Déficits : pourquoi Bruxelles a donné un bol d'air à la France

Par Romain Renier  |   |  918  mots
Reuters (Crédits : Photo Reuters)
La montée des populismes en Italie lors de la dernière élection de février et la crise politique qui s'en est suivie a constitué un électrochoc dans l'esprit des dirigeants européens. Depuis cette date, les signes d'un revirement des positions de Bruxelles au sujet de l'austérité se multipliaient. Et face au risque politique qui monte dans certains pays de la zone euro dont la croissance est menacée, la Commission a fini par mettre de l'eau dans son vin. Et donné un peude temps à la France.

La crainte face à la montée des populismes dans les pays en difficulté de la zone euro aura fait comprendre aux dirigeants européens qu'il fallait lâcher du lest sur la mise en place de la politique d'austérité. Et c'est l'élection italienne de la fin février, qui a marqué l'émergence d'un vote de défiance vis-à-vis de Bruxelles avec la surprise Beppe Grillo et le retour fulgurant de Silvio Berlusconi sur le devant de la scène qui aura servi d'électrochoc.

La prise de conscience face au risque politique dans les pays en crise

Depuis cette date, les craintes de la Commission face à la montée des populismes sont devenues visibles. Ainsi, le Commissaire européen aux Relations interinstitutionnelles, Maros Sefcovic, en visite à Paris au lendemain de l'élection italienne avait-il fait part de son inquiétude face à la montée en puissance de partis "antidémocratiques", selon ses termes, en évoquant le cas italien. "On se rend compte que l'on peut perdre une génération, les jeunes ne croient plus dans le système démocratique", s'était-il inquiété. A l'époque, il s'agissait pour lui de défendre le projet européen en faveur de l'emploi des jeunes, l'une des armes mises en avant par Bruxelles et entérinée par le Conseil européen en décembre, et l'utilisation des fonds structurels pour relancer la croissance.

Difficile d'en demander plus aux Français

Même si la France ne doit pas connaitre d'élection majeure avant 2014, le risque politique existe dans le sens où François Hollande, en chute libre dans les sondages, a le plus grand mal à faire l'unanimité auprès des Français. Selon un sondage publié le 2 mai par CSA, Marine Le Pen, du Front national, devance François Hollande de 4 points avec 23% d'opinions favorables. Dans ce contexte, difficile d'en demander plus aux Français. D'autant plus que des mesures d'économies supplémentaires comportent le risque d'entraver les chances de reprise économique, et donc de retournement de la courbe du chômage.

"Pour réussir, une politique doit bénéficier de soutien politique et social"

Les signaux en provenance de la Commission européenne allant dans le sens d'un délai accordé à certains pays de la zone euro, dont la France et l'Espagne, pour atteindre leur objectif de 3% de déficit public s'étaient multipliés. Lors du sommet du mois de mars, le Conseil européen avait accepté l'idée de reporter les objectifs de réduction du déficit public de la France et du Portugal d'un an. Enfin, la semaine dernière, le président de la Commission européenne Jose Manuel Barroso avait affirmé que "pour réussir, une politique ne doit pas seulement être bien conçue, elle doit bénéficier aussi d'un minimum de soutien politique et social".

Il n'aura pas fallu attendre longtemps après que les données statistiques sur les perspectives de croissance soient recueillies par l'agence européenne Eurostat pour qu'Olli Rehn, le commissaire européen aux Affaires économiques et monétaires ne considère qu'un délai de deux ans accordé à ces deux pays serait "raisonnable". Alors que la Commission européenne n'est censée délivrer ses recommandations que fin mai.

La Commission reconnaît le lien entre austérité et ralentissement économique

En Espagne, Mariano Rajoy veut privilégier les réformes structurelles aux mesures d'économies. Et en Italie, le social démocrate et fédéraliste Enrico Letta, qu'il serait risqué de mettre en échec car il est la seule alternative aux eurosceptiques Beppe Grillo et Silvio Berlusconi en ces temps de blocage politique, a promis de mettre fin à l'austérité et demandé des marges de man?uvre à Bruxelles pour relancer l'économie de son pays.

Enfin, le nouveau locataire du palais Chigi s'est dit en ligne à "100%" avec François Hollande lors de sa visite à Paris cette semaine. Le président de la République milite lui même depuis des mois pour un allègement des objectifs budgétaires et le gouvernement refuse de mettre en place un nouveau train de mesure en 2013 pour rentrer dans les clous.

Or, en l'état actuel des choses, les engagements de réduction des déficits de la France et de l'Espagne ne pourront pas être atteints. Pragmatique, la Commission a en fait accepté un état de fait en accordant deux ans supplémentaires aux deux pays. Quant à l'Italie, Olli Rehn a promis une sortie de la procédure d'infraction pour déficits excessifs à condition qu'elle poursuive les réformes structurelles commencées par Mario Monti. De quoi donner un peu d'air à la troisième économie de la zone euro.

Pour masquer ce qu'elle a du mal à qualifier de revirement, elle a affirmé que des efforts ont déjà été faits et que la décision lui a été dictée par la mauvaise conjoncture. En réalité, elle reconnait sans le dire que l'austérité a des effets pire que prévu sur la croissance. Le sombre pronostic de Bruxelles pour la croissance en zone euro en 2013 est là pour en attester. Reste à savoir si ce revirement sera suffisant pour endiguer le mécontentement grandissant dans le sud de la zone euro. Car avec cette prise de position, l'assainissement budgétaire reste malgré tout de mise, et la défiance vis-à-vis de l'Union européenne est déjà bien ancrée dans les opinions publiques.