Jusqu'où la devise japonaise va-t-elle dévisser, s'interroge-t-on sur les marchés des changes? Le yen est à son plus bas niveau depuis 20 ans face au dollar - il s'échangeait à moins de 128 yens pour 1 dollar ce lundi -, mais aussi face à l'euro depuis 7 ans - à plus de 137 yens pour 1 euro.
"L'effondrement du yen - passé largement inaperçu en ce paysage de crise économico-sanito-militaire - est devenu aujourd'hui un phénomène important sur le marché des changes, car ce genre de mouvement n'arrive pas bien souvent, mais quand il se produit, il laisse apparaître en quelques jours ou en quelques semaines de très gros décalages totalement inhabituels entre les trois grandes devises mondiales (euro, dollar et yen)", commente Joseph Leddet, spécialiste des marchés des changes.
Vers une intervention des Etats
Une situation qui préoccupe les Etats-Unis et le Japon. La semaine dernière, le ministre des Finances japonais, Shunichi Suzuki, s'est entretenu avec Janet Yellen, secrétaire au Trésor, pour envisager une intervention sur les marchés pour éviter que la glissade s'accélère. "Cette situation s'explique par l'effet négatif produit par l'envolée des prix de l'énergie due à la guerre en Ukraine et par le choix de la Banque centrale du Japon de s'abstenir de relever les taux alors que la Fed se prépare à accélérer considérablement son resserrement monétaire", souligne Steven Barrow, économiste à la Standard Bank.
En effet, à rebours des autres principales banques centrales, la BoJ conserve une approche ultra-accommodante sous la forme de la poursuite d'achats d'obligations, qui ont même augmenté la semaine dernière, pour maintenir le taux de l'obligation japonaise à 10 ans sous les 0,25%.
Indicateur de référence
Le yen est aussi un indicateur de référence pour les marchés financiers à travers la planète qui scrutent son évolution. En effet, la devise japonaise se déprécie lorsque les marchés internationaux s'apprécient, et vice versa. Ce qui fait donc du yen un instrument de couverture pour arbitrer la diversification dans les portefeuilles d'actifs.
Or cette corrélation n'a pas été observée avec l'invasion militaire russe de l'Ukraine déclenchée le 24 février. Alors que tous les indices boursiers décrochaient, le yen lui aussi a accéléré sa chute dans les jours qui ont suivi, de plus de 10% par rapport au billet vert (voir graphique). Un mouvement inhabituel pour l'une des devises majeures avec le dollar et l'euro.
.
.
Par ailleurs, la divergence entre yen et dollar est en train de modifier l'attitude des investisseurs japonais. Ceux qui détiennent des actifs américains voient en effet le coût de leurs couvertures devenir mécaniquement de plus en plus élevé.
Or le dollar pourrait se renforcer davantage avec le resserrement de la politique monétaire de la Fed. Son président, Jerome Powell, ne manque pas une occasion pour durcir le ton. Une hausse a déjà eu lieu en mars, la première depuis 2018. Six hausses sont prévues cette année. L'autre face de ce resserrement est l'arrêt du programme de rachats de bons du Trésor américain qui débutera dès le mois de mai.
Premier détenteur étranger de la dette américaine
Comme le Japon est le premier détenteur étranger de la dette des Etats-Unis, avec une part de 18,28% (en janvier) pour un montant de 1.303 milliards de dollars, devant la Chine (14,87%) et le Royaume-Uni (8,54%), reste à savoir si les investisseurs nippons poursuivront leurs achats de titres obligataires américains.
En effet, ces derniers deviennent mécaniquement plus onéreux en raison de la dépréciation du yen, ce qui réduit leurs rendements, même s'ils restent attractifs par rapport à d'autres obligations européennes. Le taux du bon du Trésor américain à 10 ans s'affichait à plus de 2,81% lundi, celui du 10 ans britannique à 1,895%, celui du Bund allemand à 0,887%. Or la différence se réduisant entre la détention du 10 ans américain et les obligations d'Etat japonaises, la conséquence pourrait être une ré-allocation des portefeuilles japonais au détriment des actifs américains.
Reste à savoir comment va réagir la BoJ, qui réunit son conseil ce jeudi 28 avril. "Cela pourrait changer. Si l'extrême aversion au risque s'empare du marché, le yen pourrait regagner le terrain perdu en vertu de son statut de valeur refuge. Bien que le marché n'anticipe aucun changement de sa politique, l'argument en faveur de l'élargissement de la fourchette de 0,25 % à 0% pour le rendement à 10 ans pourrait devenir convaincant avec le temps", explique Steven Barrow.
De nouvelles mesures de soutien à l'économie
De fait, le Japon cultive sa différence avec les Etats-Unis et l'Europe. Selon les projections du Fonds monétaire international (FMI), l'inflation dans l'archipel devrait s'établir à 1% en 2022 et 0,8% en 2023, un niveau largement inférieur au taux cible de 2% de la BoJ. Au mois de mars, si l'on exclut les prix de l'énergie, les prix à la consommation s'affichent à -0,7% sur un an (après -1% en février), témoignant du peu d'appétit à dépenser des ménages de l'Archipel, et limite donc une envolée des prix favorisée par la demande.
Le gouvernement étudie même de nouvelles mesures de soutien à l'économie, notamment les PME. Plus de 8 milliards de dollars pourraient être mis sur la table pour atténuer la flambée des prix des matières premières, notamment de l'énergie, et des céréales, pour les secteurs concernés comme le transport ou l'agroalimentaire.
Sujets les + commentés