L'évolution des inégalités en France

Alors que le livre de Thomas Piketty, "Le capital au XXIème siècle", fait l’actualité grâce à l’écho qu’il rencontre aux Etats-Unis, la question de l’évolution des inégalités est au cœur des débats.
Le dernier livre de Thomas Piketty, le Capital au XXIe siècle, vient d'être publié aux Etats-Unis, où il remporte un franc succès. / DR
Le dernier livre de Thomas Piketty, le "Capital au XXIe siècle", vient d'être publié aux Etats-Unis, où il remporte un franc succès. / DR (Crédits : Reuters)

La mesure des inégalités fait intervenir différents concepts statistiques, et constitue en elle-même un sujet. Le livre de Thomas Piketty est d'ailleurs salué de manière assez consensuelle pour ce qui concerne la richesse du travail de recherche sur les données permettant d'étudier les inégalités (l'ensemble des graphiques et des tables de son ouvrage étant accessibles à tous en ligne).

Cette question est suffisamment complexe pour que le Conseil national de l'information statistique (Cnis) ait consacré des travaux aux indicateurs les mieux à même d'évaluer les inégalités (pour leur seule partie statistiquement mesurable).

Les rapports interdéciles

Une mesure fréquente des inégalités consiste à rapprocher des niveaux de revenus différents. A ce titre, le rapport interdéciles « D9/D1 » est un indicateur de référence. Il s'agit de comparer le revenu disponible des ménages, par exemple, en utilisant le premier décile (D1, 10 % ont moins) et le neuvième (D9, 90% ont moins).

Afin de mesurer des niveaux et évolutions sur l'ensemble de la distribution des revenus, on peut ajouter au précédent les rapports D5/D1 et D9/D5 (D5 étant en l'occurrence le revenu médian). Et même s'intéresser aux revenus à l'intérieur du dernier décile, en rapportant le centile ou percentile 95 (P95, 95% ont moins) au centile 90 (P90, égal au neuvième décile).

Le graphique ci-dessous présente ces niveaux et leur évolution en France sur 15 ans (c'est ici le niveau de vie qui est pris en compte, c'est-à-dire le revenu disponible - net des transferts et impôts - par « unité de consommation » - un individu comptant pour une unité s'il est le premier adulte du ménage, 0,5 pour les autres, 0,3 pour les moins de 14 ans).

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Si le rapport D9/D1 remonte légèrement ces dernières années, on n'observe rien de spectaculaire avec ces ratios. D9/D1 est à peu près à son niveau de début période, 1996. Et pour les autres ratios, y compris P95/P90, ils ne sont pas en 2011 à leur maximum de ces dernières années, statistique disponible la plus récente ici.

La part des revenus par catégorie

Il n'y aurait donc aucune évolution significative des inégalités en France ? On ne peut en fait ce contenter des ratios précédents, qui présentent une faiblesse évidente. Ils traduisent des seuils d'entrée dans une tranche de la population, mais pas la part du revenu total que celle-ci obtient.

Il est donc indispensable de mesurer cette « densité » de revenus par tranche de population. Toujours sur la base des déciles, le graphique ci-dessous découpe la population en trois tranches : les 30% qui gagnent le moins, les deux tranches successives de 30% de la population en termes de revenus, et enfin celle des 10% ayant les revenus les plus élevés.

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Le constat est ici beaucoup plus net : la part des revenus des 10% les plus aisés n'a cessé de progresser, gagnant 3,6 points en 15 ans. Tandis que celle de chacune des trois autres catégories a diminué - un recul légèrement plus marqué en valeur absolue pour la tranche « D3-D6 ».

Le 0,1%

Si les niveaux relatifs n'ont donc pas beaucoup changé entre les déciles de revenus mais que les poids relatifs des tranches ont évolué en faveur du haut de la distribution, cela conduit à penser que c'est tout en haut de celle-ci qu'on doit enregistrer une déformation très importante.

C'est l'un des objets les plus commentés du livre de Thomas Piketty : s'intéresser dans le détail aux hauts et même aux très hauts revenus. En l'espèce, ce ne sont plus les 10% mais les 1% voire les 0,1% les plus aisés qui retiennent l'attention.

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Si ce graphique est assez spectaculaire s'agissant de la progression des revenus de ces 0,1% depuis les années 80, il convient d'observer que les niveaux absolus restent relativement limités (et qu'ils ont pu être beaucoup plus élevés dans la première partie du XXe siècle également étudiée par Thomas Piketty).

Comparaisons internationales

Pour s'en rendre compte, il faut rapprocher la situation française de celle d'autres pays. A ce titre, la comparaison avec les Etats-Unis est très impressionnante, et rend presque anecdotique l'évolution en France. La situation américaine pouvant être en revanche l'une des raisons de l'écho médiatique important de l'ouvrage de l'économiste français outre-Atlantique…

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Toutefois, pour intéressantes mais aussi polémiques que soient ces mises en évidence de la situation des très hauts revenus, elles ont également une limite : se focaliser sur un échantillon très faible de quelques milliers ou dizaines de milliers de personnes selon les pays.

Par exemple, la part des revenus gagnés par les 0,1% est sensiblement plus élevée en Allemagne qu'en France, à 4% en 2010 selon les mêmes chiffres de Thomas Piketty (contre 2,6% en France). Un écart important qui ne correspond pas nécessairement à l'approche plus globale des inégalités dans les deux pays, ni à leur ressenti.

Deux indicateurs ont en fait aujourd'hui une place de choix parmi les mesures d'ensemble des inégalités, sans bien sûr pouvoir les résumer.

Tout d'abord, l'indice ou le coefficient de Gini, qui appréhende la dispersion de la distribution des revenus. Il est nul dans une situation d'égalité parfaite et égal à 1 si un seul individu possède toutes les richesses. On peut observer, dans la comparaison ci-dessous, que la France se situe en Europe dans une position intermédiaire, avec un coefficient de Gini (présenté sur une échelle de 0 à 100) proche de la moyenne de l'Union européenne qui est de 30,6. Sans surprise, les pays du nord de l'Europe apparaissent globalement moins inégalitaires que ceux du sud.

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Une même valeur de l'indice de Gini peut toutefois correspondre à des situations très différentes, l'indice pouvant par exemple ne pas distinguer des inégalités en bas ou en haut de l'échelle des revenus. Et il reste peu parlant en valeur absolue. Un autre indicateur très utile est le ratio des masses de revenus des 20 % les plus riches et des 20% les plus pauvres. A l'aune de ce critère, la France (ratio de 4,5) est sensiblement plus égalitaire que la moyenne européenne (5,1).

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Mais une fois les inégalités et leurs évolutions mesurées, ce qui suppose l'intervention de bien d'autres concepts et disciplines, il reste l'essentiel : quelles leçons en tirer ? Comment le creusement ou au contraire le resserrement des inégalités affectent-ils les performances économiques et les conditions de vie, notamment des plus pauvres ? Inégalités croissantes et gains de pouvoir d'achat généralisés sont-ils incompatibles ? Toute la difficulté de l'étude des inégalités et de leurs conséquences est bien les passions qu'elle peut déchaîner…

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Commentaires 2
à écrit le 07/05/2014 à 11:21
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Avec ces raisonnements , on veut tuer le cochon gras et le cochon reproducteur dans la même monomanie, et on se retrouvera sans rien.La finance folle, ce ne sont pas seulement les banques folles, c'est aussi les économistes de gauche qui ne font aucu...

le 26/08/2014 à 13:12
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Biens sûr, vous êtes probablement plus malin qu'une ribambelle de prix Nobel pour juger ce travail...

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