Changement de temps... intérieur

Par Sophie Péters, éditorialiste à La Tribune
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Regardez autour de vous la mine de vos collègues. N'ont-ils pas l'air plus détendus ? Plus ouverts ? Il semblerait que ceux qui ont pris quelques jours pendant la trêve de Pâques n'aient pas tout à fait vécu leurs congés comme d'habitude. Après enquête autour de la machine à café, et quelques coups de fils dans les entreprises, le nombre des « débranchés » l'emporte clairement sur celui des « à fond ». « De la même façon que nous vivons intensément notre vie professionnelle, nous sommes plus enclins à profiter un maximum de ce temps de détente dans tous les sens du terme », confirme Laurence Vienot, associée au cabinet de chasse de têtes Eric Salmon & Partners.

Un phénomène que l'on pourrait fustiger à la façon de Gilles Finchel-stein qui nous explique dans son livre « la Dictature de l'urgence » que l'urgence, c'est justement la conjonction de deux phénomènes : le culte de la vitesse et le culte de l'instant. Pour cet intellectuel, nous n'avons plus d'histoire, nous n'avons plus de futur, nous sommes dans le présent - le temps est compacté. Mais on peut aussi tenter d'y voir quelque chose de beaucoup plus positif et annonciateur de changements.

Car tous nous ressentons de manière diffuse que notre culture doit se métamorphoser et que nous devons modifier notre façon de « consommer » le temps et les choses. La question du sens que nous recherchons ne peut plus se satisfaire de la technique du « remplissage ». Fini la saturation des congés par des exercices physiques et le trop-plein culturel. Désormais nous avons soif de « temps intérieur ». L'introspection a ainsi une vertu essentielle : elle nous apprend que les choses se contentent d'être, que c'est nous qui leur attribuons une valeur. Mieux, à en croire Henri Laborit, l'auteur du célèbre « Éloge de la fuite », l'individu qui prend du temps pour soi « ne se sentira non plus isolé mais réuni à travers le temps et l'espace, semblable aux autres mais différent, unique et multiple à la fois, conforme et particulier, passager et éternel, propriétaire de tout sans rien posséder et, cherchant sa propre joie, il en donnera aux autres ». C'est ce qu'observe d'ailleurs aujourd'hui Michel Maffesoli dans son petit opus, « le Temps revient », où il note une nouvelle émergence de la vie quotidienne, première caractéristique selon lui de la postmodernité. Il y a, nous dit-il, « un vouloir vivre têtu, irrépressible s'exprimant dans la duplicité et dans le sentiment tragique de l'existence ». C'est peut-être à cette « révolution de la vie quotidienne » que nous ont invités nos dernières vacances, comme une manière d'envisager une culture du vivre ensemble faite d'éléments tout simples et servant de ciment à nos relations. Une sorte de société officieuse en marge de l'officielle dans laquelle on s'autorise à se laisser aller à Être.

« Le remplacement de la verticalité par l'horizontalité est le dénominateur commun de tous les phénomènes sociétaux contemporains », en conclut Maffesoli. Exit la loi du « père », bienvenue dans celle des « frères ». Alors revenus cette semaine à nos bureaux, on retrouve notre « tribu », celle dans laquelle au quotidien on se reconnaît ou se complaît. Les injonctions venues d'en haut étant désormais largement remises en cause, ce qui fait sens est ce qui se vit dans l'ici et maintenant. C'est finalement un concept très ancien proposé par saint Thomas d'Aquin dans son « habitus » : le ciment social, l'éthique se confectionnent à partir de rituels anodins, ceux de la vie de tous les jours. Le fait d'être alors relié et d'avoir confiance se fonde sur la sédimentation de toutes ces petites choses. Importance du quotidien, du temps et de l'espace que l'on partage, voilà sans doute la prise de conscience avec laquelle nous sommes rentrés cette semaine, une nouvelle présence à nous-mêmes et du même coup aux autres, sorte de révolution copernicienne. Après tout, c'est peut-être un idéal communautaire en marche. Et si c'est le cas, n'en déplaise aux pourfendeurs de l'époque, tentons de garder cette belle énergie naissante pour la faire grandir cet été.

 

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