« Retrouver la quiétude d’une ville pacifiée » Philippe Starck

Par Propos recueillis par Florence Raillard  |   |  860  mots
Inventeur, designer, architecte,... Philippe Starck. /DR
Inventeur, designer, architecte, Philippe Starck a développé des milliers de projets dans un seul but : rendre la vie meilleure au plus grand nombre. Passionné par les mutations contemporaines, il savoure déjà le Grand Paris de demain.

Ségrégation

La fin de la banlieue est-elle souhaitable?? Évidemment. L'idée de ville et de banlieue est devenue une ségrégation.

Toute ségrégation est philosophiquement impensable, humainement inacceptable, elle est le plus mauvais inves-tissement que l'on puisse faire. Seule la synergie a de la valeur, l'exploitation de la diversité, qui est la richesse de la vie, qui est elle-même la richesse de la communauté.

Habitat

Je suis passionné par les zones industrielles, les parcs d'activités, les parcs artisanaux qui fleurissent autour des grandes villes. J'y ressens une excitation au vu de toutes ces aventures, ces savoir-faire, ces productions, qui sont le cœur même de la civilisation humaine, de son économie avec un grand "E" et du commerce dans le meilleur sens du terme. Je ne comprends pas ce qui a provoqué la dichotomie entre un centre-ville réservé au sommeil et à la consommation et ses périphéries quelquefois destinées à la créativité et à la production. Il me paraît fondamental de réinjecter le sang vital de l'artisanat et de l'industrie au cœur d'une ville qui s'est agrandie et qui peut en offrir les possibilités.

J'aimerais voir une rue commerçante mélangée à une rue artisanale, des nouvelles formes d'habitat qui commenceraient par un magasin puis un atelier, et qui finiraient dans le logement de la personne qui aurait un savoir-faire à développer.

J'aimerais voir des habitations au- dessus d'ateliers, de grandes surfaces, voir de jeunes apprentis mélanger leur vie et leurs ambitions au vieux savoir du voisin.

J'aimerais voir en plus du métissage ethnique, un métissage social, industriel, artisanal et commercial.

Demain

L'axe d'une civilisation n'est pas changé par la dimension d'une ville. Paris pourra rivaliser avec d'autres, comme  Shanghai, quand la civilisation occidentale se sera réinventée et sera capable de conceptualiser les valeurs de demain et de reprendre sa position de phare, qui, aujourd'hui, s'est un peu affaiblie.

Mythe

Paris a toujours fonctionné en seul représentant de la France, et aujourd'hui tout exportateur préfère marquer "made in Paris" que "made in France". Peut-être qu'un Grand Paris peut diluer l'image de ce Paris mythique, qui reste un de nos der-niers et grands actifs. En revanche, le fait que des milliers d'entrepreneurs et de producteurs, qui auparavant étaient repoussés de la capitale vers la banlieue, puissent revendiquer leur appartenance à Paris paraît un énorme avantage en termes de renom et de possibilité de valorisation à l'exportation.

Vie

L'utopie compréhensible de la ville parfaite a montré ses limites, si ce n'est sa faillite. La ville n'est pas une théorie, la ville est une pratique, elle n'est pas un musée, la ville est à la fois nursery et terrain de jeux. Il est indispensable que la ville, en se modernisant et en s'éloignant de l'automobile, ne s'assèche pas et ne devienne pas une image de synthèse, car la vie pousse dans les failles comme un lichen.

Moins de monuments, plus de respect pour les humains de toute dimension et pour les métiers de toutes ambitions.

Faire revenir ce que certains appellent les "petites gens" et les petits métiers dans des failles respectueuses de leur être et de leur savoir-faire paraît un ciment indispensable, de même que quelques solutions à des problèmes sociaux et économiques. Progrès, oui, mais toujours dans l'humidité humaine. 

Détails

Tout est dans les mesures. Il y a l'année-lumière, le millier, la centaine, la dizaine de kilomètres, le mètre et le centimètre. J'adorerais devenir un directeur artistique du Grand Paris dans le territoire compris entre le mètre et le centimètre, travailler sur les détails qui sont le sel de la vie.

Que de beaux lieux gâchés par la mauvaise lumière d'un réverbère, de jolies rues caricatu-rées par un mauvais bac à fleurs. Il y a beaucoup de gens qui s'occupent avec qualité des méga-échelles?; cela fait oublier, hélas, la nano-échelle. Notre cerveau demande les deux.

Quiétude

Ce Grand Paris va permettre de retrouver le bien-être de l'entente avec l'autre, de ne plus jouer tous les matins "Le Rivage des Syrtes", et le soir "La Nuit des morts vivants" ; de retrouver la quiétude d'une ville pacifiée.

Mystères

J'aime tous les lieux de la petite couronne. J'ai une passion pour les endroits "modianesques", ces urbanismes quelquefois ambitieux et souvent assez ratés, pleins d'une poésie en attente.

J'ai aussi une passion pour les fameuses "zones blanches" qui sont au-tant de mystères en devenir et de ter-ritoires pour les utopies et pour les visions des générations futures.

Emblème

La tour Eiffel?comme emblème ? Je suis toujours soupçonneux sur un emblème ancien unique et monolithique. Je préférerais un signe exprimant le futur et la multiplicité.

Une matière créée par le visage assemblé par ces millions d'habitants ou par un visage unique issu du morphing de ces mêmes millions d'habitants. Un dans tous, tous dans un.