L’illustrateur Mathieu Persan dessine pour crier en silence

Il est la nouvelle coqueluche des éditeurs et des artistes. Avec ses images au style rétro et élégant, l’illustrateur, qui s’exprime aussi sur Instagram, se dit engagé mais pas militant.
Mathieu Persan
Mathieu Persan (Crédits : © Celine Nieszawer/Leextra)

Dessiner sans crayon ? Sans même trop savoir en tenir un... Mais dessiner quand même ! C'est le défi que se lance Mathieu Persan lorsqu'à 30 ans, enfermé dans un « bullshit job », comme il aime à le dire, il décide de reprendre le cours de sa vie.

« J'étais dans une perte de sens professionnel. Quand on travaille sur des chiffres pour une entreprise et que personne ne les regarde, on ne sert à rien. C'est ce que j'appelais un impôt sur mon temps. »

Scientifique de formation

À l'époque, le jeune père de famille se plaît à écrire de la musique et imagine même composer une comédie musicale sur le monde du travail. Mais comment la mettre en images quand on ne sait pas faire ? Car de son propre aveu et de celui de sa famille, il ne sait « même pas dessiner une souris » ! Et puis, il y a cette affiche du célèbre graphiste A.M. Cassandre qui l'a complètement envoûté lors d'une réunion à la banque.

« Oui je travaillais dans une banque, s'esclaffe-t-il, et cette affiche que j'apercevais derrière la vitre, sans doute l'une des plus connues, celle du paquebot L'Atlantique, m'a littéralement transporté. J'étais touché par le graphisme, l'intelligence qui s'en dégageait. Et comme souvent quand quelque chose me fascine, je me demande si je suis capable de le faire. »

En fait, pour ce scientifique de formation, et comme il le répète à l'envi, ce n'était qu'un problème à résoudre. Et bien lui a pris de chercher la solution, car le voilà devenu l'un des plus talentueux illustrateurs de sa génération.

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« Enfin bon, n'exagérons pas, vous coupe-t-il. Je ne suis pas un virtuose. D'ailleurs, je me compare souvent à un DJ, qui, bien sûr, ne peut pas se comparer à un premier prix de Conservatoire en violon, et pourtant les deux produisent de la musique. Moi, c'est pareil. Je suis incapable de faire une toile de maître, un dessin au trait ; en revanche, mon propos est concis, j'ai des idées, et c'est souvent pour ça qu'on fait appel à moi. »

Et pour son style ? « Oui, bien sûr, mais aussi parce que je vais trouver la solution pour exprimer un propos en image. »

Esprit matheux, quand tu nous tiens, aurait-il presque envie de formuler. Comme pour s'excuser de son talent d'autodidacte. Humilité aussi, sentiment d'imposture parfois...

Un rire en bout de phrase

« Un peu de tout ça. Et puis vous savez, j'ai eu un déclic à 30 ans, c'est vrai. Mais j'y suis allé tout doucement. Je n'osais pas me lancer. J'avais une famille à charge, je n'allais pas quitter mon bullshit job comme ça », raconte-t-il, sur le ton de la rigolade.

Car il est comme ça, Mathieu Persan, toujours un rire en bout de phrase, de ceux qui conjurent les malheurs et les peurs. Il aime raconter, expliquer. Posezlui une question et il vous emmène loin, d'une idée à l'autre, d'une réflexion à un questionnement, avec le plus souvent une solution à la fin. « Ma force, c'est d'avoir des idées, et j'avoue que ce que j'aime le plus, c'est trouver la façon d'illustrer un propos. »

Une lente ascension

À l'aide d'outils numériques et de méthodes de dessin vectoriel, Mathieu Persan travaille et peaufine son style. Il publie ses affiches sur les réseaux sociaux, se fait connaître. « Ça donne un pouvoir immense et une grande liberté, de s'exprimer par l'image. Quand je réagis à l'actualité en faisant un dessin et que je le publie sur mon compte Instagram, je sais que des milliers de gens vont le voir. Ça n'aurait pas pu exister il y a vingt ans, on ne pouvait pas coller des affiches dans toutes les villes de France en disant "j'ai quelque chose à vous dire". »

De publication en publication, le voilà repéré par des éditeurs, écrivains, artistes. S'ensuit une série d'illustrations que la plupart d'entre nous ont vues sans en connaître l'auteur. Il y a les couvertures de la série des Cazalet d'Elizabeth Jane Howard, celles des livres de Guillaume Musso, William Boyle, les unes de journaux comme L'Express, Le 1, Le Monde, L'Obs, La Tribune ; il y a des dessins et vidéos pour le groupe pop orchestral The Divine Comedy et les affiches pour l'album Grand Prix de Benjamin Biolay. Et puis il y a eu ce fameux poster en 2020, « Restez à la maison », pendant le premier confinement, qui a fait le tour du monde, a été traduit en 25 langues et dont le produit des ventes, soit un total de 80 000 euros, a entièrement été reversé à des fondations d'hôpitaux.

J'ai besoin de m'exprimer par le dessin car je me sens orphelin d'une certaine idée de la gauche

Et puis... Et puis... il y a eu un livre en février, le sien, Il ne doit plus jamais rien m'arriver (éditions de l'Iconoclaste), un premier roman d'autofiction dans lequel il parvient, à partir d'un drame - la mort de sa mère -, à nous embarquer dans une histoire de famille un peu fantasque où le rire prend (encore une fois) le dessus.

Aujourd'hui, à 45 ans, définitivement installé en tant qu'illustrateur (il a tiré sa révérence à la banque en août 2022 - oui, il a mis du temps), Mathieu Persan publie un beau livre chez Hachette Pratique, Rétrovisions - Un regard illustré sur notre époque, dans lequel figurent plus de 350 dessins. « J'avais envie de montrer comment j'étais arrivé à ce métier alors que je n'y étais pas du tout prédestiné. Comment je le concevais à travers ce prisme-là, c'est-à-dire en me sentant un peu imposteur et en même temps en ayant la fraîcheur de faire les choses comme je l'entends, comme je les ai apprises tout seul ; et ma façon de raconter le monde à travers mes affiches. »

Défendre un humanisme

Raconter le monde... L'un des plus grands plaisirs de Mathieu Persan. Réagir à l'actualité et, forcément, donner son avis à travers l'image. Une expression qui relève d'un certain engagement. « Certainement, mais pas du militantisme. Je ne travaillerai jamais pour un parti politique. Je veux que mon expression reste la mienne, que ma parole et mon style restent ma liberté. » Une expression qui surgit néanmoins en réaction à l'actualité et aux propos et actions des politiques. « Oui, mais mon engagement est en faveur de la science, de la connaissance, de la vérité, de l'Europe, de la laïcité, de l'écologie. C'est un humanisme que je défends. J'ai besoin de m'exprimer car aujourd'hui je ne me retrouve nulle part politiquement. Je ne me sens plus représenté par personne. Je suis orphelin d'une certaine idée de la gauche. »

Et c'est sans doute pour cela, selon lui, que son compte Instagram a autant d'abonnés. En s'exprimant sur les réseaux sociaux, Mathieu Persan s'est donné une tribune, tout en ayant conscience des limites de cette agora où se côtoient le pire comme le meilleur. Mais quoi qu'il en soit, s'exprimer reste un besoin vital. C'est, comme il aime à le rappeler souvent au fil de la conversation, plus fort que lui. Toujours sur le qui-vive, en réaction permanente à l'info, il dessine du tac au tac. « Quand j'ai lu la dépêche sur la Cour suprême américaine qui a permis aux États d'abroger le droit à l'avortement, j'ai été tellement choqué... J'ai immédiatement visualisé une image et j'ai eu un besoin irrépressible de la dessiner. Même si ça fait un peu cliché de dire ça, c'est exactement comme ça que ça s'est passé. La faire vite. Tout de suite. C'était presque comme un besoin de crier, mais de crier silencieusement. » Le silence est d'or, parfois.

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