Névroses de crise

Par Sophie Péters, éditorialiste
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«L'oppression fait d'un sage un fou, et perd le coeur du plus paisible. ». Cette formule tirée de « l'Ecclésiaste » résume à elle seule les ravages provoqués par l'actualité sur le moral des individus. Au point que certains redoutent, ou même évitent, le flot des nouvelles déversées ces temps-ci par les médias. Les psychiatres et psychanalystes observent depuis peu dans leurs cabinets l'impact de la crise sur leurs patients. Wall Street a même décidé de faire appel à eux pour tenter de trouver des réponses et établir de meilleurs pronostics. Du côté des neurosciences et du récent mouvement de la neuroéconomie, des résultats viennent apporter de l'eau au moulin de la thèse sur notre porosité au milieu ambiant. Les scientifiques avancent désormais que la dichotomie historique entre émotion et rationalité est artificielle et, qu'au niveau neurobiologique, les parties du cerveau dont on a longtemps cru qu'elles participaient respectivement ici à la rationalité, là aux émotions, sont connectées par des réseaux denses et complexes et agissent de manière largement interdépendante. Le cerveau fonctionnerait donc plutôt selon un mode hybride, une forme d'« émorationalité ».

On le savait intimement, on en a désormais la preuve. À tel point que le groupe d'assurances Allianz, en auscultant son marché, prévoit que les cas de démence seront multipliés par trois dans le monde d'ici à 2050, par deux en Europe (notamment en France et en Allemagne) et par quatre en Asie. Si, bien sûr, les causes sont multifactorielles (le vieillissement de la population en étant l'un des facteurs majeurs), l'état économique de chaque pays y tient une place importante, la démence devenant une sorte de pandémie des pays industrialisés. Ajoutons à cela le calendrier maya et les oracles de tout poil au sujet de 2012, et nous aurons là un cocktail détonnant, propre à déverser moult angoisses sur les divans des psychanalystes.

« La crise et avec elle son cortège de mauvaises nouvelles donnent une résonance particulière aux troubles des patients. Quand on anticipe un futur catastrophique, on perd ses capacités d'innovation et d'adaptation. Or, la recherche de nouveautés et l'aiguillon du désir restent capitaux dans la recherche du bien-être mais sont aujourd'hui tétanisés par la crise économique », constate le professeur Michel Lejoyeux, spécialiste en addictologie. Se rassurer par ce que l'on connaît et maîtrise parfaitement est d'après lui contre-productif dans la situation actuelle, celle-ci imposant plus que jamais une mise en mouvement. « Quand une situation est trop anxiogène, on a tendance à chercher refuge dans des croyances irrationnelles. Tout ce qui n'est pas raisonnable apparaît alors comme une réponse possible, le surnaturel apparaissant plus protecteur que le réalisme. Voilà pourquoi les crispations religieuses ressurgissent actuellement. Mais aussi les replis identitaires. Tout nous pousse à rechercher des protections dans des univers qui nous semblent plus maîtrisables », analyse ce professeur de psychiatrie et d'addictologie à l'hôpital Bichat et à Maison Blanche.

Résultat : un désir de contrôle et une exigence accrus dans la sphère privée. Premiers touchés, les enfants supposés être parfaits à l'école, mais aussi les conjoints, sommés de satisfaire les moindres exigences. « Puisque les prévisions économiques m'échappent, tu dois être ce que j'attends que tu sois, disent en substance les plus anxieux à leur entourage. C'est le temps de la jalousie et des caprices sentimentaux, comme une sorte de vengeance des difficultés de la vie et une réponse symétrique aux soucis de la vie professionnelle. L'exigence de performance, que les individus n'obtiennent pas sur le plan économique, est recherchée dans la vie privée. Chacun veut prendre x % de plus de qualité de vie amoureuse ou familiale », note Michel Lejoyeux.

Il est temps de prendre un peu de recul. De faire la différence entre ce qui relève de la pression extérieure et ce qui témoigne de notre propre angoisse et réveille nos névroses enfouies. De faire la différence entre protection et souci de soi. De retrouver plaisir et sens du don. Et si « notre besoin de consolation est impossible à rassasier », pour reprendre le titre de l'ouvrage du suédois Stig Dagerman écrit en 1952, s'il n'y a pas de philosophie dans laquelle nous mouvoir comme le poisson dans l'eau, gardons à l'esprit la conclusion pas si sombre de cet écrivain pourtant désespéré : « Tout ce que je possède est un duel, et ce duel se livre à chaque minute de ma vie entre les fausses consolations, qui ne font qu'accroître mon impuissance et les vraies qui me mènent vers une libération temporaire [...]. La vraie, celle qui me dit que je suis un homme libre, un individu inviolable, un être souverain à l'intérieur de ses limites [...]. Le signe le plus certain de ma servitude est ma peur de vivre. Le signe définitif de ma liberté est le fait que ma peur laisse la place à la joie tranquille et à l'indépendance. » Tout problème est un chemin vers soi.

Commentaires 4
à écrit le 07/02/2012 à 13:50
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GLOPGLOP: Je suis un peu gentille , mais quel rapport avec la crise et l'emorationalité, a part que la plupart des commentaires lus sur les articles de la Tribune sont vecteur flagrant de ce phénomène.

à écrit le 31/12/2011 à 16:54
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je me demande si cette demoiselle ferait un don de X% de son salaire comme elle le préconise :)

le 07/02/2012 à 14:54
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Glougbiglouba : La névrose vous a atteint pour avoir compris cela dans le Tweet, Madame Peters, dit seulement que la crise nous amène psychologiquement vers une exigence accrue sur notre entourage à défaut de maitriser notre avenir. Je ne comprends ...

à écrit le 15/12/2011 à 18:34
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C'est bien pour cela quer les spécialistes dont vous dîtes vous être inspirée préfèrent utiliser le terme d'agent raisonnant au moins pour préparer la populasse à l'émergence des agents hybrides et du web 4.0

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