelque chose, cache-le dans l'œil du soleil". Mais à l'heure du Big Data, il est tout à fait raisonnable de demander une transparence des risques encourus par les institutions financières.

Si vous êtes amenés à devoir prendre une décision difficile sur un traitement chirurgical risqué, préférez-vous un chirurgien qui vous décrit par le menu chacun des gestes qu'il va exécuter sans vous parler des conséquences, ou celui qui, en rentrant moins dans les détails, vous fait, statistiques à l'appui, un exposé détaillé des conséquences possibles de l'intervention ?

Encore beaucoup à faire

Il est regrettable que le calme actuel des marchés, forcément relatif et provisoire, modère la volonté politique d'achever des changements difficiles. Force est de constater que les promesses du G20 de Pittsburg en 2009 n'auront pas été tenues. Il existe encore trop de régulateurs et pas assez d'instances de résolution internationales. Comme l'écrivait Hank Paulson en 2010 dans son livre On the Brink,  "our regulatory system remains a hopelessly outmoded patchwork quilt built for another day and age" . Et que dire de l'absence de convergence des normes comptables ?

La nature ayant horreur du vide, les activités financières se réfugieront dans des régions ou des institutions pas ou peu touchées par la régulation, c'est-à-dire le "shadow banking" et on assistera à une balkanisation du système bancaire mondial. Il faut aussi noter que l'Asie est largement absente du mécanisme de régulation internationale.

On l'aura compris : beaucoup reste à faire pour instaurer un système de prévention systémique plus intelligent et réactif, sans pour autant faire peser de trop lourdes contraintes sur les banques et par là même, asphyxier les entreprises.

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Commentaire 1
à écrit le 08/10/2013 à 2:40
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La conclusion est juste à point. La débat sur le PLUS de régulation ou de MOINS de régulation est dépassé. Collectivement, c'est une régulation plus judicieuse qui doit être visée et seuls les États peuvent accomplir cette tâche. Pour ceux qui dou...

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