"Il n'y a pas de modèle allemand"

Entretien avec Johannes Reich, Associé-gérant de la Metzler Bank, explique ce qui fait la force « tranquille » de la place financière de Francfort et en quoi le « modèle allemand » ne lui paraît pas transposable. Il met aussi en garde contre une instrumentalisation politicienne de la crise.
© Guenter Pfannmueller

C'est un immeuble modeste au milieu du quartier des tours de Francfort. Le siège de la banque Metzler est pourtant un petit écrin d'élégance très Biedermeier, ce style du début du xixe siècle allemand. C'est ici que Johannes Reich, un des dirigeants de cette banque familiale fondée à Francfort en 1674, reçoit La Tribune. Et nous livre son point de vue sur la place financière allemande, l'Europe et la France.

Quelle est la situation­ de ­Francfort au lendemain de la crise financière??

Johannes Reich: Je pense que Francfort et sa place financière sont parvenus à surmonter cette crise. Je prendrais comme illustration le cas de la Deutsche Bank, qui est ici pour nous un établissement vital et l'étendard du secteur financier allemand. Selon moi, cette banque est aujourd'hui plus forte que jamais. Elle a traversé la crise sans faire appel à l'argent public, elle a établi une excellente politique de gestion des risques et, enfin, elle a poursuivi son expansion, notamment dans le domaine de la clientèle de particuliers. Plus globalement, nous n'avons eu à Francfort aucune fermeture de banque et le nombre d'employés dans le secteur n'a pas diminué au cours de la crise, il est resté stable.

Comment expliquer que Francfort n'ait pas connu les déboires d'autres places allemandes, comme Düsseldorf ou Munich, frappées par les difficultés d'IKB, WestLB, Hypo Real Estate ou BayernLB...??

Il est toujours difficile de trouver des explications systématiques à des problèmes souvent liés à des concours de circonstances. Plusieurs banques régionales avaient l'habitude de se refinancer à court terme du fait de leur histoire. Lorsque le marché monétaire s'est fermé, leur refinancement est ­devenu impossible. Néanmoins, il faut rappeler qu'en Rhénanie du Nord-Westphalie, par exemple, il existe traditionnellement un lien fort entre le secteur financier et le pouvoir politique, qui peut être à l'origine d'une certaine inefficience. À Francfort, la situation est différente. C'est une vieille ville commerciale libre avec un ton plus critique de la part des citoyens. La tradition libérale y est forte et les compétences politiques et économiques sont très clairement distinguées. Sans compter que le paysage financier francfortois est très divers : il y a ici le siège de grandes banques privées, mais aussi de celles du secteur public et du secteur mutualiste, ainsi que de nombreux établissements étrangers. Au final, le « patronage­ » politique y est plus faible qu'ailleurs et les décisions prises sont sans doute plus professionnelles.

Il a beaucoup été question en France du « modèle allemand ». ­Pensez-vous qu'il faille imposer ce modèle à l'Europe??

Il n'y a pas de modèle allemand, parce que personne n'a « découvert » ou « modelé » le succès économique allemand. Il n'existe qu'un développement économique allemand qui a de multiples sources historiques. Je trouve à la fois nocif et mensonger d'utiliser ce terme. Vous ne pouvez pas imposer un « modèle allemand », ni à la Grèce ni à la France. Pouvez-vous, en tant que président de la République française, héritier d'une tradition remontant à Louis XIV et à Charles de Gaulle, dire : « Je vais, moi, désormais imposer le modèle allemand pour sauver la France. » C'est une erreur de pensée. Les cultures et l'histoire sont trop différentes. Le développement historique de l'Allemagne a été marqué par des États régionaux qui ont connu des migrations constantes alors que la France a développé un modèle centralisé. L'absence de révolution radicale, et l'éthique de travail typiquement protestante dans de nombreuses régions allemandes, ont également joué un rôle. Et puis, si le succès actuel de l'économie allemande est bien réel, il n'est pas gravé dans le marbre. Chaque « modèle » a son époque faste : c'est aujourd'hui la Chine, ce fut jadis le Japon...

Quelle est votre vision de la crise européenne??

Il y a eu un grand emballement médiatique autour du mot « crise ». La réalité est la suivante : en Allemagne, nous avons été à peine touchés par la stagnation économique. Il n'y a pas d'inflation, nos carnets de commande industriels sont pleins et nous avons des manques de main-d'?uvre dans de nombreux secteurs. Est-ce cela vraiment la crise?? En revanche, d'autres pays, la Grèce en particulier, sont vraiment confrontés à une sérieuse crise économique. Le point commun, c'est qu'en Allemagne comme en Grèce, la crise a influé sur la conscience des populations et leur a fait comprendre qu'une réduction des retraites et des prestations sociales est inévitable. La politique tombe de ce fait dans une crise de crédibilité. Je remarque en tout cas que de nombreux hommes politiques ne gèrent pas ce problème de manière sincère. Je crois que nous avons besoin d'urgence de plus de concret, d'ouverture et d'esprit critique pour un traitement approprié de la crise. Cette « crise » peut être une forme de rituel instrumentalisé à des fins politiques et je crains qu'une gestion politique outrancière de la crise ne vienne encore l'aggraver.

Comprenez-vous les critiques actuelles de la Bundesbank à l'encontre de la BCE??

Pour contrer la grande peur liée à l'abandon du Deutsche Mark qui était celle du gouvernement Kohl, il avait été convenu avec les partenaires européens de l'Allemagne que la BCE serait fondée selon les principes de la Bundesbank et qu'elle serait donc entièrement indépendante du pouvoir politique. C'est la condition de la stabilité monétaire. Aujourd'hui, il semble clair que la BCE est plus proche de ce qu'était le modèle des banques centrales italienne et française que de celui de la Bundesbank. Ses décisions ont été marquées par des considérations politiques. Si la BCE voulait se rapprocher du modèle de la Bundesbank, elle réduirait les déséquilibres du système Target-2 et ne fournirait plus de lignes de liquidité aux banques pour financer indirectement les États. Il y a dans sa politi­que une forte influence des ­ministres des Finances des pays de la zone euro. Dans chaque situation difficile, il est essentiel de préparer une stratégie de sortie. Si cela n'était pas fait, la BCE mettrait elle-même son existence en question.

Comment voyez-vous l'avenir de l'Europe??

Dans ma jeunesse, les jumelages avec la France étaient très vivants. C'est même à l'occasion d'un de ces échanges que j'ai connu mon premier amour de jeunesse. Pour quelqu'un qui, comme moi, est issu de la génération de l'après-guerre, aller en France était toujours un plaisir. Aujourd'hui, l'Europe a quelque peu perdu la légèreté de cet esprit pionnier. Ce que je préconise, c'est d'adopter un ton plus détendu. L'Europe est constituée d'une immense diversité d'hommes, d'expériences, de savoirs, cela constitue sa force. Il faut reconstruire en se débarrassant des tabous. C'est pourquoi je crois que la déclaration d'Angela Merkel, « Si l'euro échoue, c'est l'Europe qui échoue », est une erreur. Il ne faut pas s'accrocher absolument à ce qui existe.

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Commentaires 11
à écrit le 22/05/2012 à 17:24
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"Si l'euro échoue, c'est l'Europe qui échoue », est une erreur."... donc il envisage une sortie de l'euro ?... je ne partage pas son avis !

à écrit le 27/04/2012 à 22:08
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"LE" modèle économique: On nous a fait penser ( lors d?une interview célèbre) et pendant un temps, que le modèle économique à suivre était celui de l?Allemagne, et qu? elle présentait tous les critères d?une conduite exemplaire: Que néni: le modèle v...

à écrit le 26/04/2012 à 12:10
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Le modèle allemand c'est très simple, c'est d'être un nain politique dans la main des amerlocs (un peu comme les japonais, les similitudes sont troublantes entre les deux pays -sauf bien sûr la géographie ou plutôt la localisation géographique- et le...

le 26/04/2012 à 13:03
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"d'où encore l'euro", en effet les allemands connaissent bien l'histoire et voient les nombreuses similitudes entre le Japon et leur pays. Donc pour ne pas subir le même sort que les japonais depuis l'apogée de ce pays qui a culminé à la fin des anné...

le 26/04/2012 à 13:43
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Pour les US, primo l'Europe pouvait devenir trop puissante d'où leur encouragement à l'élargissement européen et la nomination de technocrates desquels ils n'avaient absolument rien à craindre, deuxièmement les allemands sont devenus trop puissants a...

le 26/04/2012 à 16:15
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En même temps les US craignent qu'en cas de désintégration de la zone euro, l'Allemagne se retrouve avec un fardeau financier gigantesque qui pourrait propulser le ratio de la dette publique / PIB à175% voire 200%, et donc de voir une Allemagne avec ...

à écrit le 25/04/2012 à 18:55
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Cela m'etonnerais bien que la Bundesbank veuille ré-équilibrer le systeme Target2, car cela aurait un effet inflationiste en Allemagne et deflationiste dans les pays du sud. Sans doute souhaitable d'un point de vue de l'ajustement des pouvoirs d'acha...

le 26/04/2012 à 9:29
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C'est donc la fin programmée de l'euro, un bon projet qu'il ne faut surtout pas donner aux technocrates de Bruxelles ni d'ailleurs, ni aux voyous de la Finance et il y en a un paquet qui d'ailleurs aujourd'hui veulent passer pour des gens très bien d...

à écrit le 25/04/2012 à 18:46
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Bravo! Enfin quelqu'un qui pense sur le long terme!

à écrit le 25/04/2012 à 16:07
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....je décode : "solution de sortie" "se débarrasser des sujets tabous" "reconstruire" "erreur de Merkel quand elle dit si l'euro échoue, c'est L'Europe qui échoue" "esprit critique". Donc nous sommes entièrement d'accord Cher Monsieur, il faut prépa...

le 25/04/2012 à 18:04
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je vous rappelle que les parites ont ete calculees ' en temps opportun'; ca met juste en evidence les m'enfoutistes et les autres ( si vous voyez le genre de pays dont la capitale serait paris)... en outre, tt le monde a besoin de transfert, moi je v...

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