Génération Z : génération sans patron ?

Par Pierre Manière  |   |  884  mots
Les rejetons de la génération Z apparaissent globalement inquiets pour leur futur professionnel - d'après l'enquête, ils évaluent cette inquiétude en moyenne à 6,1 sur 10.
Dans une enquête réalisée par le cabinet de conseil The Boson Project pour le compte de BNP Paribas, les 15-20 ans affichent une forte défiance envers le monde de l'entreprise. Génération start-up plus que CAC 40, près de la moitié d'entre eux mise sur l'entrepreneuriat pour réussir et s'épanouir.

Il fut un temps où l'entreprise était un cocon. Même s'il y rentrait par la petite porte, un jeune motivé pouvait bénéficier de l'expérience des aînés, gravir les échelons jusqu'à décrocher un bon CDI, synonyme de sécurité professionnelle, matérielle et personnelle. Faire toute sa carrière dans une même société offrait de sérieuses garanties. Il y avait, au fond, une vraie perspective de manger du pain blanc, après avoir mâchouillé son pain noir quelques temps.

Plus de logique sacrificielle

Cette logique sacrificielle vis-à-vis de l'entreprise avait ici un sens, comme en témoigne les trajectoires de nombreux baby-boomers. Mais ce n'est plus le cas pour les jeunes générations. Morosité économique oblige, elles ne perçoivent plus l'entreprise comme plus un gage de sécurité, d'épanouissement et d'accomplissement de soi. Au contraire, pour la génération Z (née après 1995), l'entreprise fait peur. Tel est le constat accablant de l'enquête du cabinet de conseil The Boson Project pour BNP Paribas, qui a sondé quelque 3.213 jeunes entre 15 et 20 ans sur leurs aspirations professionnelles et leur regard sur le monde du travail.

Lorsqu'on leur demande de décrire l'entreprise en un mot, celui-ci est rarement flatteur. Pour ces jeunes aux portes du monde du travail, il s'agit d'une sphère "dure" (cité par 170 des répondants), "compliquée" (147), "difficile" (142), "impitoyable" (63) et "fermée" (60). Pour 100 répondants, elle s'apparente même à une "jungle". De manière générale, l'entreprise évoque le "stress", "l'indifférence" et le "dégoût" pour respectivement 36%, 26% et 13% des sondés. Seul un petit quart de l'échantillon (23%) évoque son "attirance" pour l'entreprise. En clair, ce monde apparaît pour le moins inhospitalier auprès des jeunes qui, d'après l'étude, fustigent son caractère "trop partial" ou ses côtés "inhumain" et "inquiétant".

Globalement inquiets

L'image n'est guère reluisante. Mais elle reflète surtout les craintes d'une jeunesse qui n'a connu que les nuages de la crise. Les rejetons de la génération Z apparaissent globalement inquiets pour leur futur professionnel - d'après l'enquête, ils évaluent cette inquiétude en moyenne à 6,1 sur 10. Spectateurs des difficultés économiques des dernières années et des plans sociaux à répétition, l'entreprise leur semble difficile d'accès, et a perdu son caractère protecteur.

Dans ce monde au futur incertain, pas question, toutefois, de sombrer dans la dépression. D'après l'étude, plus de huit jeunes sur dix veulent choisir leur métier par passion. Pour les Z, "la précarité n'est pas subie, elle est intégrée dans les projections de vie", affirme Emmanuelle Duez, co-fondatrice du Boson Project. "Ils savent qu'ils ne pourront compter que sur eux-mêmes, qu'ils ne pourront jamais se reposer sur leurs lauriers, qu'ils devront constamment se réinventer."

Le salariat ne fait plus rêver

Pour eux, le salariat ne fait plus rêver, d'autant qu'il ne constitue plus un bouclier contre Pôle Emploi. Ainsi, près de la moitié (47%) de cette génération aimerait créer son entreprise. Un désir qui ressemble à un pied-de-nez aux grands groupes existants, dont ils fustigent la rigidité et le manque de créativité.

A défaut de pouvoir se projeter dans l'avenir comme leurs parents, les Z veulent s'accomplir et profiter de la vie sans traîner. S'ils sont 70% à s'estimer ambitieux, beaucoup ne veulent pas voir leur job empiéter sur leur vie personnelle. Lorsqu'on leur demande où ils en seront dans dix ans, 40% d'entre eux rêvent d'un "métier équilibré", qui leur laissera du temps pour eux. Certains pourraient voir dans cette posture une forme de naïveté. Mais pour cette jeunesse, la valeur réside davantage dans l'innovation et l'exploitation d'une bonne idée que dans la course à la productivité.

S'épanouir au travail

D'après l'étude, les Z mettent un point d'honneur à s'épanouir au travail. A poste égal, un quart d'entre eux choisiraient l'entreprise la plus "fun". En outre, ils considèrent la mobilité professionnelle comme une évidence, et aspirent à changer régulièrement de mission, de métier ou de secteur. Ainsi, 38% d'entre eux se voient bien changer au moins cinq fois de profession dans leur vie!

 A l'heure où les grands groupes expérimentent tant bien que mal le management collaboratif - visant à donner plus d'autonomie aux salariés -, les Z ne se voient pas comme de simples exécutants au garde-à-vous. Pour 67% d'entre eux, la propension du manager à faire confiance à ses troupes est fondamentale. Cela ne constitue pas une surprise: plus encore que les Y, les Z sont hyperconnectés et ont développé la culture du réseau. Pour 40% d'entre eux, c'est d'ailleurs là que réside la clé de la réussite, loin devant le CV ou le diplôme. Bref, ils sont "dans la collaboration, où le tout naît de participation de chacun", insiste l'étude. Dans un monde professionnel de plus en plus difficile, les Z affichent un sacré pragmatisme.

Génération start-up plus que CAC 40, ils donnent à réfléchir aux grands groupes, accusés, en somme, d'avoir délaissé le capital humain. Les DRH savent à quoi s'en tenir.