L'absurdité cachée du bien-être au travail

Par Sophie Péters  |   |  934  mots
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A force de vouloir rationaliser à coups de mesures du climat social le bien-être des salariés, on passe à côté de la réalité, celle ressentie et vécue par les individus. Le livre blanc sur la performance sociale au travail réalisé par Mars Lab rappelle l'importance des représentations du psychisme et propose une typologie de profils recensés au travail. A vous de découvrir si vous êtes comblé, gâté, damné ou frustré ?

Bien-être au travail n'est pas synonyme d'absence de mal être. A force d'avoir les yeux rivés sur les baromètres de leur climat social, les managers croient que si globalement tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes de l'organisation, c'est aussi le cas pour chacun des individus qui la constituent. Et qu'inversement, si le climat social est délétère, c'est que chacun des salariés souffre. Or, un individu peut être très motivé par son travail mais totalement désengagé et dégoûté par l'organisation dans laquelle il est parce que celle-ci est disfonctionnelle et freine sa performance individuelle. C'est d'ailleurs l'une des sources majeures de la souffrance au travail.

Enquête après enquête on sait désormais que les Français ont plutôt une conception très idéalisée du travail en valeur absolue alors même que leur vie professionnelle les rend très stressés, voire profondément malheureux. D'où cette question souvent posée « Etes-vous stressé par le travail ? » qui confine de fait à l'absurdité. Ce n'est pas ce que les individus pensent qui indique leur état mais la façon dont ils vivent les choses.

Le « vécu ressenti » prime sur le « vécu pensé »

Il n'est donc pas toujours très pertinent de s'en tenir à des baromètres basés sur un simple déclaratif des intéressés si l'on veut évaluer le moral de ses troupes. En matière de performance sociale, mieux vaut appréhender un peu mieux la complexité de l?être humain. Comme le souligne le « Livre blanc sur la performance sociale au travail » réalisé par Mars Lab au terme de plusieurs années de recherche, les notions de bien-être au travail et de performance sociale ne doivent pas être définies uniquement comme l'absence de souffrance dans le travail, et cette approche fait encore défaut dans l'évaluation du vécu des salariés au travail.

« En effet, le plus souvent, les évaluations mesurent essentiellement l'occurrence d'éléments négatifs au travail. Or, être bien au travail n'est pas l'absence de mal-être, il s'agit d'un état qualitativement différent et qui doit être considéré en tant que tel. On peut très bien penser positivement le travail et ressentir dans le même temps son travail négativement», précise Pierre-Eric Sutter, dirigeant de Mars Lab.


Ce livre blanc s'attaque à une synthèse des principaux indicateurs susceptibles de mesurer la performance sociale au travail en s'intéressant plutôt aux dimensions humaines (sociales et psychologiques), et établi une typologie de quatre profils de vécu au travail. Le « comblé » conjugue ainsi harmonieusement idéal du travail positif et conditions de travail satisfaisantes. Il aime son travail qui le lui rend bien. Le « gâté » n'a pas un idéal de travail fort, mais il dispose d'un emploi aux conditions favorables et satisfaisantes, ce dont il n'a pas -ou plus- conscience.

Le « logiciel de croyances positives » du "damné" est en piteux état

Le « damné »,lui,  cumule un idéal du travail négatif et une insatisfaction forte dans son emploi qui vient renforcer sa certitude que le travail n'est qu'une malédiction. C'est là que se concentrent potentiellement le plus de salariés susceptibles de souffrir du travail car ils ne trouvent que peu de protections, leur « logiciel de croyances positives » étant en piteux état. Enfin le profil de travailleur « frustré » a tellement idéalisé le travail qu'il a du mal à supporter les insatisfactions de son travail qu'il rencontre au quotidien chez son employeur, jusqu'à les vivre comme une frustration permanente.

Prendre la mesure objective du vécu

De quoi venir questionner les parangons des baromètres qui défendent ardemment les éléments rationnellement objectivables et mesurables sous prétexte de tendre vers l'objectivité. Ce prétexte est connu : on ne saurait se fonder sur le ressenti ou les représentations des êtres humains au travail mais sur le réel du travail lui-même.
Mais qu'est-ce que le réel du travail sans des salariés qui le pensent et le ressentent ? C'est tout l'écart pointé par la psycho-dynamique entre travail prescrit et travail réel montrant que le travail n'est qu'une question de point de vue pour ses différents acteurs.

Depuis Kant, on sait que les représentations sont centrales dans l'idée que l'on se fait du réel. Mieux : une représentation du réel qui active une réalité devient une réalité elle-même. « Autrement dit, si l'on est persuadé que son travail est source de bien-être ? à tort ou à raison, peu importe- on sera bien dans sa peau et donc plus performant, quelque soit la réalité objective de la situation. Si au contraire on est persuadé que ce même travail est source de mal-être, toutes choses étant égales par ailleurs, on sera mal dans sa peau et moins performant.

Ainsi, la représentation du travail compte tout autant que le travail réel en matière de performance sociale. D'où l'importance de prendre la mesure objective du vécu au travail des salariés pour comprendre ce qui freine ou optimise leur performance », en conclut Pierre-Eric Sutter.  Et quand on sait qu'une organisation de travail et ses instruments de gestion qui ne sont pas facilitateurs pour le facteur humain diminuent sa performance, tant individuelle que collective, les actionnaires et les comités de direction auraient tout intérêt à s'interroger autrement sur le peu d'adhésion à leurs stratégies flambant neuves.