Lettre ouverte aux perfectionnistes

Chaque semaine, découvrez les chroniques sur la vie au bureau réalisée par Sophie Péters. Anecdotes, conseils, expériences : pour sourire mais aussi mieux se sentir dans son job.

Oui, je sais, vous tirez chaque matin, comme moi, une satisfaction indicible de « faire tout très bien ». Et ce d'autant plus que notre société et votre travail vous y encouragent. Mais il y a les jours - et ils sont nombreux - où votre censeur intérieur vous colle sur votre livre de bord un «peut mieux faire » en rouge, écrit dans la marge. La perfection est séduisante, le perfectionnisme tyrannique. A tel point que tous les perfectionnistes, n'arrivant jamais à être à la hauteur, traversent plus ou moins vaillamment des épisodes de profonds découragements. Nos exigences au lieu de nous soutenir nous fragilisent. Elles ne reconnaissent pas nos succès, partant du fait que ne pas réussir à 100 % c'est rater ! Aux perfectionnistes, il n'est pas donné de savoir relativiser, de prendre la vie sans gravité, de ne garder que des demi-succès et de savoir apprendre des défaites salvatrices. Bref, de voir la vie en couleurs. Epuisé dans sa quête obsessionnelle le « parfait en tout » est un candidat idéal pour le «burn out»... Or, comme le croit tout perfectionniste qui se respecte, renoncer à cette quête n'aboutit ni au laxisme ni à la médiocrité. Juste à apprendre à bien faire... à faire de son mieux. Pour être plus humain tout simplement. Et surtout plus souple, en bonne posture pour faire face aux chocs de l'époque.

Alors de quoi faut-il nous méfier ? D'abord de la peur de l'échec. Premier souci du perfectionniste : ne jamais tomber, chercher à faire entrer la réalité dans sa grille de lecture. Paralysé par la crainte d'échouer, il en vient à éviter de se confronter à certaines réalités. Or, accepter l'échec c'est le seul moyen d'apprendre et en fin de compte de réussir. Son deuxième travers : se focaliser plus sur le but à atteindre que sur les moyens. Résultat : il ne voit dans le chemin que des obstacles à franchir pour arriver à sa destination. Sa vie se résume à une compétition sans fin, persuadé que seule la récompense le rendra heureux. Exit le goût du présent mais aussi la force de soutenir des projets ambitieux. Longs. Forcément trop longs. Epuisé par sa quête, le perfectionniste renonce vite à la moindre embûche. Manichéen, il vit dans un monde simple : tout est bien ou mal, meilleur ou pire, réussite ou échec. Et cherche toujours à avoir raison. S'il souhaite apprendre des autres, paradoxalement la critique le met vite en abîme.

palette des émotions

Or, là encore, si on sait entendre la critique, elle nous met sur la route de la progression. Enfin le perfectionniste est dur envers lui-même. Il croit possible de ne jamais se fourvoyer. Pour lui, cela s'appelle « prendre ses responsabilités» avec tous les dommages que cela suppose. Or la dureté envers soi se traduit en dureté avec les autres. Multipliant les «il faut, on doit» « tu devrais», il oublie la complexité, la palette des émotions et des sentiments. Il est sous contrôle avec la crainte et la croyance que s'il lâche, tout s'effondre. Sa peur de lâcher prise est liée à sa peur de l'échec. D'où une rigidité qui compromet l'ouverture aux opinions et extérieures, la recherche de bénéfices éventuels, l'adaptabilité et la dynamique. Conclusion : être perfectionniste nuit à l'estime de soi. C'est même dangereux dans un monde actuel qui réclame de la flexibilité. La capacité à affronter les revers donne confiance en soi. Echouer signifie avoir tenté des choses. Nous ne nous résumons ni à nos victoires ni à nos échecs. Nous sommes un entre-deux, mélange subtil de ce que nous savons réussir et rater. Alors gardons à l'esprit ce magnifique poème de Rudyard Kipling : « Si tu peux rencontrer triomphe après défaite et recevoir ces deux menteurs d'un même front... tu seras un homme mon fils. »

« Oser, c'est perdre pied momentanément. Ne pas oser, c'est se perdre soi-même », Kierkegaard, philosophe.

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