Roland Lescure (LREM) et Samuel Cette (CPME) : combien la crise des Gilets Jaunes a coûté à l'économie ?

Par Propos recueillis par Patrick Cappelli  |   |  1234  mots
Roland Lescure (LREM) et Samuel Cette (CPME) (Crédits : Marie-Amélie Journel)
La mission parlementaire « impact Gilets Jaunes » a évalué les conséquences sociales, économiques et budgétaires des manifestations. Roland Lescure, député et président de la commission des affaires économiques de l'Assemblée Nationale, en explique les modalités et Samuel Cette, président délégué de la CPME Occitanie, décrit ce qu'il en attend pour les TPE et PME.

LA TRIBUNE - Pourquoi avoir initié cette mission parlementaire « impact Gilets Jaunes » ?

ROLAND LESCURE - C'est lors d'une conversation avec Richard Ferrand (président de l'Assemblée Nationale) au mois d'avril que j'en ai eu l'idée. C'est une mission transpartisane avec des députés d'autres partis comme Damien Abad de LR qui en est le président. J'avais trois objectifs : donner la parole à ceux qui étaient en première ligne -commerçants, employés municipaux, policiers, etc. - évaluer les coûts économiques et budgétaires, et regarder s'il était possible d'adapter certaines des mesures déjà annoncées pour aider les gens affectés. J'avais aussi l'impression que certaines villes comme Rouen, Toulouse ou Bordeaux étaient particulièrement touchées. C'est pourquoi, dès le début, nous avons souhaité sortir de Paris et aller sur le terrain, tout en auditionnant des acteurs dans la capitale (représentants des entreprises, l'association des commerçants des Champs-Elysées, la Mairie de Paris, etc.).

Quelles sont les conclusions de ce rapport ?

RL - J'ai été vraiment impressionné par la solidarité entre les acteurs publics et privés, on se serre les coudes, et aussi par l'adaptabilité et la résilience des personnes concernées.

Avez-vous des indicateurs chiffrés de ces répercussions économiques et sociales du mouvement des Gilets Jaunes ?

RL - Le mouvement n'est pas terminé et les défaillances d'entreprise sont un processus long qui va continuer dans les semaines et les mois à venir. Il s'agit d'un bilan d'étape d'une mission qui va se prolonger jusqu'à la fin de l'année. Il existe des chiffrages macroéconomiques : 0,1 à 0,2 % point de PIB en moins, 75 000 personnes issues de 5 100 entreprises touchées par le chômage partiel. Mais c'est juste la partie visible de l'iceberg. Les compagnies d'assurances ont déjà payé 217 millions de primes, l'UMIH (Union des Métiers et des Industries de l'Hôtellerie) a estimé les pertes du secteur à 850 M€, les commerçants grands et petits évoquent 2,5 M€ de chiffre d'affaires en moins. Ce sont des chiffres énormes.

Existe-t-il des conséquences autres que financières ?

SAMUEL CETTE - Les commerçants sont évidemment touchés dans leur activité. Mais la clientèle aussi. Les gens ont pris l'habitude de ne plus venir le samedi dans les centres-villes. Il faut savoir que les commerces de coeur de ville ne disparaissent jamais, car leurs emplacements premium passent de main en main, et la plupart du temps dans celles des grands groupes qui ont les moyens de les racheter. Il n'y aura donc pas ou peu de répercussions en termes d'emploi mais une modification substantielle de la nature de ces commerces de centre-ville. Et cela risque d'entraîner un report des consommateurs vers les grandes surfaces de périphérie et le e-commerce.

Quelles mesures allez vous demander au gouvernement ?

RL - D'abord, parfaire les moyens de collecte des informations sur les défaillances d'entreprises. Ensuite, une prolongation des mesures existantes. Enfin, nous souhaitons privilégier des exonérations plutôt que les délais de paiement en vigueur. Certaines entreprises qui risquent de mettre la clé sous la porte font face à des risques existentiels. Mais il faut que ces dispositifs ne soient pas qualifiables en aides d'Etat par la Commission Européenne. Par ailleurs, les compagnies d'assurance ont remboursé les dommages, mais les garanties pour pertes d'exploitation sont complexes et très chères, et très peu d'entreprises touchées y ont droit. Nous allons leur demander de repenser ces garanties. Et il y a aussi une réflexion plus large à mener sur la revitalisation des centres-villes.

SC - Mais pour définir ces nouvelles aides, il va falloir se mettre autour d'une table et dire : pour quel code NAF (nomenclature d'activité française, délivré par l'INSEE), quel secteur géographique, quelle rue. C'est une usine à gaz, on ne s'en sortira pas. Je préfère évoquer les impôts de production comme la CFE (cotisation foncière des entreprises, qui a remplacé la taxe professionnelle), une taxe qui s'applique à la valeur locative du bien que l'on occupe. À la CPME31, nous avons créé Odette (Observatoire des taxes territoriales d'entreprise) qui montre que deux tiers des CFE sont fausses. Le taux avait pour base la valeur locative de 1971. Une base qui a été revalorisée sans que le taux ne soit baissé : la hausse est si importante qu'elle a été étalée sur dix ans ! C'est une véritable bombe fiscale. Or, nos entreprises sont sous capitalisées, avec peu de trésorerie et donc pas de lignes de crédit.

Au-delà de ses conséquences, comment éviter un phénomène comme les Gilets Jaunes ?

RL - Il y a le court, le moyen et le long terme. Pour le court terme, tous les préfets ont été confrontés au dilemme suivant : faut-il ou non interdire les manifestations ? C'est un choix difficile. À Rouen, en mars, le préfet a décidé d'interdire et ça a calmé le jeu. Mais cela aurait peut-être enflammé la situation un mois plus tard ... Concernant le moyen terme, nous avons pris des mesures, comme les maisons France Service, un guichet unique des services de l'Etat dans les territoires (impôts, Pôle Emploi, caisse d'allocations familiales, etc.), que j'ai proposé au Président sur le modèle du Canada où ça fonctionne bien. Sans oublier les 10 milliards d'euros débloqués par le gouvernement et les propositions issues du Grand Débat. Mais le vrai sujet, c'est le long terme et la réduction de la fracture territoriale et sociale. La globalisation et la révolution numérique ont créé des gagnants et des perdants. Le défi des politiques est d'intégrer ceux qui s'estiment perdants grâce à la formation, les infrastructures de transport, la couverture numérique.

SC - En Occitanie, il y a une frange d'activistes qui vient faire le coup de poing à Toulouse contre les CRS et le bourgeois. Or, il n'est pas possible qu'un État comme le nôtre ne puisse pas neutraliser ces personnes parfaitement organisées. Il y a eu un moment de flottement dans la réaction de la force publique pendant lequel des commerçants ont parlé de s'armer. Je pense que ce mouvement ne va pas s'arrêter et peut-être même durer pendant tout le quinquennat.

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NOTE

Damien Abad (LR, Ain), président de la mission d'information sur les coûts économiques, sociaux et budgétaires des blocages, violences et dégradations commis en marge du mouvement des « gilets jaunes », Roland Lescure (LREM, Français de l'étranger) et Jean-René Cazeneuve (LREM, Gers), rapporteurs, présentent mercredi 17 juillet 2019 les conclusions de leurs travaux.

A l'initiative de  Roland Lescure, président de la commission des affaires économiques, la mission « Impact Gilets jaunes » a été lancée le 9 mai dernier pour dresser l'inventaire et les évaluations afin que soit connu le prix des dégâts commis en marge du mouvement des gilets jaunes, ainsi que leurs répercussions sociales, économiques et budgétaires. Cette mission d'information réunit des députés issus de la commission des affaires économiques et des finances. Elle a auditionné de nombreux acteurs liés aux secteurs concernés: tourisme, artisanat et commerce, assurances, banques, emploi et travail, sécurité, santé... et s'est rendue à Rouen, Toulouse et Bordeaux, villes fortement impactées par les manifestations.