Avec son obligation verte, la France veut peser sur la finance climat

Annoncée par François Hollande lors de la dernière conférence environnementale en avril dernier, voici enfin lancée l’obligation d’Etat française. D’un montant qui pourrait approcher les 10 milliards, elle a vocation à dynamiser le marché des obligations vertes émises en euros.
Dominique Pialot
Ce jeudi 3 janvier 2017, la ministre Ségolène Royal annonçait -conjointement avec le ministre des Finances Michel Sapin- que la France lançait sa première obligation d'Etat verte. « Avec cette obligation en euros, nous espérons susciter l'engouement d'autres Etats européens, ou d'autres entreprises, pour plus d'obligations, encore plus vertes et plus responsables », souligne Michel Sapin..

Ségolène Royal balaie d'un revers de la main l'obligation d'Etat lancée en décembre par la Pologne, qui lui a ainsi grillé la politesse. Inscrit en filigrane dans la loi de transition énergétique, le projet français d'obligation verte souveraine, présenté comme une première mondiale, avait constitué l'une des rares annonces de la Conférence environnementale d'avril 2016, avant d'être confirmé conjointement par Michel Sapin et Ségolène Royal en septembre dernier.

Initiées en 2007 par des émetteurs supranationaux tels que la Banque mondiale ou la Banque européenne d'investissement (BEI), les obligations vertes (ou green bonds) ont ensuite séduit des banques nationales, puis des collectivités (Ile-de-France, Nord-Pas-de-Calais notamment, mais aussi Paris, New York...). Les entreprises ont suivi, telles que, pour la France, les pionnières EDF et Engie ou, plus récemment, SNCF Réseau. Mais, jusqu'à la Pologne il y a quelques semaines, aucun Etat n'avait encore directement émis d'obligation souveraine verte. Pas même la Chine, malgré les initiatives de certaines de ses banques publiques.

10 milliards de dépenses éligibles identifiées

Or les ambitions françaises sont sans commune mesure avec l'obligation verte de 750 millions d'euros sur cinq ans annoncée en décembre par la Pologne. L'Agence France Trésor (passée, selon Michel Sapin, d'une « hésitation suspicieuse » à une hésitation bienveillante » pour finir par un « enthousiasme dans l'action ») ne souhaite pas divulguer d'objectif chiffré. Pas avant le roadshow qui doit d'ici à la fin du mois l'emmener devant les investisseurs français dans les prochains jours, mais aussi les fonds de pension et autres assureurs européens intéressés par la finance verte, et même en Asie, d'où lui sont parvenues des marques d'intérêt. Mais cette obligation assimilable d'Etat (OAT)  émise par syndication et d'une maturité de 15 à 25 ans a vocation à financer des projets triés sur le volet par un groupe de travail réunissant les ministères de l'Economie et des Finances, de l'Environnement, de l'Agriculture, de la Recherche, et du Commissariat général à l'investissement. Or le montant global de ces dépenses vertes éligibles (choisies parmi des dépenses du budget de l'Etat ou figurant dans le programme des investissements d'avenir) s'élève à 10 milliards d'euros.

Contribuer au bon fonctionnement du marché en euros

Cet ordre de grandeur est de nature à changer la donne sur un marché des green bonds en pleine expansion, mais essentiellement émis en dollars. De 42 milliards de dollars en 2015, il devrait atteindre les 100 milliards en 2016.

« Avec cette obligation en euros, nous espérons susciter l'engouement d'autres Etats européens, ou d'autres entreprises, pour plus d'obligations, encore plus vertes et plus responsables », confie ainsi Michel Sapin, qui souligne que cette obligation verte devra permettre à la France de se financer au même coût, voire à un coût moindre, qu'avec des OAT classiques. « Nous pourrions bénéficier d'un effet de marché avantageux, lié aux règles qui suscitent de la demande verte», se prend-il à espérer.

Avec cette obligation verte, la France, déjà à l'origine de 20% des émissions mondiales de green bonds, entend contribuer au bon fonctionnement du marché grâce à la grande qualité de crédit et à la liquidité de l'actif.

Eviter à tout prix les soupçons de greenwashing

Pas question pour autant de prêter le flanc aux soupçons de greenwashing qui menacent un secteur dépourvu de standard officiel. Jusqu'à présent, les obligations émises répondent à des critères adoptés sur la base du volontarisme, dans le cadre des Green Bond Principles (GBP) et de la Climate bond initiative (CBI), dont découle également le label français TEEC (transition énergétique et écologique pour le climat), identifiant des fonds d'investissement spécialisés sur ces secteurs. Mais de l'avis de nombreux observateurs, à commencer par les ONG, cela demeure insuffisant et constitue un frein à un développement plus rapide encore des green bonds.

Dans ce contexte, le gouvernement met tout en œuvre pour garantir une exemplarité aussi bien ex-ante qu'ex-post. En amont, l'agence de notation extra-financière Vigeo-Eiris a attribué à l'OAT son meilleur niveau d'assurance. Jusqu'à l'allocation totale des fonds, l'Etat publiera un reporting annuel sur l'allocation des fonds et la performance des dépenses éligibles. Plus original, il rendra également public un reporting sur les impacts environnementaux de ces dépenses, validé par un conseil d'évaluation de l'obligation verte créé à cet effet. Ce dernier, dont la composition sera connue d'ici la fin du premier trimestre, devrait se composer de six à huit experts internationaux de la finance climat nommés pour trois ans, capables de traduire l'impact environnemental précis de chaque investissement.

Hydroliennes, satellites, économie circulaire...

Les dépenses vertes éligibles sélectionnées concernent à la fois des dépenses fiscales, d'intervention, d'investissement et de fonctionnement contribuant à la lutte ou l'adaptation au changement climatique, la protection de la biodiversité, et la lutte contre la pollution et portant sur des actifs tangibles (infrastructures) ou non (recherche). En sont naturellement exclus les secteurs des énergies fossiles, des dépenses militaires, mais aussi du nucléaire, du transport et de la gestion d'électricité. Exclues également les dépenses qui pourraient figurer dans les propres obligations vertes d'émetteurs publics (AFD, CDC, etc), ainsi que toute dépense financée par une ressource identifiée comme c'est le cas du soutien aux énergies renouvelables, avec la taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques (TICPE). On y trouve, pêle-mêle, le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE), le programme « Ville de demain-Ecocités », la route solaire, des investissements d'avenir dédiés à la filière hydrolienne et d'autres à l'économie circulaire, le développement des aires marines protégées, le soutien à l'agriculture biologique, de la recherche sur la mesure et la prévention de la pollution au sein de l'initiative européenne ACTRIS ou encore le programme européen d'observation satellitaire de la terre Copernicus.

Avec cette initiative que Ségolène Royal qualifie « d'action crédible, forte et stable », car tous les outils nécessaires à sa mise en œuvre sont déjà en place, Paris compte bien  jouer la carte de la finance verte pour se distinguer dans une Europe de la finance post-Brexit.

Dominique Pialot
Commentaires 6
à écrit le 12/01/2017 à 12:49
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C EST VRAIS QU IL FAUT DE L ARGENT POUR METRE EN PLACE L ECONOMIE ECOLOGIQUE NOUVELLES . LE PHOTOVOLTAIQUE L HYDROLIQUE LES EOLIENNES LA BIOMASE AFIN DE LUTTE CONTRE LE LOBY NUCLAIERE/ MAIS QU A FAIT HOLLANDE EN 5 ANS CONTRE LE NUCLAIERE CONTRE LES...

à écrit le 04/01/2017 à 4:38
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Excellente initiative d'Etat qui va dans le bon sens. A noter que les énergies renouvelables entre autres sont elles déjà financées par les obligations vertes privées. Il est effectivement essentiel d'accélérer le développement du secteur hydrolien q...

à écrit le 04/01/2017 à 0:27
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Spécialité de l'Etat Cigale : emprunter en émettant chaque jour des obligations pour ses dépenses quotidiennes. Tel un foyer emprunterait chaque jour pour payer l'eau, les courses à la supérette. 2200 Milliards d'euros de dette, pour tous,nouveaux né...

à écrit le 03/01/2017 à 21:16
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Moi, le chocolat, c'est pour le magnesium que j'en achète et que j'en mange... Bien sur...

à écrit le 03/01/2017 à 19:50
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L'AMF n'est pas compétente pour suivre ce type de produits et donc rassurer les épargnants sur son sérieux ?

à écrit le 03/01/2017 à 19:18
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Très bonne initiative, même si un peu tardive. Cela veut dire que l'argent profitera au prochain gouvernement ? Par contre l'exclusion des énergies renouvelables du dispositif n'est pas très logique. Il y a encore tellement à faire, notamment en r...

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