La TV payante déménage !

La cohabitation entre la tv gratuite et la tv payante, c'est terminé! Décryptage de notre contributeur, Gabriel Dabi-Schwebel.
TV gratuite VS TV payante, à quand la fin de la bataille ?

Jusqu'à récemment, lorsque vous posiez la question "quelles différences existent entre la télé payante et la télé gratuite" les réponses montraient que, dans l'esprit des téléspectateurs, il existe une réelle proximité: "c'est la même chose, mais les programmes sont plus récents sur la TV payante", ou alors "c'est la même chose avec certaines disciplines sportives en plus", etc.

Bien sûr les téléspectateurs ne sont pas naifs et perçoivent bien la différence entre télévision payante et gratuite, mais ce qui a entretenu la confusion c'est une grande proximité du format en lui-même depuis l'invention de la télévision. Gratuite ou payante, la télé, c'est la télé : des chaînes de télévision et des programmes qui s'enchaînent à longeur de journée.

Mais avec l'émergence des "nouveaux usages", depuis les enregistreurs numériques jusqu'aux consommations "à la demande" sur tous les écrans imaginables, les frères ennemis ont bien changés.

Des business models opposés

Cette tendance promet un avenir bien différent entre télévision gratuite et payante, pour une raison bien simple: elles sont portées par des modèles économiques qui sont impactés très différemment par ces changements. Si pour la télévision gratuite ces changements sont une véritable révolution, avec les heurs et tracas que cette idée implique, les conséquences pour la télévision payante pourraient être bien plus favorables.

Au départ, tout sépare ces "colocataires" d'un temps: rien, sauf l'absence de moyens techniques alternatifs, n'aurait du forcer ces deux industries à cohabiter : elles ont habité le "même appartement" faute d'autre "logement" pour les accueillir... mais cette cohabitation n'a plus lieu d'être.

Les moyens de ces deux frères ennemi sont fondamentalement différents: la TV gratuite tire ses revenus des annonceurs (et pour une partie de l'état pour certaines d'entre elles). La télévision payante collecte ses revenus des abonnés directement... Et ça change tout : ce que la TV payante commercialise, c'est directement les programmes auxquels accèdent les abonnés.

Créer de la valeur

 

Pour bien comprendre cette industrie, il faut comprendre le concept de "valeur perçue". Très simplement, le principe consiste à faire en sorte qu'un abonné "en ait pour son argent" chaque mois. Pour y parvenir il faut évidement bien comprendre ses abonnés, et ensuite comprendre ce qui a de la valeur pour ces abonnés.

Ainsi, pour un fan de foot qui a l'habitude de voir les matchs au stade, la "référence de valeur" sera le coût du ticket pour aller au stade + le déplacement et les dépenses annexes. Bien sûr les deux expériences ne se valent pas en termes d'expérience humaine, et il faudra ôter à cette "référence de valeur" l'inconvénient d'être seul chez soi, qui a un lourd impact. Ce qui pourra en revanche améliorer cette perception c'est la notion "d'exclusivité" - qui est en fait une impossibilité de voir ledit match ailleurs : dans ce cas la cible est même obligé de payer ce qui impacte encore différemment son "appréciation de valeur". En ajoutant une savante "densité" d'offre, c'est à dire en multipliant le nombre de match pour les fans de foots, les professionnels de la TV payante savent construire une offre que les abonnés, ceux qui sont fans de foot, reconnaissent "valoir le coût".

En reproduisant ce schéma pour chaque segment de leur base d'abonné (sport, cinéma, série, enfants, info …) les acteurs de la télévision payante parviennent à agréger les abonnés d'une part et les programmes adaptés d'autre part dans un schéma vertueux.

Eviter la frustration

 

Jusqu'à très récemment, parvenir à créer une offre de télévision payante en cohabitation avec la télévision gratuite a été une affaire de funambule. Ainsi pour que la "valeur perçue" soit bonne, chaque segment d'abonné doit trouver son compte:  le défi est donc que plus la base d'abonné augmente plus les besoins s'élargissent. Or dans le monde de la télévision traditionnelle, une chaîne de télévision contient 24h de programmes par 24h. L'art de la programmation consiste donc à "remplir" cette grille de programmes de telle façon que chacun des segments cible trouve son compte à la fin du mois.

Mais certains segments ont des rythmes de consommation concurrents : ceux qui regardent des matchs de foot et des séries par exemple, pour simplifier. La solution pour résoudre ce problème c'est évidement de créer des chaînes de télévision adaptées. Créer une nouvelle chaîne "déséquillibre" tout autant la perception de valeur, car chaque chaîne nécessite 24h de programmes par 24h: si la nouvelle chaîne créée est faite de "rediffusions" de la chaîne première, elle affecte négativement l'appréciation des abonnés - car les abonnés ne sont pas totalement stupides: ils voient bien qu'il s'agit des mêmes programmes "dilués" sur de multiples chaînes. A l'inverse, si la programmation est "trop riche", elle diffuse des programmes qui ne sont pas vu par les segments cible, qui se trouvent contraints de faire des choix qu'ils auraient préféré éviter... ce qui crée, comble de l'ironie, des frustrations qui affectent à leur tour la valeur perçue.

La TV payante, plus souple, moins segmentée

 

Proposer une offre payante consiste donc à trouver le juste équilibre entre nombre de chaînes, segments, quantité de programmes et aisance d'accès à cette offre de programmes... et jusqu'à présent le "colocataire télévision gratuite", ajoutait à cette confusion, créant des appels d'air (des offres concurrentes) qui compliquaient encore les efforts des acteurs de la télévision payante, en jetant la confusion dans l'appréciation des abonnés.

Avec l'évolution des technologies, la télévision payante pourrait avoir un habitat bien plus favorable : tous les problèmes d'équilibre mentionnés trouvent une réponse dans les technologies. C'est facilement compréhensible pour ce qui concerne les outils de segmentation. C'est clair également pour ce qui concerne les moyens de mettre à disposition des programmes de façon extrêmement souple.

Fonder une expérience TV universelle

 

Pourtant, il existe des inconvénients à ce modèle. Le premier d'entre eux, ce qui fera le tri entre les succès et les échecs dans cette industrie, c'est la façon dont les acteurs en jeu trouveront une solution à la complexité de ce nouvel environnement : construire une offre de télévision payante était un jeu d'enfant par comparaison à mettre en oeuvre un service de média payant adressant tous les écrans du marché. Celui qui gagnera à ce jeu sera celui qui trouvera le "truc" qu'Apple a trouvé dans le monde du mobile : celui qui trouvera le format qui répond aux attentes des abonnés, qui simplifiera l'enfer des acronymes (PVR, VOD, Catchup, Startover, etc.), et qui saura assembler les technologies disponibles dans une expérience simple et universelle.

Le second, c'est évidement que ce nouvel eldorado est déjà peuplé, et qu'il n'y règne pas "d'ordre" au sens des réglementations qui régissent nos médias traditionnels. Fort heureusement, les acteurs historiques gardent un accès privilégié au contenu qui s'explique par leur contribution première au financement de ces contenus, mais ce privilège pourrait être remis en cause si des "formats" plus efficaces émergeaient dans ce nouvel habitat. De tels phénomènes se sont déjà produits au moment de l'émergence de la télévision numérique, qui en rendant la création de chaînes moins coûteuse, a permis à des groupes "concentrés par segments" de se développer, rompant la promesse généraliste des grands éditeurs payants historiques aux états-unis : EPSN pour le sport, Disney pour les enfants, HBO pour les séries, etc.

La TV payante, seule planche de salut de l'industrie de contenu ?

 

Reste une dernière perspective pour compléter ce tableau. La transformation de la télévision gratuite pourrait se révéler extrêmement généreuse pour la télévision payante. La concurrence furieuse pour les programmes entre les deux frères ennemi pourrait avoir perdu sa raison d'être pour une part très significative des offres (lire à ce sujet l'article "quel avenir pour la télévision gratuite"). En tout cas, en attendant les transformations structurelles qui paraissent inévitable, la chute des investissements publicitaires précipite des cohortes de producteurs vers les télévisions payantes qui semblent être la seule planche ce salut de l'industrie du contenu.

 

Si les perspectives semblent radieuse pour l'industrie de la télévision payante, le "déménagement" s'annonce compliqué... et des squatters pourraient bien s'inviter sans crier gare, car les portes de l'immeuble internet sont grandes ouvertes (voir à ce propos notre article sur Chromecast), et ceux qui sauront s'approprier les logements en premier emporteront la mise : Apple, Google, Amazon et Netflix disposent déjà des meilleures vues...

 

Par Gabriel Dabi-Schwebel, fondateur de l'agence de communication 1min30

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Commentaires 3
à écrit le 19/09/2013 à 23:43
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France Television est une télévision payante puisqu'on paye la redevance...Le problème est que celle-ci est devenue un impôt de plus assis sur les terminaux...et on aurait aimé pouvoir être libre de regarder la TV sans nécessairement payer France Tel...

à écrit le 28/08/2013 à 11:19
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Ouais ... Sans quelque chose dans ce genre : http://iiscn.wordpress.com/2011/05/15/concepts-economie-numerique-draft/ Pas grand chose ne se mettra en place.

à écrit le 28/08/2013 à 8:42
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article interressant mais je doute que les français soient prêts a payer pour de la Tv payante , ils sont moins d'1 million a le faire et il faut dire que coté diversités sur la TNT gratuite au secours c'est Monopole et monopole interposé et CSA qui ...

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