40 000 profs à recruter : et si on faisait appel aux seniors ?

Par Sophie Péters  |   |  1047  mots
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Alternative au contrat de génération : les 40 000 postes d'enseignants ouverts par le ministère de l'Éducation Nationale. Alors que le premier ne suffira pas à endiguer le chômage galopant des seniors, les seconds pourraient s'avérer une option dont profiteraient tous les acteurs concernés, à commencer par les premiers intéressés, les élèves eux-mêmes. Et qui pourrait résoudre l'équation de Vincent Peillon pour remplir à nouveau les bancs de l'Education Nationale. Pourquoi les seniors seraient-ils les bons candidats ? Réponse en dix points.

- Le chômage des seniors atteint des sommets. Et pour cause : ceux-ci restent encore et toujours les profils les moins recherchés et les moins appréciés par les entreprises. Craignant d'avoir à gérer de fortes têtes qui n'ont de surcroît plus grand chose à prouver, elles préfèrent avoir sous la main de jeunes recrues aux dents longues qui ont une carrière à bâtir. Au moins dans l'enseignement, les quinquas pourront conjuguer leur désir d'autonomie avec un très fort sentiment d'utilité.

- Désireux d'avoir un peu plus de temps libre et de moins en moins de contraintes, et surtout parce qu'ils ne trouvent pas de travail, trop de seniors viennent aujourd'hui grossir les bataillons de coachs et de consultants. Histoire de se construire une vie de travailleur indépendant au sein de laquelle ils pourront faire valoir leurs connaissances des relations humaines acquises tout au long de leur carrière. Or ces individus motivés, disent-ils, "par la connaissance de leur prochain", s'improvisent coachs au terme d'une formation de quelques mois et cherchent ensuite à jouer les gourous plus que de véritables guides éclairés en psychologie humaine. Tant qu'à accompagner des individus, ils auraient mieux à faire de valider leurs acquis professionnels dans une discipline pour faire profiter la jeunesse de leurs expertises. Ils y trouveraient du même coup plus de satisfactions narcissiques qu'auprès de cadres en rupture de bancs.

- Si l'on considère les travaux scientifiques en psychologie sur les âges de la vie, on constate que la période qui s'ouvre après 45/50 ans est motivée par le désir de transmission.

- Et si l'on observe du même coup les rythmes de vie, celle de l'enseignant semble mieux adaptée aux seniors que la vie de bureau. Les mois d'été leur permettant de récupérer plus à fond que les formules de temps partiel adoptées aujourd'hui par nombre de pays européens pour faire baisser leur taux de chômage. Lorsque l'on sait qu'un auto-entrepreneur sur trois a plus de 50 ans, on mesure encore mieux le potentiel de travail qui sommeille encore chez les quinquas.

- Les seniors ont la fibre altruiste. Pour preuve, le secteur associatif fonctionne désormais essentiellement sur leurs contributions. Ils assument aujourd'hui la plupart des missions sociales dans notre pays avec très peu de considérations. En étant enseignant, ils y gagneront une rémunération tout en conservant leur esprit philanthropique, et souffriront moins que les jeunes profs d'occuper une fonction discréditée. Car l'obstacle majeur au projet de Vincent Peillon de recruter 40 000 enseignants en 2013 se heurte à une crise des vocations et un métier socialement dégradé.

- La figure d'une certaine forme de « sagesse » véhiculée par les seniors aux cheveux grisonnants peut alors astucieusement venir redorer le blason de l'enseignement français et a de quoi en imposer à la jeunesse agitée. Faisons d'une pierre deux coups : les liens intergénérationnels ne peuvent que s'y resserrer et les parents d'élèves être rassurés de voir leurs chères têtes de linottes encadrées par des mamies Dolto ou des statuts du Commandeur.

- Sans compter que l'enseignant senior sera moins perméable au sentiment de solitude qui étreint parfois en début de carrière les professeurs. « Trop souvent le jeune reste une abstraction pour le prof qui reste dans un rapport de transmission académique », estime un prof de Philo. Les seniors s'étant frottés au long de leurs années de travail à des collègues, à des hiérarchies, à toutes sortes de contraintes et de relations interpersonnelles parfois difficiles, seront moins impressionnables que de jeunes prof débarqués avec leur savoir académique dans une classe de 30.

- Une crise d'autorité sans précédent secoue l'enseignement. Banni des salles de classe depuis belle lurette, on sait pourtant combien elle aide les enfants et les adolescents à se construire. Si la tentation de réhabiliter la morale à l'école procède de l'intention de remettre un peu d'autorité dans le système, la génération des quinquas est sans doute l'une des dernières à savoir encore ce que ce mot signifie pour l'avoir elle-même vécu dans son enfance. Non pas qu'il faille réhabiliter l'obéissance de Papa, l'obéissance n'étant pas la soumission, si l'on en croit le psychiatre Daniel Marcelli, mais plutôt redorer le blason de l'autorité (sans autoritarisme, à savoir édicter une règle du jeu claire et non despotique). La jeunesse d'aujourd'hui souffre plus du syndrome de toute puissance (les enfants rois, sans limites) que d'inhibition (dû à une éducation trop coercitive). « Entre l'autoritarisme qui contraint et l'autorité qui construit, le chemin est toujours étroit. La soumission rabaisse, l'obéissance permet de grandir » admet Marcelli. Sur cette ligne de crête que constitue la « juste » autorité, les seniors (qui en ont vu d'autres surtout dans leur vie de bureau) pourraient faire des merveilles, à la façon du prof de chant dans le film les Choristes.

- "Un savant ne fait pas forcément un bon enseignant", confie dans Libération du 27/09 Philippe Watrelot, 53 ans, prof d'économie et formateur. A l'IUFM où il enseigne, un tiers de son public est en reconversion professionnelle : "ce sont des gens qui ont exercé un autre métier par le passé et leur rapport à la formation est beaucoup plus sain : ils veulent se saisir d'outils pour apprendre à enseigner". Au contraire des jeunes enseignants dont Philippe Watrelot constate qu'ils sont "amoureux de leur matière, passionnés mais pas du tout préparés à la dimension pédagogique".

- Enseignants et seniors se retrouvent côte à côte dans le manque de reconnaissance de leur contribution à la vie socio-économique. Ils ont donc tout à gagner à unir leurs forces. Reste au Ministère de l'Education Nationale à ne pas leur constituer un parcours du combattant onéreux digne de la VAE (validation des acquis professionnels) d'aujourd'hui, mais à mettre sur pieds de toute urgence des passerelles souples capables de garantir un bon niveau académique. Cela ne devrait pas être insurmontable au regard du nombre de professeurs qui manquent cruellement dans des zones où les problèmes sociaux et d'illettrismes sont aigus.