Electricité : touche pas à mon tarif !

Par François Lévêque  |   |  973  mots
Le gouvernement en a décidé ainsi, les tarifs d'EDF n'augmenteront pas le premier août. Pourtant, les coûts de l'électricien progressent, eux. Comment limiter cet opportunisme politique? Par François Lévêque, professeur à Mines ParisTech.

La décision de Ségolène Royal de geler l'augmentation des tarifs de l'électricité prévue au mois d'août a été saluée par les associations de consommateurs. Elle n'a pas fait en revanche les affaires des actionnaires privés puisqu'en séance l'action d'EDF a chuté de près de 10%. Elle n'a pas non plus arrangé l'affaire des fournisseurs concurrents de l'entreprise publique car plus les tarifs bleu sont bas, moins leurs offres sont attractives faute d'être beaucoup moins chères. Au-delà de ces effets immédiats, l'intervention de la Ministre décrédibilise définitivement les engagements politiques de long terme en matière de tarifs de l'énergie.

 Les coûts d'EDF augmentent plus vite que l'inflation

En 2013, le gouvernement avait pris la décision d'augmenter au premier août les tarifs électriques de 5%. Du jamais vu ! Jusque là les gouvernements français quelles que soient les circonstances s'arc-boutaient au nom du pouvoir d'achat des ménages sur une augmentation qui ne dépasse pas l'inflation. Or les coûts d'EDF et les taxes et charges augmentent chaque année beaucoup plus vite. Un récent rapport de la Cour des comptes a montré que les coûts d'EDF pour la production du kWh nucléaire ont augmenté de plus de 15% entre 2010 et 2013 en euros constant.

  Pour les seuls impôts et taxes qui entrent dans la production nucléaire la hausse est de 6% par an en moyenne depuis 2008. Quant aux charges dues aux subventions aux énergies renouvelables elles sont passée de 1,7 euro /MWh en 2010 à 8,5 euros/MWh en 2013. Ces tendances ont justement conduit la Commission de régulation de l'énergie à demander il y a un an une augmentation de près de 8% des tarifs bleus. Le gouvernement Ayrault a alors décidé l'augmentation citée plus haut de 5% en s'engageant, puisque le rattrapage des coûts ainsi assuré n'était que partiel, à augmenter de nouveau de 5% le tarif au 1er août 2014. Patatras, changement de gouvernement, revirement tarifaire !

 Des solutions pour limiter l'opportunisme gouvernemental, mais à effet limité

Le problème n'est évidemment pas lié aux personnalités politiques, ni à l'opportunisme dont font preuve les élus en cas d'échéances électorales proches, de nouveaux jeu d'alliances, ou d'évolution de l'opinion. Si vous offrez un outil d'intervention sur les prix à un gouvernement, il s'en servira ! Le problème tient à l'inefficacité des solutions mises en œuvre jusque là pour réduire son opportunisme. Examinons les en détail. En premier lieu, le pouvoir tarifaire discrétionnaire est limité juridiquement. Le code de l'énergie et un décret de 2009 imposent que les tarifs administrés de vente doivent couvrir les coûts moyens complets de l'électricité et répercuter leurs variations. Si le pouvoir en place manque à cette obligation, le Conseil d'Etat peut-être saisi et enjoindre alors le pouvoir exécutif de revoir sa copie. C'est ce qui s'est produit par exemple en avril dernier.

Le Conseil d'Etat a annulé une décision gouvernementale datant de 2 ans pour fixation à un niveau insuffisant des tarifs bleus. Visiblement la menace de perdre devant le Conseil d'Etat ne décourage que modérément les ardeurs tarifaires des gouvernements. Le cas est patent pour les tarifs du gaz pour lesquels on ne compte plus les annulations passées des décisions tarifaires de l'exécutif tellement elles sont nombreuses. Une chorégraphie curieuse s'est mise en place : le gouvernement ne respecte pas le principe législatif de couverture des coûts par les prix, la CRE le constate, le Conseil d'État sanctionne, et le gouvernement s'exécute en imputant la faute au Conseil d'État. 

 Une formule de calcul automatique... mais qui peut être changée

En second lieu, le gouvernement peut se lier les mains en élaborant une formule qui s'appliquerait chaque année. La variation du tarif dépend alors des modifications annuelles de la valeur des paramètres inclus dans l'équation. Pour les tarifs du gaz, par exemple, la formule tient compte du prix observé sur le marché de gros du gaz naturel. Une telle parade contre l'opportunisme ne vaut cependant que si le pouvoir exécutif ne change pas de formule au gré des circonstances. Malheureusement, le précédent gazier montre que les gouvernements français successifs ne reculent pas devant une telle audace. Ainsi en septembre 2011 l'application de la formule aurait dû aboutir à une hausse de 10% du tarif administré du gaz, le gouvernement en décide la moitié et met un changement de formule en chantier.

 A partir de 2016, le gouvernement devra suivre l'avis de la CRE

En troisième lieu, l'opportunisme des gouvernements peut-être réduit par des mécanismes institutionnels. Le plus simple consiste à confier la fixation des tarifs à un régulateur indépendant. Malheureusement, la France a fait jusqu'à maintenant le choix de cantonner le rôle de la Commission de régulation de l'énergie à émettre un avis. Les tarifs doivent être arrêtés par les ministres en charge de l'énergie et de l'économie. A partir de 2016, la loi obligera le gouvernement à suivre les propositions tarifaires de la CRE. A moins bien sûr que cette avancée décisive pour réduire l'opportunisme politique en matière de tarifs de vente ne soit d'ici là stoppée par une autre loi.

 L'Etat doit prendre prochainement des engagements forts et de long terme pour assurer la transition énergétique de la France. Ces engagements vont contribuer à augmenter le prix de l'énergie pour les ménages. Pour qu'ils soient crédibles, il faut d'abord mettre fin aux décisions gouvernementales opportunistes qui empêchent les tarifs de suivre l'évolution des coûts.   

 François Lévêque, professeur à Mines ParisTech. Auteur de « Nucléaire On/Off » aux Editions Dunod.