Agrocarburants, ni propres, ni rentables

Première, deuxième ou troisième génération, les agrocarburants n'ont pas encore donné la preuve de leur rentabilité ni de leur innocuité sur l'environnement. Mais les industriels de l'énergie continuent d'investir massivement pour trouver des solutions durables.
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Céréales, canne à sucre, huile de palme, micro-algues... Tout est bon pour produire du carburant, et réduire la facture énergétique. Mais la rentabilité et les gains pour l'environnement semblent encore très éloignés.
Ce n'est qu'en juillet 2011 que l'Union européenne a défini ce qu'elle entendait par « agrocarburant durable », c'est-à-dire capable de remplacer les carburants fossiles sans porter atteinte à l'environnement. Il doit être produit sur des terres qui n'étaient pas occupées par des zones riches en biodiversité, comme les forêts tropicales, ou les prairies naturelles. Et les émissions de CO2 issues de sa production doivent être inférieures d'au moins 35 % à celles des combustibles fossiles, un seuil qui sera relevé progressivement.
En 2009, la production de bioéthanol et de biodiesel, des agrocarburants dits de première génération, avoisinait les 1,1 million de barils par jour - 3 % seulement de la demande mondiale. Mais cela ne va pas sans douleur : 40 % de la récolte de maïs des États-Unis est détournée dans les agrocarburants, qui accaparent des hectares de terres fertiles nécessaires à la production alimentaire. Sur d'autres continents aussi, les surfaces agricoles font l'objet d'appropriation pour la production d'énergie, un phénomène dénoncé en juillet dernier dans un rapport de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), qui condamne les politiques de soutien aux agrocarburants aux États-Unis et en Europe.

Peu d'intérêt environnemental
Autre point de controverse : cette première génération présenterait peu d'intérêt du point de vue environnemental. À la demande de la Commission européenne, l'Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (Ifpri) a réalisé une étude sur les impacts du changement d'affectation de sols provoqués par les agrocarburants. D'après ses conclusions, rendues en octobre 2011, leur production génère trop d'émissions de CO2. L'étude ajoute toutefois que les bénéfices pour l'environnement ne sont pas le seul critère à prendre en compte : les agrocarburants participent aussi à la diversification énergétique et au soutien à l'agriculture.
Plus prometteurs sont les agrocarburants de deuxième et troisième générations, vers lesquels s'orientent les recherches aujourd'hui. La deuxième génération comprend les parties non comestibles des plantes (tiges, paille, résidus de sylviculture), torréfiées et gazéifiées, et sa production pourrait décoller dans les années 2015-2020. Son bilan carbone est sans commune mesure avec celui des carburants fossiles : sa combustion relâche dans l'atmosphère le CO2 stocké par les plantes au long de leur croissance. Si cette génération se substituait au diesel fossile, les émissions diminueraient de 65 à 92 %, mais ce n'est pas pour demain : ses coûts de production demeurent prohibitifs, comme l'indiquait une étude prospective de la direction du Trésor au printemps 2011.

Recherche sur les micro-algues
Quant à la troisième génération, qui s'appuie sur la biochimie des micro-algues et des enzymes, elle suscite beaucoup d'espoirs. En janvier 2011, la société espagnole Bio Fuel System annonçait avoir mis au point une forme de « biopétrole » à base de micro-algues dans des tubes exposés à la lumière du soleil. Un enthousiasme vite refroidi par les dix longues années de recherche nécessaires pour améliorer son bilan énergétique et climatique.
Aux États-Unis, le Pentagone, préoccupé par le déclin de la production pétrolière, a investi 300 millions de dollars dans la recherche sur les micro-algues, une stratégie jugée inefficace par la RAND Corporation, un think tank très écouté dans les milieux de la défense, dans un rapport de janvier 2011 : cet argent serait mieux dépensé dans l'efficacité énergétique et la lutte contre le réchauffement climatique.
Enfin, depuis 2009, le géant pétrolier Exxon finance les recherches de Craig Venter, un généticien américain, pour développer une filière de biocarburants à base de micro-algues OGM. En vain jusqu'à présent : Craig Venter lui-même reconnaissait dans une conférence en octobre 2011 qu'il ne parvenait pas à identifier une variété OGM susceptible de développer une filière rentable de biocarburants. Mais il ne renonce pas et se concentre sur les cellules entièrement synthétiques. Le chemin vers la rentabilité s'annonce très long.

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Un observatoire pour suivre la progression des agrocarburants
Les ministères de l'Écologie et de l'Énergie ont lancé en septembre 2011 un observatoire des biocarburants. Sa mission : accompagner les actions entreprises en France dans ce secteur pour atteindre les 10 % d'énergies renouvelables dans les transports routiers à l'horizon 2020, un objectif fixé par le paquet énergie-climat adopté en décembre 2008. Ce plan d'action national pour les énergies renouvelables prévoit que la France, aujourd'hui quatrième producteur mondial d'agrocarburants, en produise en 2020 4 062 ktep (milliers de tonnes équivalent pétrole), dont 2 850 de biodiesel, et 650 de bioéthanol. L'observatoire, dirigé par Pierre-Franck Chevet, directeur de l'énergie et du climat, réunira deux fois par an les parties prenantes des biocarburants (agriculteurs, distributeurs de carburants, constructeurs automobiles, associations de consommateurs et de défense de l'environnement...). Il mettra aussi en place des indicateurs de suivi, et identifiera les éventuels blocages et décalages par rapport aux objectifs fixés.

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