Le Grand Paris aura besoin aussi de "boulevards civilisés"

Par Jean-Pierre Reymond  |   |  1189  mots
Les boulevards périphériques ressembleront-ils un jour à l'avenue de la Grande Armée ? Pourquoi pas...
Oui, il est possible de remplacer les autoroutes urbaines par des boulevards civilisés : New York, San Francisco, Séoul l'ont fait. Pourquoi pas le Grand Paris ? Rencontre avec Paul Lecroart, auteur d'un rapport pour l'IAU, qui décrypte ces trois exemples qui pourraient inspirer la métropole parisienne.

New York, West Side highway. Achevée en 1931, la première autoroute surélevée des États-Unis reliait sur 8 km le nord de Manhattan à Brooklyn, absorbant jusqu'à 140.000 voitures par jour. En 1973, des pilotis s'écroulent, entraînant sa fermeture.

À la stupéfaction générale, le trafic à l'entrée de New York baisse brutalement : un phénomène que les spécialistes appellent l'évaporation. Partout dans le monde, cette règle a été validée : s'il y a une nouvelle infrastructure, l'effet d'aubaine entraîne une augmentation du trafic. À l'inverse, plus on restreint le trafic, plus il disparaît.

Au début, les autorités envisagent pourtant de créer un tunnel autoroutier au bord de l'Hudson. Mais elles oublient une espèce protégée de bar dans l'étude d'impact, entraînant l'annulation de la procédure. La ville décide alors de requalifier l'avenue qui passait sous le viaduc. Puis, pour se réapproprier les rives de l'Hudson, le maire décide de créer sur les emprises libérées l'Hudson River Park, le plus grand jardin réalisé à Manhattan depuis Central Park.

Aujourd'hui, 90.000 véhicules empruntent l'axe routier et les 220 hectares du parc sont devenus l'un des emblèmes de New York, attirant des millions de visiteurs. TriBeCa, ancien quartier sinistré par le viaduc, est devenu tendance grâce, entre autres, à Robert De Niro qui y a créé le Festival du film de TriBeCa et ouvert le Greenwich Hotel.

Réussite à San Francisco,... échec à Boston

En 1989, la pénétrante qui filait le long de la baie de San Francisco s'effondre après un tremblement de terre. Les autorités veulent reconstruire le viaduc, mais les riverains s'y opposent. Ils mandatent des architectes qui visitent les grands boulevards et les Champs Élysées, proposant alors la suppression du viaduc et la création d'un tramway au milieu d'une avenue bordée de palmiers.

Après deux référendums et une dizaine d'années de travaux, l'ancien maire affirme : « On a supprimé une cicatrice urbaine et permis le développement d'une des parties les plus importantes de la ville.»

Aujourd'hui, le trafic a baissé de moitié, à environ 45.000 voitures par jour ; l'ensemble du quartier a retrouvé une vie commerçante et s'est valorisé tout en accueillant des logements sociaux bâtis sur les terrains publics de l'ancien viaduc.

Ce projet, d'un coût global d'environ 700 millions de dollars, est à comparer avec ce qui s'est passé à Boston. Confrontée à des bouchons chroniques provoqués par les 200.000 véhicules empruntant son viaduc autoroutier, la ville décide de le remplacer par un tunnel pour se réapproprier les rives du fleuve tout en fluidifiant le trafic. Après trente ans de travaux, Boston a dépensé plus de 22 milliards de dollars pour créer ce tunnel, et l'appel d'air créé par l'offre nouvelle a généré une croissance du trafic d'environ 25%, et de nouveaux bouchons.

Comment Séoul a détruit ses autoponts

Après la guerre de Corée, le pays se développe à marches forcées. On éventre des quartiers entiers pour faire passer des voies rapides. Lee Myung-Bak travaille alors chez Hyundai Construction qui érige un viaduc sur pilotis de 4 voies au-dessus d'un boulevard à 10 voies lui-même édifié sur une rivière. Vingt ans après, des intellectuels rêvent de faire renaître cette rivière, coeur historique de la cité. La presse s'empare du débat et Lee Myung-Bak, candidat conservateur à la mairie, en fait son fer de lance. Pari gagnant ! Élu, il achève la destruction du viaduc en trois ans.

« Ils ont actionné tous les leviers, souligne Paul Lecroart, de l'Institut d'aménagement et d'urbanisme (IAU) d'Île-de-France : régulation et limitation du stationnement, péage urbain progressif en fonction du nombre de passagers, refonte des voies de bus. De 170.000 voitures par jour, le trafic passe à 30.000. La rivière redevient le lieu clé du centre-ville et l'activité commerciale repart. De plus, le débitumage des voies, entraînant une moindre réverbération, fait baisser les températures de 5 degrés en été. »

Fort de ce succès, Lee Myung-Bak devient président de la République (2008-2013) et le pays s'engage dans un programme de destruction des autoponts et de restauration des rivières.

« Avec 340 km de voies rapides au sein de la Francilienne, l'agglomération parisienne est l'une des plus routières d'Europe, souligne Paul Lecroart. Londres, Berlin ou Rome n'ont pas de pénétrantes équivalentes.»

Pour cet urbaniste, « les 230 km d'anciennes nationales, aménagées comme des voies rapides, pourraient devenir les espaces publics majeurs de la métropole !».

A Paris, une question d'audace politique

Mais ces projets demandent de l'audace et une véritable vision politique.

Comme le souligne son rapport, « la transformation de voies rapides en avenues résulte de processus longs, complexes, incertains, dans lesquels la participation des citoyens, l'expertise technique contradictoire et le leadership politique jouent un rôle clé.»

Conflictuels au départ, ces projets sont généralement plébiscités après. De fait, très décrié au début, l'aménagement des voies sur berges à Paris n'a pas entraîné de recrudescence de bouchons et a suscité un vif intérêt à l'étranger. Alors, pourquoi ne pas continuer d'autant que la maintenance de vieilles structures comme les autoponts et tunnels coûtent cher. Pour Paul Lecroart, les élus doivent s'emparer de dossiers comme la RD311 entre Argenteuil et Bezons, l'A186 au niveau de Montreuil, l'A4 depuis l'échangeur de Créteil et même le périphérique :

« À ce jour, affirme-t-il, personne n'a osé regarder ce dossier de près.»

Pourtant, dans tous les cas étudiés par l'IAU, la déconstruction d'autoroutes et de leurs échangeurs libère des dizaines d'hectares de foncier qui peuvent être reconvertis en quartiers denses, créant à chaque fois de la valeur. Appliquée au périphérique, cette transformation permettrait de créer de nouvelles centralités aux portes de Paris, de recoudre des quartiers séparés et de les redynamiser.

Comme à Montréal, on peut imaginer un système hybride avec des feux ici, un tunnel là, tout en considérant que si la couverture peut apparaître comme une solution intéressante, elle est inimaginable à grande échelle : selon l'IAU, les montants investis pour la transformation d'une autoroute varient de 35 à 50 millions d'euros du kilomètre là où la mise en souterrain varie de 700 millions d'euros par kilomètre à Seattle jusqu'à 2 milliards d'euros à Boston. Des coûts qui font réfléchir pour le projet d'enfouissement de l'avenue Charles-de-Gaulle, à Neuilly-sur-Seine...

Par ailleurs, il est intéressant de constater que « les boulevards des maréchaux transportent environ 195.000 personnes par jour en tramway et en automobile, sans compter les piétons et cyclistes, presque l'équivalent du périphérique, mais sur une emprise bien plus étroite».

« Après tout, s'amuse Paul Lecroart, qui aurait imaginé il y a quinze ans qu'on ne fumerait plus dans les bars ? Il y a des ruptures sociétales. L'arrivée du Grand Paris Express pourrait être l'occasion d'étudier ces projets...»