La croissance et l'emploi, enjeux de luttes intestines au sommet de l'Europe

Le sommet européen de la semaine dernière devait être celui d'un revirement. Il ne devait en effet n'y être question que de croissance et d'emploi. Pour autant, la majeure partie des décisions sur ce sujet a été reportée à juin. Les voeux des Européens pour la croissance pourraient bien n'être que postures visant à nourrir des luttes de pouvoir entre le Conseil européen, le Parlement européen et la Commission.
Lors du dernier sommet à Bruxelles, les dirigeants européens ont eu à coeur de démontrer que le mécontentement des victimes de la crise avait été entendu -Copyright Reuters

Elections italiennes marquant une poussée eurosceptique, manifestation monstre au Portugal où plus de 10% de la population était dans la rue pour exprimer son opposition à la rigueur, nouvelle poussée des partis Aube dorée (extrême droite) et Syriza (extrême gauche) dans les sondages en Grèce... Depuis plusieurs semaines, les signaux montrant une montée du mécontentement dans des proportions de plus en plus inquiétantes se multiplient en Europe.

Le Parlement et la Commission se posent en défenseurs des citoyens

A la tête de l'Union, on s'agite aussi. Le Parlement européen a rejeté la semaine dernière la proposition de réduction du budget européen faite par le Conseil. Motif de ce rejet : « Ce n'est pas dans l'intérêt des citoyens européens », expliquaient de concert des députés européens de tous bords. Martin Schultz, le président du Parlement européen, est allé loin dans la mise en garde. « L'une des principales menaces pour l'UE, c'est que les gens perdent entièrement confiance dans sa capacité à résoudre leurs problèmes, s'est-il alarmé. Nous sommes les champions du monde des coupes budgétaires, mais nous avons moins d'idées (..) quand il faut stimuler la croissance. »

La Commission a, quant à elle, insisté sur la nécessité de mettre en place une garantie « de l'emploi » qui vise à offrir une formation aux jeunes sans emploi des huit États de l'UE où le chômage des moins de 25 ans est le plus élevé. « On se rend compte que l'on peut perdre une génération, les jeunes ne croient plus dans le système démocratique », avait justifié le commissaire européen aux Relations interinstitutionnelles Maros Sefcovic en visite à Paris au lendemain d'élections italiennes qui ont vu l'avènement de partis qu'il qualifiait « d'anti-démocratiques ».

Le Conseil européen ne jure plus que par la croissance et l'emploi

A lire les conclusions du Conseil européen des 14 et 15 mars derniers, le message semble avoir été entendu. « Il est crucial de s'attacher en priorité à intensifier les efforts pour soutenir la croissance tout en assurant un assainissement budgétaire axé sur la croissance », ont ainsi affirmé les dirigeants des États membres. Deux fois le mot « croissance » pour encadrer l'austérité. L'emploi des jeunes était sur toutes les lèvres. Dans le même temps, la France et le Portugal ont obtenu le feu vert pour retarder d'un an leurs objectifs de réduction du déficit public dans le cadre de « l'assainissement budgétaire différencié, axé sur la croissance ».

Le Parlement a-t-il réussi à porter la voix du peuple aux oreilles des chefs d'États européens ? Peut-on y voir une victoire du tandem François Hollande - Mario Monti et de son mot d'ordre « croissance et emploi » sur le défenseur de la rigueur budgétaire Angela Merkel ?

Ce qui est sûr, c'est « qu'il ne reste plus que les férus de l'école autrichienne pour être opposés » au repositionnement en faveur d'une politique de croissance et de l'emploi au niveau européen, affirme un observateur bruxellois. « Il y a aussi le fait que les pays en difficulté remplissent leurs obligations et maintenant, même la France demande un assouplissement des règles. Il y a désormais de la place pour la question des dettes d'investissement », ajoute-t-il.

Selon une source à la Commission, Angela Merkel s'est rendue à Bruxelles en sachant qu'elle avait perdu la bataille de la communication sur la question des déficits budgétaires nationaux. Isolée dans le discours sur la croissance et l'emploi au lendemain des élections italiennes, la chancelière a dû revoir sa position officielle... sans doute pour mieux garder la main sur le mouvement et ne pas passer pour la grande perdante de ce sommet.

De simples postures sur fond de luttes intestines

Mais cet affaiblissement des positions de la chancelière allemande n'est peut-être qu'une façade. Car les raisons d'être de ce nouveau front pro-croissance et pro-emploi ne sont pas là où on le croit. Ainsi, les critiques de la part de la Commission et le rejet par le Parlement du budget européen entériné par les vingt-sept n'étaient pas tant une prise de position en faveur des victimes de la crise qu'un acte politique de la part d'institutions bruxelloises qui n'ont pu que constater la prise de pouvoir effectif du Conseil européen à la tête de l'Union européenne ces derniers mois.

De fait, la Commission et le Parlement ont été réduits à de simples exécutants de la volonté des États-membres, et en filigrane, de Berlin. « Au plus fort de la crise, il a fallu prendre des décisions rapides que seuls les chefs des gouvernements pouvaient prendre, cela leur a permis de mettre la main sur un certain nombre de sujets, affaiblissant plus particulièrement la Commission » note une source européenne.

La prise de pouvoir pleine et entière du Conseil européen

Sur la garantie de l'emploi, pas besoin d'aller chercher du côté des opposants à Bruxelles pour comprendre qu'elle n'est qu'un symbole visant à servir d'autres desseins - la réduction du chômage n'allant pas dans le sens de la dévaluation interne qui a cours dans les pays du sud de l'Europe afin de regagner en compétitivité. De fait, « la Grèce, l'Espagne et l'Italie ont peut-être les générations les mieux éduquées de leur histoire », avait relevé Martin Schultz la semaine dernière. Pas sûr que l'offre d'une formation aux jeunes sans emploi des pays sinistrés par la crise soit alors la meilleure réponse à leur apporter.

Pour comprendre le rejet du budget européen par le Parlement, il faut regarder en arrière. La nomination d'Yves Mersch au directoire de la Banque centrale européenne contre leur avis était très mal passée auprès des parlementaires qui n'ont pu ainsi que constater la prise de pouvoir pleine et entière du Conseil européen. « Les chefs d'Etats et de gouvernements ne manquent jamais de s'occuper de chaque dossier et de s'autoproclamer le gouvernement de l'Europe », s'était offusqué Martin Schultz dans un entretien accordé à La Tribune. « L'Union européenne n'est pas un Etat fédéral. Si c'en était un, le gouvernement serait responsable devant le parlement. (...) En refusant la décision parlementaire sur la nomination d'Yves Mersch, le conseil européen était dans son droit. Mais il ne devra pas s'étonner si le Parlement répond en utilisant un jour le droit de bloquer une de ses décisions », avait prévenu le président du Parlement européen, alors que le budget de l'UE était encore en discussion entre les vingt-sept.

Faire de la politique pour contrer les politiques

Ce que souhaitent par-dessus tout la Commission et le Parlement, c'est regagner du pouvoir. Tous, au sein de ces deux organes, militent pour l'obtention de la « flexibilité maximale » dans la gestion du budget européen. Aujourd'hui, le budget européen est divisé en tranches devant être utilisées chaque année de manière cloisonnée et sur des programmes bien définis. L'argent qui n'est pas utilisé pour un programme ou sur une année retourne automatiquement aux États membres.

La Commission et le Parlement souhaiteraient pouvoir gérer les sommes allouées comme elles l'entendent sur la période de sept ans que couvre le cadre budgétaire, sans cloisonnement entre les programmes. Mais le Conseil européen y est pour l'heure opposé. De plus, à Bruxelles, beaucoup n'ont pas abandonné l'idée d'assurer l'indépendance de la Commission en disposant de fonds propres.

En se positionnant en défenseurs des citoyens, les deux institutions cherchent en fait à utiliser la carte de l'opinion publique pour faire pression sur les dirigeants nationaux. Car en leurs seins, on pense que les chefs d'États ne sont animés que par des intérêts électoraux nationaux. Le renforcement du pouvoir de la Commission et du Parlement passe donc pour eux par l'affaiblissement dans l'opinion publique du Conseil européen. En somme, les technocrates se mettent à la politique pour contrer les politiques qu'ils n'hésitent pas à pointer comme responsables des maux européens.

Angela Merkel est toujours à la manoeuvre

En donnant son accord de principe sur les différentes politiques en faveur de la croissance et de l'emploi, Angela Merkel distribue les carottes sans avoir à magner le bâton et permet à chacun de crier victoire. Au plan national, sans lâcher d'un pouce sur le plan financier, ce qui fera plaisir à ses supporters électoraux eurosceptiques, elle se donne une image d'ouverture à destination des sociaux-démocrates avec lesquels il faudra sans doute qu'elle compose à l'issue des prochaines élections fédérales allemandes à l'automne prochain... et obtient un répit sur la scène européenne.

Concrètement, de fait, rien n'a été décidé. Les discussions sur la mise en ?uvre effective d'une politique de croissance et de l'emploi ont été reportées au mois de juin. Le périmètre et le financement de la garantie de l'emploi chère à la Commission et validée sur le principe lors du sommet européen de décembre n'ont pas encore été définis. Et les critères d'octroi des crédits à l'adresse des États membres et de leurs entreprises via les fonds structurels ne sont pas prêts d'être assouplis. L'assainissement budgétaire a toujours cours, malgré quelques ajustements de circonstance, et il n'existe pas de réelle politique de relance au niveau macro-économique européen si ce n'est celui du gain de compétitivité via la dévaluation interne dans les pays du sud de l'Europe. Bref, aucun moyen supplémentaire n'a encore été mis sur la table, et le Parlement, hanté par la question de la « flexibilité maximale », a abandonné l'idée de s'opposer à la réduction du budget européen, désiré par Londres et par Berlin.

Avec ses vingt-sept chefs d'États, sa Commission et son Parlement, l'Union européenne est un jeu qui se joue à vingt-neuf. En juin, lorsqu'il faudra décider de la mise en place concrète du volet croissance et emploi, Angela Merkel aura sans doute à c?ur de rappeler qu'à la fin c'est toujours l'Allemagne qui gagne.

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