"Nous devons préparer l'avenir des places d'Europe centrale"

Par Propos recueillis par Romaric Godin, à Vienne  |   |  1199  mots
Le co-président de la Bourse de Vienne explique à La Tribune la stratégie et les perspectives de la Bourse viennoise en Europe centrale.

La Tribune : La Bourse de Vienne s'est fortement développée ces dernières années en Europe centrale. Aujourd'hui, les investisseurs fuient la zone. Etes-vous inquiet ?

Michael Buhl : Je n'ai pas d'inquiétude. Evidemment, les développements actuels ne me réjouissent pas, mais ils ne me surprennent pas non plus. Les pays d'Europe centrale restent des pays émergents. En ce qui concerne nos engagements, ils se situent évidemment dans une perspective à long terme. Car c'est justement parce que ces pays sont encore émergents qu'ils possèdent du potentiel. Et nous avons encore du travail pour intégrer et consolider les places dans lesquelles nous sommes impliquées.

La période est cependant difficile...

Bien sûr, en raison de son exposition à l'Europe centrale, la baisse de l'indice viennois a été plus forte qu'ailleurs, mais sa hausse avait également été plus marquée auparavant. L'indice affiche d'ailleurs encore une progression de 50% sur les cinq dernières années, ce dont les autres places ne peuvent se prévaloir. Pour autant, la situation est très volatile et la baisse des volumes qui a commencé en décembre dernier va se poursuivre. En 2009, nous allons vraisemblablement avoir un volume de transactions plus faible qu'en 2008, mais cela vaut également pour toutes les autres Bourses.

Comment jugez-vous le projet du gouvernement autrichien d'un plan de soutien au système financier d'Europe centrale et orientale ?

C'est un projet qui va dans la bonne direction. Aujourd'hui, la crise a atteint cette région, alors que l'on a pensé pendant longtemps que seuls des pays isolés pouvaient être touchés et que, dans ce cas, le FMI ou certains gouvernements pouvaient agir ponctuellement. Le risque est désormais plus important et il est temps de mettre en place un plan pour l'ensemble de la zone. Je crois qu'il faut rappeler que la croissance de cette région est importante et vitale pour l'ensemble de l'Union européenne.

De nouvelles acquisitions dans la région sont-elle envisageables pour vous ?

Absolument, et nous sommes plus que jamais intéressés par un renforcement de notre position dans la consolidation du marché des capitaux en Europe de l'est. Nous sommes donc de façon générale intéressés par des prises de participation dans des Bourses de cette région. Par exemple, dans celle de Varsovie qui est pour le moment plus un concurrent qu'un partenaire. J'ajoute d'ailleurs que si les autorités polonaises refusent d'examiner notre candidature dans le processus de privatisation qui a actuellement lieu, je n'exclus pas de porter l'affaire devant les autorités européennes de la concurrence. Mais notre stratégie ne passe pas forcément par une participation capitalistique, mais aussi par des accords dans des domaines particuliers. Nous le faisons déjà. Nous collaborons ainsi dans la commercialisation des données avec Bucarest et Budapest ainsi que Banja Luka et Sarajevo en Bosnie. Ljubjana et Prague devrait rejoindre ce projet en 2009. Sur la réalisation des indices, nous coopérons avec Bucarest, Belgrade, Kiev et Shanghai. Nous avons également mis en place une réflexion sur les dérivées et une chambre de compensation en Roumanie. Nous sommes déjà leader sur ce marché et nous voulons encore aller plus loin et élargir ces coopérations.

Ce travail d'approfondissement est-il également d'actualité dans les pays où vous êtes déjà présents ?

C'est notre principale tâche actuellement. Il faut utiliser ce temps de la crise pour poser les jalons du futur développement de ces marchés. Cela passe par exemple, par la mise en place d'un système unique de négociations pour l'ensemble de nos places, ce qui est un véritable obstacle pour leur développement. Nous espérons le finaliser d'ici 2010 ou 2011. De façon globale, nous devons mener une véritable modernisation de ces places, par exemple en préparant le développement d'un marché des dérivés.

Un des problèmes en Europe centrale réside également dans le peu d'enthousiasme des chefs d'entreprise, notamment de PME, dans la Bourse. Travaillez-vous à changer cela ?

Nous réalisons à Vienne une étude permettant de trouver parmi les entreprises autrichiennes, les candidats idéaux pour la Bourse. Nous avons dégagé 180 sociétés qui auraient parfaitement leur place sur le marché. C'est une méthode que nous pourrions développer dans les autres Bourses d'Europe centrale. Convaincre les entrepreneurs de cette région de l'intérêt de la Bourse fait partie du processus de structuration du marché. D'autant que, désormais, il n'existe plus beaucoup de privatisations à réaliser dans la région.

Pourquoi ces 180 entreprises autrichiennes ne sont-elles finalement pas intéressées par la bourse ?

Pour deux raisons : les coûts et la transparence. Concernant, les coûts, s'ils sont importants lors de l'introduction, ils sont ensuite très faibles, bien plus faibles que les taux payés aux banques. Le point essentiel concerne en fait la culture des sociétés familiales, souvent détenus par un fondateur régissant tout de façon patriarcale et qui ne souhaite pas tout dévoiler après une introduction. Il faut attendre que les générations changent.

Ce mouvement n'est-il pas en cours ?

En effet, les choses bougent. A Vienne, notre pipe-line d'introduction est encore plein. Mais les prix sont trop élevés en raison de la crise financière et je crois que les introductions seront rares cette année, peut-être même n'y en aura-t-il pas.

La place de Vienne a été touchée par quelques scandales ces dernières années (Bawag, Meinl Bank, Bank Medici). Quelle place occupe la transparence dans votre stratégie ?

C'est une préoccupation pour nous très importante. Nous participons aux réflexions avec le gouvernement et la FMA, et nous avons créé au sein du marché réglementé viennois une section, le Prime Market, où les obligations de transparence sont plus strictes que ce qu'exige la loi. Une exclusion de ce marché peut représenter pour l'entreprise, une perte importante en termes d'image. C'est une expérience que nous pouvons imaginer étendre à nos autres places. Je voudrais simplement souligner que ce problème de transparence est général et ne concerne pas seulement, loin de là, le marché autrichien.

La Wiener Börse n'est pas cotée. Vous en êtes aujourd'hui plutôt satisfait ?

J'en suis très satisfait. Nous sommes une entreprise privée qui veut être profitable et nous sommes soutenus dans notre stratégie à 100% par nos actionnaires. Nous entendons bâtir un groupe boursier solide au niveau régional et, pour cela, nous devons achever la modernisation et l'intégration des places d'Europe centrales. Pour cela, nous pouvons rester indépendants : notre cash-flow est suffisant et en cas de besoin, nos actionnaires pourraient nous apporter leur concours. A la fin de ce processus, ils pourront examiner de nouvelles options pour l'avenir de l'entreprise. Mais pas avant cinq à dix ans, et plutôt dix ans. Je crois d'ailleurs que les "grands" du secteur ont aujourd'hui fort à faire et ne sont pas particulièrement intéressés par le rachat de la Bourse de Vienne.