"On livre des cercueils non-stop", le coronavirus frappe de plein fouet un Ehpad parisien

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on livre des cercueils non-stop, le coronavirus frappe de plein fouet un ehpad parisien[reuters.com]
(Crédits : Gonzalo Fuentes)

par John Irish et Gonzalo Fuentes

PARIS (Reuters) - Devant une maison de retraite du 12e arrondissement de Paris, un homme demande à grands gestes à un livreur de cercueil de passer par une porte latérale pour échapper au regard des curieux.

Trois livraisons de ce genre ont eu lieu dans la matinée de mercredi dans cet Ehpad (Établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes) où selon la direction, au moins 16 pensionnaires ont été victimes depuis le 11 mars du coronavirus, qui a contaminé plus de 80 des 570 résidents.

"Il y a des livraisons non-stop et on revient lundi", soupire le livreur de cercueils.

La plupart des personnes décédées jusqu'à présent avaient plus de 90 ans, a déclaré à Reuters l'Agence régionale de la santé (ARS) d'Ile-de-France.

L'Ehpad géré par la Fondation Rothschild n'est qu'un exemple parmi d'autres du défi auquel sont confrontées les maisons de retraite depuis le début de l'épidémie de Covid-19.

En Ile-de-France, 148 des 700 Ehpad ont fait état de cas de coronavirus, et au moins 61 personnes ont succombé à la maladie, selon un décompte de l'ARS.

Comme tous les Ehpad de France, celui du 12e arrondissement a été placé en état d'alerte le 6 mars dans le cadre du "plan bleu" déclenché par le ministre de la Santé, Olivier Véran, pour organiser la protection des personnes vulnérables dans les établissements médico-sociaux.

Le personnel soignant a dû se soumettre à des mesures de précaution plus strictes, dont le port de gants et de masques, la désinfection systématique des locaux et la mise à l'isolement des cas suspects.

"On savait que tout ça allait arriver. On dépiste les deux premiers cas mais à partir du troisième, on parle d'un cluster et on arrête. Il faut alors tout faire pour que le virus ne se propage pas", raconte une soignante.

Tous les pensionnaires sont désormais confinés dans leurs chambres, où soins et repas leur sont apportés en s'attardant le moins possible, mais malgré la diminution du nombre de nouveaux cas, le bilan continue de s'alourdir.

Une vingtaine de membres du personnel auraient aussi contracté la maladie. La direction de l'Ehpad n'a pas répondu aux sollicitations de Reuters, un responsable qualifiant cependant la situation de "très dure".

"AUCUN ÉTABLISSEMENT NE PEUT AFFIRMER QU'IL PASSERA ENTRE LES GOUTTES"

Le bilan officiel du coronavirus, qui a atteint 1.331 morts mercredi soir, ne tient pas compte des personnes décédées en dehors des hôpitaux, et particulièrement dans les maisons de retraite, qui accueillent près d'un million de Français.

Le directeur général de la Santé, Jérôme Salomon, a précisé mercredi que les décès dans les Ehpad seraient recensés et centralisés dès la semaine prochaine, afin d'avoir une meilleure vision de la situation.

De nombreux décès ont été signalés ces derniers jours dans des Ehpad de l'est et du sud du pays mais les autorités peinent à fournir un bilan précis, et à savoir si les décès doivent être attribués ou non au coronavirus, beaucoup de ces personnes âgées présentant de multiples pathologies.

"Quand vous avez peu de soignants avec peu de matériel et que vous devez enchaîner des soins sur des personnes fragiles, ça débouche sur une mortalité très importante", déplore Thierry Amouroux, le porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI).

L'ensemble des professionnels du secteur ont tiré la sonnette d'alarme dans une lettre adressée à Olivier Véran, que Reuters a pu consulter, dans laquelle ils préviennent que les Ehpad ont besoin de 500.000 masques et que 100.000 pensionnaires risquent de mourir si l'épidémie se généralise.

"Il faut trouver des solutions pour éviter des contaminations massives. La plupart des pensionnaires ne peuvent pas être réanimés donc s'il y a contamination, il y a beaucoup de morts. Le taux de mortalité de cette catégorie de population est supérieur à 20%", souligne Jérôme Larché, médecin réanimateur dans un groupe de cliniques privées de Montpellier (Hérault) qui gère aussi des Ehpad.

"Aucun établissement ne peut affirmer qu'il passera entre les gouttes", acquiesce Jean-Pierre Riso, président de la Fédération nationale des associations de directeurs d'établissements et services pour personnes âgées (Fnadepa).

"Mais nous mettons tout en œuvre pour éviter une catastrophe."

SOLIDARITÉ

Dans un établissement de Perpignan (Pyrénées-Orientales), un étage entier a été dédié à l'accueil des résidents qui pourraient être infectés par le Covid-19, bien qu'aucun cas n'y ait encore été rapporté, illustre Claude Vaussenat, délégué syndical central Unsa du groupe Korian, un des grands gérants d'Ehpad.

Après des débuts difficiles liés notamment au manque de masques, les équipes disposent de matériel suffisant pour changer de matériel de protection toutes les quatre heures et sont "plus détendues", ajoute-t-il.

En Charente, une partie du personnel de l'Ehpad Bergeron-Grenier de Mansle a opté pour une solution encore plus radicale en prenant la décision de se confiner pendant deux semaines dans l'établissement avec les 59 pensionnaires, en espérant ainsi mieux les protéger.

"La décision a été prise de manière collective sur proposition du directeur", témoigne Patricia Vandebrouck, une assistante administrative qui a accepté, comme la moitié des employés de l'Ehpad, de se séparer de sa famille.

"Avant, on avait tout le temps peur. On avait beau prendre toutes les précautions, on avait toujours cette appréhension de contaminer nos résidents en ramenant le virus de l'extérieur", dit-elle.

"Pour les résidents, c'est mieux aussi car les animations et les repas continuent comme avant. Il n'y a pas besoin de confiner les résidents dans leurs chambres comme dans d'autres Ehpad. Finalement, c'est une situation qui crée des liens, un esprit de solidarité entre les membres du personnel mais aussi avec les résidents."

(Avec Tangi Salaün et Anthony Paone à Paris, Johanna Decorse à Toulouse, édité par Jean-Stéphane Brosse)