Assurance-maladie : quand le patron de Groupama met en garde le gouvernement

"Il arrivera un moment où le coût des complémentaires ne sera plus supportable pour un certain nombre de ménages", affirme Jean Azéma, le directeur général du groupe d'assurance Groupama, leader en France des complémentaires santé individuelles, dans le grand entretien que publie ce lundi "La Tribune". .

Que vous inspire la politique du gouvernement en matière d'assurance maladie ?

Il est clair que, compte tenu des contraintes budgétaires, nous assisterons progressivement à un désengagement de l'Etat du financement de l'assurance maladie. Les nouveaux déremboursements de médicaments, annoncés ces derniers jours, en sont un exemple concret. Dans le passé, ce transfert de charge vers les complémentaires santé s'est traduit par une hausse de 2 à 3% de la part des contrats d'assurance dans le remboursement des assurés et cela ne saurait être différent pour les nouvelles mesures annoncées. Il arrivera un moment où le coût des complémentaires ne sera plus supportable pour un certain nombre de ménages.

Est-ce inéluctable ?

Cette situation n'est pas inéluctable. Il est possible de rationaliser, d'organiser le système de santé pour qu'il soit plus efficient. Pour cela, il faut modifier la façon dont s'organise l'offre de soins. Tout le monde sait que le paiement à l'acte n'est pas adapté, que le réseau hospitalier doit être géré autrement, que la démographie médicale doit évoluer. Une prise en compte globale est indispensable. L'Etat doit fixer les régles On ne peut plus se contenter d'augmenter les cotisations et de diminuer les prestations.

Les assureurs sont-ils légitimes pour faire des propositions sur l'organisation du système de santé ?

Notre métier est d'accompagner les assurés, de les « prendre en charge » pour gérer leur risque. Or, c'est dans la prise en charge globale des soins que se trouve la solution. Il est important d'expliquer qu'une évolution de l'assurance maladie ne doit pas se traduire par une baisse de la qualité car l'offre de soins peut être gérée autrement. Certains assureurs, comme Groupama, ont participé à des expérimentations. Notre expérimentation menée avec les médecins généralistes, lancée avec la Mutualité sociale Agricole en 2000, dans 37 cantons ruraux de 3 départements, a démontré que l'on pouvait réduire la consommation médicale de 15%, tout en améliorant la qualité des soins. Les résultats obtenus ont été repris dans le rapport du Haut Conseil sur l'avenir de l'assurance maladie et ont inspiré le rôle du médecin traitant dans le parcours de soin actuellement en vigueur. Nous continuons d'autres expérimentations dans les zones médicalement défavorisées car nous estimons avoir un rôle à jouer en tant que premier assureur santé en France.

Pourtant les assureurs complémentaires critiquent souvent l'absence de concertation. Les conditions du dialogue sont-elles réunies?

Il n'y a pas de véritable dialogue entre système de base et système complémentaire d'assurance maladie. L'Unocam [Union nationale des organismes complémentaires d'assurance maladie] fait le constat que les complémentaires santé ne sont pas associées aux décisions. Nous voudrions sortir de ce schéma où le régime de l'assurance maladie centralise tout car le partage d'expérience est, à notre sens, la meilleure façon de trouver les solutions les plus adaptées pour les assurés.

Les complémentaires santé sont aussi la cible d'une nouvelle taxe...

Cette taxe de 3,5% sur les contrats santé dits "responsables", ce qui correspond, en fait, à la quasi-totalité des contrats vient s?ajouter à une augmentation prévisible des cotisations liées au déremboursement de certains médicaments que nous venons d?évoquer. De la même façon, la taxe de 10% sur les réserves de capitalisation intervient alors que les nouvelles règles de solvabilité vont nous demander plus de fonds propres. Enfin, est-ce réellement une décision pertinente que de modifier la fiscalité de l'assurance vie alors que, pour beaucoup de Français, il s'agit d'une épargne en vue de la retraite ?

Vous aviez formulé de très sévères critiques l'an dernier contre les futures normes de solvabilité des assureurs. Quel est l'état de vos réflexions aujourd'hui alors que le processus est plus avancé ?

Améliorer les règles de solvabilité afin de protéger le consommateur et de privilégier la stabilité économique ne peut être que bénéfique. Or, ces règles, telles qu?adoptées, sont contre-productives à cet égard. Je propose que l?on étudie, pour l?avenir, des aménagements qui me semblent fondamentaux. Il me semble, tout d?abord, qu?une étude d'impact macro économique de Solvabilité 2 sur l'économie en général et sur le secteur de l?assurance,en particulier, serait indispensable. En effet, cette réforme va entraîner, entre autres, un désengagement massif des assureurs des marchés actions et les conséquences en seront particulièrement préjudiciables pour les entreprises.

Que préconisez-vous ?

Je préconise donc une période de transition de six ans, à l'instar de ce qu'a obtenu le secteur bancaire pour ses nouvelles normes de solvabilité. Une période transitoire serait bénéfique à tous les assureurs, et le sera d'autant plus pour les assureurs mutualistes qui n'ont la possibilité d'augmenter leurs fonds propres autrement que par leur résultat net. Enfin, il est indispensable de prévoir des règles spécifiques pour les investissements à long terme c'est-à-dire qu'il faut prévoir une dérogation au principe de calcul du risque sur l'horizon d'un an. Notre métier s?exerce sur un engagement de long terme. On ne peut pas traiter tous les investissements à la seule aune de la volatilité.

Quels seront les effets pour Groupama ?

Groupama détient actuellement 15% de ses actifs en actions et, compte tenu de la nouvelle réglementation, nous ne pourrons excéder 5%. Or, en plus d'un siècle d'existence, Groupama a toujours eu des investissements en actions importants et a contribué ainsi au développement économique du pays. Je suis intimement convaincu que la solidité financière, comme les résultats de nos dernières années le démontrent, qu?une gestion de « bon père de famille », couplées à une stratégie ambitieuse, sont bien plus efficaces que la simple application de modèles mathématiques.

Vous aviez annoncé votre intention de vous introduire en Bourse à l'occasion d'une opération « significative ». Est-ce toujours d?actualité ?

Notre ambition est de figurer parmi les dix premiers assureurs européens et la stratégie du groupe reste inchangée, comme en témoigne notre plan de développement à trois ans. Notre croissance organique, en France comme à l?international, l?amélioration de notre performance opérationnelle et de notre rentabilité constituent notre socle de développement. Toutefois, la réalisation de nos objectifs passe par une ou plusieurs acquisitions et c?est pour cela que nous ferons appel au marché.

Où en êtes vous dans ce projet ?

Nous sommes rentrés dans une phase plus active de préparation, en nommant un responsable de projet. Nous pouvons dire aujourd'hui, que notre titre ne sera pas spéculatif : par ce que Groupama comptera toujours un actionnaire de référence _ les caisses régionales _ et parce que nous misons sur une croissance régulière.

En interne, l'annonce de notre volonté de nous introduire en Bourse a mis l'ensemble du groupe dans cette disposition et cela s'est traduit par une amélioration de nos performances. Cette acquisition que vous évoquez, pouvez-vous en dire plus ?

Aujourd'hui, près de 30% du chiffre d'affaires de Groupama SA se réalise à l'international, principalement en Europe du Sud et Centrale. Sur le premier semestre, nous y avons enregistré une croissance de 4,5%. Nous avons désormais une véritable stature européenne, et une acquisition dans cette Europe, où les marchés de l?assurance sont émergents et, donc, à forte croissance, nous permettrait d'atteindre notre ambition de figurer parmi les 10 premiers assureurs européens. Ensuite, nous continuerons sans doute notre développement en Asie. La mutation d'un groupe à l'international doit se faire progressivement car il existe une vraie courbe d?apprentissage. C'est la seule façon pour que les investissements réalisés soient rentables.

Sur le marché français, avez-vous l'ambition d'être un pôle de consolidation pour les acteurs de la mutualité ou du monde des groupes paritaires de protection sociale ?

Avant d'avoir l'ambition de fédérer, nous préférons plutôt mettre des moyens en commun, sans avoir forcément de volonté d'intégration. Nous avons ainsi des partenariats avec le groupe Pro-Btp, le groupe Réunica et le groupe Agrica. D'autres évolutions se produiront lorsque les exigences de Solvabilité 2 seront clairement déterminées.

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