L'opportunité de la mid-life crisis

C'est devenu un classique de la psychologie de l'individu, la fameuse « crise du milieu de vie » qui émerge à partir de la quarantaine, comme une nouvelle crise d'adolescence aux accents existentiels. Une sorte de blues qui survient à l'aube de ce qui est pressenti comme un déclin. Mais avec l'allongement de la durée de la vie et la perspective qu'il va nous falloir travailler plus longtemps, voilà un tournant qu'il s'agit de mettre à profit et de traduire en chinois pour en faire l'« opportunité » d'une nouvelle naissance.
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Une opportunité ? À une condition : que l'entreprise veuille bien, elle aussi, reconsidérer ses salariés de 45 à 55 ans. « Jusqu'à aujourd'hui, on a plutôt cherché à étudier comment faire atterrir en douceur les plus de 45 ans jusqu'à la retraite. Aujourd'hui, on commence à s'interroger sur cette deuxième moitié de vie professionnelle », reconnaît Maurice Thévenet, professeur au Cnam et à l'Essec. Il lance ce mois-ci à l'Essec un Advance Management Program baptisé « Expérience & Leadership » destiné aux plus de 45 ans pour aider à un repositionnement professionnel au travers d'une mise à jour des compétences. Mais le chantier à mener pour faire évoluer les mentalités reste immense.

La logique française a longtemps été, face à la montée du chômage, d'indemniser les sorties anticipées des travailleurs âgés. Ces politiques ont engendré une série d'effets pervers dont nous sommes encore loin de nous défaire : culture de la sortie précoce du marché du travail, logique de segmentation par âge accompagnée des stéréotypes habituels et d'une dépréciation massive des seniors face à l'emploi, mais survalorisation du temps libre et des loisirs. Selon la sociologue Anne-Marie Guillemard, si les plans d'actions pour l'emploi des seniors patinent, c'est parce qu'ils considèrent le handicap des seniors en termes de préjugés et d'image lié à l'âge au lieu de pointer le véritable problème : la mauvaise gestion des âges en entreprise et l'absence de politiques RH à partir de la quarantaine. Il n'y a aujourd'hui ni discours ni évaluations qui préciseraient les gains que les entreprises peuvent escompter en matière de compétitivité et productivité en maintenant ou embauchant des plus de 45 ans. « Ce que personne ne veut voir en France, ce sont les coûts cachés de cette inactivation systématique des seniors en termes de climat social dans les entreprises et de perte de compétences », conclut la sociologue. Il est grand temps de substituer à ces logiques d'âge la notion dynamique de parcours de vie. Et d'écouter les intéressés eux-mêmes qui avouent volontiers avoir l'intention de travailler le plus longtemps possible. D'autant que, à âge équivalent, les situations sont de plus en plus diverses. « On peut à 50 ans aussi bien être un jeune papa qu'avoir des enfants de 25 ans déjà sur les rails. Les stratégies vis-à-vis de l'emploi seront différentes en fonction des modes de vie. Il faut veiller à ne pas pousser les salariés hors de l'entreprise où ils risquent ensuite de se fragiliser en se lançant comme indépendant. C'est la trajectoire qu'il faut sécuriser et non plus l'emploi », prévient Maurice Thévenet. Or deux tiers des DRH hésitent encore à former et faire évoluer les salariés de plus de 45 ans au motif qu'ils ne sont plus très loin de l'âge de la préretraite. Une discrimination qui a aussi des répercussions sur les plus jeunes, peu motivés face à de telles perspectives.

Les entreprises qui réclament à cor et à cri une plus grande motivation de leurs salariés seraient aussi bien inspirées de s'intéresser à la psychologie des plus de 45 ans. Si dans la première moitié de la vie, tournée vers la construction de soi, l'individu cherche à exister au regard de l'extérieur en acquérant un statut social, à partir de 40 ans le mouvement s'inverse avec l'émergence de besoins plus spirituels tendant davantage vers l'essentiel. « L'entrée dans cette transition du milieu de vie se fait très souvent par une prise de conscience de la relativité de cette construction sociale, du sens de notre vie », relate le psychiatre Christophe Fauré dans « Maintenant ou jamais ! La transition du milieu de la vie ». Selon lui, le danger serait d'étouffer ce mouvement intérieur en y prêtant peu d'attention et en réduisant le champ des possibles. Alors que, derrière ce trouble, il y a une part fondamentale de notre être qui commence à s'exprimer. Réexaminer notre vie, repenser et re-choisir notre travail en l'occurrence, c'est donner à notre « persona » au sens jungien, une nouvelle chance. Mais ce tournant ne se fait pas sans résistance, celle qui s'inquiète à l'idée de renoncer au « moi » de la première partie de vie, à tous les efforts de construction pour y arriver, à l'idée souvent fausse qu'il s'agit de repartir de zéro. Peur de perdre notre statut, voire notre identité. Mais comme le dit Jung, l'homme ne vieillit pas, il continue de croître comme un arbre. À nous de faire naître une nouvelle ramification. À l'entreprise de la favoriser. Et à la société de considérer ces nouvelles races de chenilles, bientôt papillons.

 

 

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