Le paradoxe du dirigeant : moins stressé que stressant

Stressé moi ? Jamais ! Tel pourrait être le credo des dirigeants d'entreprise. Et pourtant...
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Interrogés par Amarok pour le Centre des jeunes dirigeants et Malakoff Médéric, 81 % des dirigeants de PME déclarent « ne jamais avoir ressenti de déprime ni de sentiment d'isolement » et jugent « leur état de santé physique bon ou très bon ». Seul un tiers se dit « s'être senti stressé au cours des dernières semaines » et avoue quelques difficultés à concilier leur travail avec leurs autres engagements personnels et familiaux. Le pourcentage des dirigeants qui jugent « bon ou très bon leur état psychologique » oscille entre 88 % et 93 % selon le genre ou la taille de l'entreprise. Les dirigeants semblent ainsi bénéficier d'un contexte psychologique et social beaucoup plus favorable que leurs cadres pour lesquels ces pourcentages sont en revanche divisés par deux.

Faut-il se réjouir de tels résultats ou s'en inquiéter ? Si l'on considère que ce sont les principaux pourvoyeurs d'emplois (les PME représentent 82 % des emplois créées en France et 56 % du PIB), il y a de quoi être rassuré par le bon état de santé apparent du dirigeant à porter au crédit capital immatériel d'une TPE ou d'une PME. Mais si on questionne l'idéologie du leadership qui interdit trop souvent aux dirigeants de s'épancher sur leurs problèmes de santé ou leur stress, on y voit des responsables d'entreprise anesthésiés par leur supposée solidité. Or s'ils ne se préoccupent pas de leur propre stress, comment peuvent-ils se soucier du stress de leurs cadres et de leurs salariés en général ? D'autant qu'avec de telles déclarations ils adressent un message subliminal à leurs collaborateurs dans le style : « Quand on est dirigeant, on sait faire face au stress, donc si vous voulez devenir dirigeant un jour, il ne faut pas que vous ayez l'air stressés ».

Tabou, le stress des dirigeants ? « Les dirigeants sont souvent pointés du doigt pour leur manque d'implication sur le sujet. Or pour comprendre et agir sur le stress de l'autre, il est préférable d'être au clair avec le sien. Ils semblent être pris dans une injonction paradoxale qui leur dit en substance « intéressez-vous au stress des autres, mais le vôtre n'est pas un sujet », relève Bruno Lefebvre, dirigeant d'AlterAlliance et psychologue clinicien. À cela plusieurs raisons. Le discours habituel fait du dirigeant un homme ou une femme évidemment heureux de son travail, au statut social valorisant et plus stressant que stressé. Le contexte actuel des affaires, lui-même facteur de stress, pousse également en réaction nombre de dirigeants à toujours plus d'actions et de décisions, laissant peu de place à la réflexion. Lus entre les lignes, certains résultats de l'enquête jettent d'ailleurs un voile suspicieux sur un équilibre physique et psychologique à toute épreuve. Près de 10 % des dirigeants interrogés ne prennent aucune semaine de vacances, 28,5 % des dirigeants déclarent consommer plus de six verres d'alcool par jour ou davantage au moins une fois par semaine. Enfin, ils sont deux fois moins nombreux que les salariés (17 % versus 9 %) à faire du sport tous les jours ou presque. Et plus d'un tiers (34,7 %) ne pratiquent aucune activité physique alors que, par comparaison, les cadres ne sont que 19 % dans ce cas.

Des comportements à mille lieues des enseignements de Foucault où le souci de soi mène au souci de l'autre. « Sans ce souci de l'autre, le rythme et les décisions du dirigeant auront tendance à être les siens ou ceux de ses actionnaires sans que les enjeux et difficultés des collaborateurs soient suffisamment pris en compte », poursuit Bruno Lefebvre.

Il serait temps de ne plus systématiquement associer les qualités de leadership au simple charisme. Et si l'exemplarité est souvent citée comme l'alpha et l'omega d'un bon patron, encore faut-il s'entendre sur son périmètre ; par exemplarité, il ne s'agit non pas tant de briller par une exigence de perfection que de faire montre d'une certaine persévérance visant à incarner un discours dans des actes. Une cohérence entre le « dire » et le « faire ». À cette condition, le dirigeant peut alors regarder son stress en face et en faire une posture d'honnêteté et d'authenticité, à l'écoute de celui de ses collaborateurs. Le processus d'influence menant à construire une vision partagée ne peut donc avoir lieu sans ouverture, et une certaine tolérance à l'incertitude, à l'inquiétude et à l'ambiguïté. À quand des Codir sur le thème du stress où la pression des actionnaires et des clients pourraient être exprimée et débattue ? Faute de quoi, le sujet fera irruption lorsque ses symptômes seront bruyants.

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