Moins de caporalisme pour plus de productivité

Si notre société érige la liberté comme l'une de ses valeurs cardinales, nos dirigeants qui s'en gargarisent à foison seraient bien inspirés de lire l'ouvrage d'Isaac Getz et Brian M.Carney « Liberté&Cie » pour mettre enfin en pratique l'initiative individuelle. Traiter les salariés en adulte au lieu de les infantiliser avec des batteries de procédures...certains l'ont fait avec succès...et rentabilité !
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Travaillez-vous dans une entreprise « comment » ou une entreprise « pourquoi » ? Dans une société adepte du commandement et du contrôle, où on vous dit constamment comment faire votre travail,  ou dans celle où vous devez répondre à la question « pourquoi faites-vous ce que vous faites ? » ?
La plupart des directions d'entreprise rêvent, disent-ils à l'unanimité, d'avoir des collaborateurs capables d'inventer des produits innovants à forte marge ou de faire preuve de créativité pour satisfaire leurs clients.

Ils les ont souvent sous la main...depuis le technicien auquel ils n'ont jamais adressé la parole, tout au plus serré la main à un pot de Noël, jusqu'à la standardiste qui reçoit tous les jours des appels de clients. Il suffirait parfois de troquer la liste des comment contre des pourquoi pour voir se réaliser leur prétendu rêve et de les affranchir des chaînes qui les paralysent. C'est la thèse défendu avec moult exemples par Isaac Getz, professeur en psychologie et management à l'ESCP Europe Paris et Brain M.Carney, éditorialiste économique au Wall Street Journal dans « Liberté&Compagnie » (Editions Fayard).

«L'exercice d'un contrôle autoritaire s'accompagne d'une multitude de coûts cachés qui ne pèse pas seulement sur les bénéfices mais sur la santé des employés (...). La grave erreur intellectuelle des bureaucrates, partout dans le monde, est de s'imaginer que, parce qu'une chose s'appelle règle, elle est préférable à un arrangement moins formel. D'autant que la plupart de ces règles ne se bornent pas à saper le moral des salariés : elles empêchent la grande majorité d'entre eux de faire ce qui conviendrait».

L'excès de bureaucratie tue le meilleur

Et les deux auteurs de passer au tamis des anecdotes heureuses d'entreprises aussi différentes que W.L Gore&Associates, Harley-Davidson, la SSII française GSQI ou encore la PME industrielle du Nord de la France Favi. Histoire de prouver que ce qui unit ces entreprises performantes avec des retours sur investissement élevés et un taux de rotation des salariés excessivement bas, ce sont la considération et le respect qu'ils donnent à leurs salariés. Au terme de leur enquête durant quatre ans, ils en sont arrivés à la conclusion que l'excès de bureaucratie tue le meilleur chez les salariés et les empêchent d'intérioriser les exigences et les valeurs de l'environnement de travail.

« En donnant libre cours à l'esprit d'initiative et aux talents de chacun de leurs employés, les entreprises performantes ont réussi là où leurs concurrentes ont échoué », constatent-ils. Il faut savourer les nombreuses anecdotes de ce livre, parmi lesquelles celle d'une femme de ménage de Favi qui, décrochant le téléphone de l'entreprise à 19 heures, comprend qu'un client est en rade à l'aéroport. De sa propre initiative, elle prend l'une des voitures de la société mises à disposition des salariés susceptibles d'en avoir besoin, va chercher l'hôte de marque, le dépose à son hôtel et retourne terminer le nettoyage des locaux.

Le client félicite le lendemain le patron de l'accueil qu'il a reçu, comprenant tout de même qu'il y avait eu un quiproquo dans le rendez-vous. « Voilà exactement la différence entre une entreprise « comment » et une entreprise « pourquoi », raconte Getz. Christine une femme de ménage a vu une occasion de se rendre utile pour son entreprise. Elle n'avait pas le sentiment d'avoir fait quelque chose d'exceptionnel. Dans cette entreprise tous ceux qui rencontrent un problème et qui ont une solution l'appliquent. Pas besoin d'en parler avant pour demander l'autorisation ni après pour obtenir des remerciements ».

Gare au stress de la coercition

Ce qui fait toute la différence ? Des dirigeants favorables à une culture d'entreprise qui libère l'initiative de leur personnel et convaincus que la totalité des salariés en savent bien plus long sur les capacités de leur entreprise qu'eux mêmes. Tout l'inverse des entreprises qui manient le « comment » tel la carotte et le bâton et où la direction est persuadée dur comme fer qu'il faut constamment contrôler les salariés et leur dire comment faire leur travail. Un management né de la révolution industrielle où les usines employaient des ouvriers d'origine rurale illettrés pour la plupart. Et qui souvent donné d'excellents résultats économiques et financiers. D'ailleurs le sociologue allemand Max Weber avait au début du XXèeme siècle affirmé la supériorité de « l'administration bureaucratique », seule capable de satisfaire aux exigences du capitalisme.
Aujourd'hui que le capitalisme vacille, que les salariés sont doués d'intelligence, que les gourous de tous bords clament qu'il faut humaniser les entreprises, qu'en un mot le monde a changé, il reste à s'attaquer aux habitus et aux croyances. Pas si évident. Vous me direz que les entreprises bureaucratiques traditionnelles enregistrent de bons résultats appréciés à Wall Street, si l'on s'en tient aux coûts mesurés par les comptables. Or souligne Isaac Getz il y a bien d'autres coûts cachés au premier rang desquels celui de tout ce qui n'est pas réalisé à cause des effets étouffants de la chaîne des « comment » et qui se résume à la faible capacité d'exécution d'une entreprise où l'impulsion vient du sommet. Les règles finissent par être tellement oppressantes qu'il faut les contourner -à grands frais parfois- pour faire du bon travail. Résultat : stress, désengagement, présentéisme et absentéisme.

Favoriser l'automotivation

On le sait désormais, le facteur d'amélioration le plus pertinent c'est le sentiment du salarié de pouvoir exercer un contrôle important sur un évènement ou une situation. A contrario, la réaction d'un individu qui n'exerce qu'un faible contrôle sur son travail reste convaincu de ne pas pouvoir changer la donne et de ce fait s'engage dans des actions destructrices que sont la fuite ou la lutte pour réduire sa souffrance psychologique. Moralité selon Getz : accordez aux salariés un contrôle réel sur leur travail, cessez de leur dire comment faire leur boulot et le stress baissera. Les coûts cachés disparaîtront et l'engagement augmentera.

Bien sûr, on objectera qu'un pourcentage non négligeable de la population active préfère en réalité être un simple rouage de la bureaucratie d'entreprise. Que nombreux sont ceux d'entre nous qui cherchent encore des papas et des mamans dans leur vie professionnelle. Mais ce n'est pas une bonne raison pour continuer comme avant et passer à côté d'une certaine forme de liberté dans l'entreprise, ce que Douglas Mc Gregor en 1957 nommait « la dimension humaine de l'entreprise »...puisqu'elle implique les salariés plus complètement dans ce qu'ils font, leur inspirant une auto-motivation qu'aucun chèque ne produira jamais.


 

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Commentaire 1
à écrit le 15/04/2012 à 19:14
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Sophie, je ne te connais pas mais je t'aime !

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