
Le gouvernement d'Edouard Philippe ouvre ce vendredi la concertation avec les partenaires sociaux, comme convenu dans son programme, pour fixer dans le détail la réforme du code du travail qu'il compte finaliser avant l'automne. L'objectif affiché est de donner plus de fluidité au marché du travail afin de réduire le chômage.
Officiellement, plusieurs mesures sont sur la table, déjà énoncées par le président Emmanuel Macron, alors candidat. Il s'agit notamment de l'inversion de la hiérarchie des normes, en faveur des accords d'entreprise, et l'instauration d'un barème obligatoire sur les indemnités prud'homales. Des révélations successives dans la presse cette semaine laissent penser que l'exécutif pourrait avoir quelques idées en tête pour aller plus loin dans son projet.
Ces intentions ne rassurent pas Emmanuel Dockès, professeur de droit du travail à l'université Paris-Ouest Nanterre. Il analyse pour La Tribune les possibles conséquences de la réforme en cours et rappelle les mesures alternatives de la "Proposition de code du travail", publiée par le GR-Pact (Groupe de recherche pour un autre code du travail), qu'il coordonne. L'ouvrage a d'ailleurs été remis "en mains propres" au président de la République, au Premier ministre et à la ministre du Travail, sans réponse à ce jour.
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LA TRIBUNE - Le cœur du projet de l'exécutif est de renforcer les accords d'entreprise, qu'en pensez-vous ?
EMMANUEL DOCKÈS - Cette proposition est la moins originale qu'on puisse faire, car c'est ce qui est pratiqué continuellement depuis trente ans. Plus d'une vingtaine de textes avancent dans ce sens. Pour ce qui est du dernier quinquennat, on peut citer : la loi Travail, la loi Rebsamen, la loi de sécurisation de l'emploi et la loi Macron. L'argument avancé en faveur de cette réforme est qu'il faut prendre en compte la particularité des situations concrètes dans les entreprises. Tout le monde est d'accord sur ce point, la négociation collective a toujours servi à cela.
En revanche, la question s'est inversée : est-ce qu'il faut aussi conserver un socle de règles communes ? De réforme en réforme, aujourd'hui, c'est l'existence d'un socle commun de protections qui est en question car il fond comme peau de chagrin, du fait des gouvernements successifs.
Alors, que faut-il garder ? Le socle actuel est très friable. Avec les conventions collectives, les possibles vont déjà, d'après moi, au-delà de ce qui paraît décent. Par exemple, on peut faire en sorte que les heures supplémentaires soient payées tous les trois ans... Mais faut-il en rajouter ? Je pense qu'il serait mieux de mener une réflexion sur la teneur des règles plutôt que de réfléchir à leur destruction.
Le GR-Pact propose de supprimer les dispositions qui font de la loi et des accords de branches des règles subalternes, soit l'inverse de ce qu'envisage le gouvernement. Pourquoi ?
Donner trop d'influence aux conventions collectives d'entreprises par rapport à la branche pose un problème de concurrence déloyale. Dans un secteur donné, si une entreprise réussi à détruire des avantages sociaux, les autres devront suivre, au risque de perdre de leur compétitivité. Par exemple, dans la métallurgie, il existe des primes de salissure. Si une entreprise obtient la destruction de cet avantage, les autres voudront faire de même, il y aura un effet d'entraînement. C'est du dumping social et la convention collective de branche a vu le jour pour contrer ce phénomène.
Il y a une idéologie forte qui consiste à penser que tout doit aller à l'entreprise. La philosophie du GR-Pact est que le code du travail est bâti sur plusieurs sources : la loi, la branche et l'entreprise. Chacun de ces niveaux a une utilité sociale profonde, qu'il faut conserver. Le droit du travail est un socle qui a pour but de protéger les faibles. Si vous ne faites des règles que pour ceux qui sont en position de force dans la négociation, vous aboutissez à une situation désastreuse. La loi doit être calibrée pour un socle de protection - ça ne veut pas dire qu'elle doit tout définir, mais protéger un minimum.
Au lieu d'imposer un barème sur les indemnités prud'homales, vous proposez une "procédure de résolution judiciaire" : en quoi consiste-t-elle ?
Sur la question des prud'hommes, il y a deux situations. Dans le cas d'un employeur qui a une bonne raison de licencier, il doit être sécurisé, c'est un besoin légitime. C'est pourquoi, au GR-Pact, nous proposons de mettre en place un système de sécurité juridique, via une procédure plus efficace et plus courte comme la résolution judiciaire. En clair, avant de prononcer un licenciement, un employeur peut saisir le juge pour savoir si le motif -la cause réelle et sérieuse qu'il projette pour justifier la rupture du contrat- est valide ou non. De son côté, le juge doit donner une réponse rapide. Aujourd'hui, il y a un réel problème d'accès au droit, c'est pour ça qu'on a proposé un code du travail divisé par quatre. Avec ce système, on ouvre une sécurité pour les employeurs. Le gouvernement ne veut pas simplifier mais rajouter encore des dispositifs.
En revanche, dans le cas d'un employeur qui licencie un salarié pour un motif injustifié [au sens de la convention 158 de l'OIT, dont le Medef demande la sortie, Ndlr], nous prévoyons des sanctions dissuasives, parce qu'il y a violation de la loi et que cela ne doit pas être encouragé.
Or, l'argument du gouvernement est que ça coûte trop cher de prendre un salarié. C'est une revendication très ancienne du patronat. Mais, si on fixe un barème sur les dommages et intérêts suite à un licenciement abusif, cela encourage des comportements prédateurs. Autrement dit, ceux qui ont les moyens pourront se permettre de racheter des concurrents et piquer leurs brevets ou les couler, puisqu'ils sauront combien ça coûte. C'est encourager les employeurs voyous qui pourront licencier sur un coup de tête, sans respecter aucune procédure, car ils sauront combien ça coûte.
Le gouvernement prévoit également la fusion des instances représentatives du personnel. Qu'est-ce que cela implique ?
Il est vrai qu'il existe beaucoup d'instances, c'est une spécificité française et, au GR-Pact, nous ne sommes pas contre simplifier cela. Nous proposons d'ailleurs une fusion de la délégation du personnel et du comité d'entreprise, tout en conservant le nombre d'élus et les fonctions des délégués du personnel, qui ont à charge les problématiques individuelles des salariés. Autrement dit, la simplification ne peut se faire qu'à condition de préserver les compétences collectives et individuelles des élus et de conserver le nombre d'élus.
Ce n'est pas du tout ce que semble vouloir faire le gouvernement. Dans la réforme, il est question de fusionner le comité d'hygiène, de santé et des conditions de travail (CHSCT), ce qui est une grave erreur. Les fonctions de sécurité sont spécifiques. Si on supprime les élus spécialistes, on peut mettre les salariés en danger.
Ces élus, ce ne sont pas n'importe qui, ils ont une expertise. Passer par des élections générales implique que l'on ne parle que de questions générales, et cela pourrait nuire, voire faire disparaître cette spécialité, cette expertise. L'avant-projet de loi révélé par Le Parisien montre que, même si ce n'est pas sur la table, ils y ont pensé. Si on regarde le programme de travail du gouvernement, il est écrit qu'il faut "prévoir des adaptations sur les questions de sécurité et de santé", ce qui laisse penser que la santé et la sécurité pourraient devenir négociables. On n'aurait même plus de garantie sur la sécurité et la protection des personnes. Aucun pays ne fait ça.
Sur les révélations parues dans la presse, justement, il est question d'une négociation au niveau de l'entreprise des termes du contrat de travail. Est-ce légal?
Si c'est vraiment ce qui est prévu, c'est la porte ouverte à des violations du droit européen. On critique souvent l'Europe comme la cause de la destruction du droit du travail, c'est faux. Sur cette question du contrat de travail, une directive européenne de 1999 réglemente la succession abusive de CDD (contrats à durée déterminée).
Si cela venait en application, cela revient à libéraliser le droit du travail précaire en France. On observe déjà une précarisation importante des salariés. Appliquer ce genre de réforme revient à précariser davantage les précaires et à fragiliser les CDI (contrats à durée indéterminée), d'abord avec la barémisation des indemnités aux prud'hommes, mais si, en plus, des causes préétablies de licenciement sont fixées à chaque entreprise, cela signifie qu'un employeur pourra licencier comme il veut. Tout deviendrait négociable, y compris le motif de licenciement.
Puisque le ministère du travail porte plainte contre X et s'en prend indirectement à un journal, après la publication de "pistes" concernant la future réforme du code du travail.
A se demander ce qu'il y avait de si important dans ce projet pour engendrer une telle réaction. C’est bien de négociation sur les contrats de travail et pas de contrats militaires dont il s’agit ?
C'est contradictoire.
Alors que l’on a un exemple de volonté d’ouverture de l’administration, voila qu’ils se trouvent réprimandés.
Moi qui pensais que la volonté était d'aller vers le progressisme et le libéralisme et voila que des journalistes et des fonctionnaires risquent le procès.
Et pourquoi pas le goulag tant qu’on y est ?
Tout le monde sait que les réformes vont être difficiles et qu’aucun faux pas ne sera pardonné, ni par la gauche ni par la droite, mais il ne faut pas confondre travail collaboratif et collectivisation. Sinon autant créer directement un politburo.
C'est pour plaisanter bien sur, il ne faut pas faire ça !
Franchement je préfère Libé à la Pravda. d'ailleurs s'ils sont attaqués en justice, ils devraient changer de titre.
Le prétendu modernisme de Macron s'habille vite de la parure libérale!
Il s'agit de consultations et non de négociations et pour finir des ordonnances.
Cela commence mal pour les réformes et cela devient même inquiétant.
Aussi bien sur le fond que sur la forme, c'est déjà une déception, car à quoi bon élire un candidat représentatif d'un équilibre et d'une pluralité, si c'est pour se retrouver avec des méthodes purement autocratiques.
Cela donne même l'impression que le gouvernement veut se dispenser du juridique, sinon de la justice ? Or le fondement principal de la démocratie est le droit, avec des institutions juridiques et des mécanismes de contrôle indépendants.