Fraude au chômage partiel : «Entre l'erreur et les faux, la réponse sera graduée»

INTERVIEW. En France, 12 millions de salariés ont bénéficié du chômage partiel à la mi-mai, selon la Dares. Or, des entreprises recourent au chômage partiel tout en faisant travailler leurs salariés à plein temps. Une fraude contre laquelle l'Etat veut sévir. La Tribune fait le point sur ses contrôles et sur les bonnes démarches à suivre, avec Déborah Attali, Associée et Vincent Roulet, Avocats (Eversheds Sutherland)
(Crédits : Reuters)

Alors que 12 millions de salariés ont bénéficié du chômage partiel mi-mai, selon la Dares, le gouvernement a annoncé un renforcement du contrôle des demandes pour détecter les fraudes intentionnelles, passibles de sanctions pénales et administratives.

LA TRIBUNE - Quelles entreprises sont concernées par les contrôles ?

DÉBORAH ATTALI, VINCENT ROULET - Le ministère du travail a donné des instructions précises aux organismes en charge du contrôle et, au premier plan, aux Direccte. Les "cibles du contrôle" - ce sont les termes employés par la direction générale du travail - sont les "entreprises ayant présenté des demandes d'indemnisation sur la base de taux horaires élevés", les "secteurs fortement consommateurs d'activité partielle, notamment le BTP, les activités de services administratifs, de soutien et de conseil aux entreprises" et enfin les entreprises employant une majorité de cadres lesquels peuvent a priori exercer leurs fonctions en télétravail.

A ces objectifs principaux, le ministère apporte deux précisions. D'une part, chaque Direccte doit fixer ses propres objectifs au regard des spécificités économiques locales; d'autre part, notamment pour des raisons d'égalité entre les entreprises, une fraction de contrôle aléatoire doit être réalisée.

Quelles sont les principales fraudes identifiées ?

Le ministère a listé les faits visés par ces contrôles. Il s'agit, dans des formes diverses, de toutes les hypothèses dans lesquelles la déclaration d'activité partielle s'est avérée erronée ou, plus gravement, de celles dans lesquelles le salarié placé en activité partielle et pour lequel un remboursement a été demandé a travaillé durant cette période. A cela s'ajoutent les petits arrangements, tel le gonflement du taux horaire. L'administration est toutefois consciente de la différence de gravité entre les comportements qu'elle va rencontrer. Entre l'erreur matérielle et la production de faux, la réponse sera graduée.

Peut-on parler d'effet d'aubaine du chômage partiel ?

Que certains employeurs, « petits malins », aient cru que Noël était en mars cette année, c'est probable. Que des salariés y aient trouvé leur compte et n'aient pas montré beaucoup d'ardeur au travail, c'est probable également. Il est difficile toutefois de parler d'effet d'aubaine à propos d'un dispositif qui a sauvé plusieurs dizaines de milliers d'entreprises, et plusieurs millions d'emplois. D'où la nécessité vitale de pourchasser ceux qui ont profité indument d'un régime si précieux pour la collectivité.

Lire aussi : Le dispositif de chômage partiel évoluera à partir du 1er juin

Ces fraudes vont-elles ralentir avec l'abaissement de la prise en charge par l'Etat de 60% du salaire brut annoncé fin mai ?

L'intérêt de frauder va évidemment décroître à mesure que l'espérance de gain va diminuer. D'autant que, on peut l'espérer, l'activité va repartir en parallèle et que les contrôles vont aboutir aux premières sanctions qui auront vraisemblablement une grande publicité. L'effet attendu de la diminution est toutefois ailleurs. Il s'agit très clairement de remettre au travail les salariés qui se sont accommodés de la situation et ne sont pas pressés de retourner au bureau. Ils auront désormais un coût pour leur employeur, lequel sera peut-être moins conciliant.

Que risquent les entreprises qui fraudent ?

Le risque principal ou, plutôt, celui qui se réalisera le plus souvent, c'est l'erreur commise dans la déclaration des heures, plus par suite d'une opportune inattention que par une volonté claire de frauder. La sanction se limitera alors à un remboursement des sommes indûment perçues et à un blocage des sommes en cours de payement. En revanche les fraudes plus prononcées, par exemple une sous déclaration organisée des heures travaillées, peuvent donner lieu à des sanctions pénales lourdes, au titre du travail dissimulé, de l'escroquerie ou de l'infraction spécifique prévue aux articles L. 5124-1 du Code du travail et 441-6 du Code pénal de fraude à l'activité partielle qui est réprimée de deux années d'emprisonnement et de 30.000 euros d'amende.

Quels conseils donneriez-vous aux entreprises pour se mettre en conformité ?

Pour les non fraudeurs, il s'agit bien sûr de de comptabiliser correctement le temps de travail et le temps de non travail des collaborateurs. C'est un point essentiel. Il s'appuie sur un document qui résume la totalité des horaires de tous les collaborateurs. Les agents de contrôle doivent avoir un décompte précis des heures travaillées. Des ajustement seront possibles, mais cela révélera tout de suite le sérieux ou non de l'employeur.

Il faut ensuite avoir les éléments de preuve à l'endroit de l'Urssaf et fournir des pièces justificatives. Il s'agit d'être en mesure de prouver que les collaborateurs n'ont pas travaillé pendant cette période.

Tout dépend de l'entreprise comment elle est organisée. L'entée sur site de manière électronique avec un système d'entrée. Les emails seront ensuite un indicateur. Il ne s'agit pas d'imprimer tous les emails. Les agents de contrôle vont parcourir les boîtes mail des dirigeants. Entendons-nous, l'employeur est d'abord présumé de bonne foi par les agents de contrôle : cela sera que lorsque l'entreprise a menti, soit dans la demande qu'il a formulé, ou bien par la suite lorsqu'il a présenté des demandes de remboursements que des preuves pourront lui être demandées.

Il y a une différence entre ce qui va être fourni par l'entreprise et ce que les agents de contrôle vont devoir aller chercher.

Ces preuves sont principalement relatives à l'accès aux locaux, aux reporting des salariés. Souvent elles se présentent sous la forme de time-sheet. Pour les entreprises qui disposent de système d'électronique à l'entrée, c'est bien sûr un moyen de prouver l'absence.

Quelles sont les erreurs possibles sur les déclarations ?

Sur la demande de chômage partiel, l'acte n'est pas particulièrement compliqué à remplir. Sur le volume d'heures chômées, ce sont des indications générales. Techniquement, à la marge, il peut y avoir des erreurs, notamment sur le système de temps de travail auquel telle catégorie de salariés est soumise (35, 39, 40h etc.).

En revanche lors de la demande de paiement, beaucoup d'erreurs techniques peuvent être faites. Tout simplement parce que le calcul de l'indemnité est particulièrement compliqué. Les modalités de calcul vont dépendre de beaucoup de cas de figures (forfait jour, semaine, année). Il y a aussi des rémunérations variables à prendre en compte. Ou encore un système d'annualisation avec parfois des rattrapages répartis dans l'année. Le décompte précis d'heures chômées n'est pas si simple que cela. La question est souvent : où fixer la différence entre la base du salarié et sa mise en activité partielle ? Quelle est la rémunération de référence ? Est-ce bien la somme que l'employeur devait à son salarié ?

D'ailleurs, les erreurs peuvent aussi venir des organismes de recouvrement. L'important est donc d'avoir un bon prestataire de paie; ce n'est pas si facile à trouver. Ceux-ci ont du appréhender une législation à laquelle ils n'avaient jamais été confronté. En outre, les entreprises peuvent être assurées sur ces erreurs, reportant la responsabilité sur les gestionnaires de paies. Sans oublier la faute de frappe dans la déclaration; des erreurs purement matérielles.

Il y a aura des corrections mais elles ne seront pas forcément en défaveur de l'entreprise. On va distinguer les fraudeurs et les erreurs matérielles.

Beaucoup de chefs d'entreprise prennent leurs décisions d'organisation en fonction du calendrier du chômage partiel livré au compte-goutte par le gouvernement. Une telle dépendance dans la réorganisation est-elle risquée ? Quels sont les scénarios que peut anticiper l'entreprise ?

Que le calendrier de l'activité partielle influe sur le comportement des entreprises, c'est certain. D'autant que celles-ci ont besoin de temps pour mettre en œuvre la reprise du travail et craignent les risques associés à une reprise précoce - responsabilité de l'entreprise au titre de son obligation de sécurité. Nous constatons toutefois que c'est l'activité économique qui commande principalement le comportement des entreprises, laquelle activité reprend progressivement. A notre sens, la voie choisie par le gouvernement, une reprise en douceur est pertinente : d'autres étapes, jusqu'au retour à la situation d'avant, sont à prévoir.

Aussi longtemps que le Gouvernement privilégiera le télétravail et, ce faisant, n'approuvera pas un retour massif sur les lieux de travail, les entreprises ne procéderont qu'à une reprise « timide ». D'autant qu'un nombre important de salariés demeureront dans le même temps soumis à des contraintes en ce qui concerne la garde d'enfants

Ensuite, l'adaptation des lieux de travail en vue de permettre le retour de tous les salariés n'est pas encore réalisée, loin s'en faut dans toutes les entreprises. Il faudra vraisemblablement attendre fin juin pour qu'effectivement toutes les entreprises soient prêtes. Celles-ci ne peuvent donc pas précipiter le retour des collaborateurs, d'autant, d'ailleurs, que leur carnet de commande ne le justifie pas toujours.

Et puis, d'une manière ou d'une autre, il faudra faire gérer les vacances en juillet et en août. Il n'est pas dit que les salariés soient prêts à y renoncer (et il n'est pas dit qu'un tel renoncement soit d'ailleurs utile au pays eu égard au sinistre subi par le secteur touristique). Pendant l'été, nous risquons donc d'avoir une reprise en pointillé du travail avec d'un côté les salariés toujours arrêtés soit pour des motifs personnels (garde d'enfant) soit pour des motifs économiques (chute d'activité) et, de l'autre côté, les salariés qui prennent leurs congés (presque) comme si de rien n'était.

Au final, il n'y a guère qu'en septembre que l'on peut espérer retrouver à la fois les salariés et les entreprises effectivement prête à repartir normalement. Mais, d'ici là, les entreprises auront commencé à faire les comptes : et la diminution des heures de travail découlant d'une reprise trop timide risque fort de se traduire non plus par des mesures temporaires, mais par des licenciements économiques.

Lire aussi : Covid-19 : les déclarations d'embauche en chute libre, le spectre du chômage s'accentue

Commentaires 2
à écrit le 04/06/2020 à 13:24
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Les fonctionnaires ont ils eu recours au travail partiel ? Si non, encore une inégalité....

à écrit le 04/06/2020 à 9:07
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De mars à mai des millions de fonctionnaires ont été payés 100 % de leur salaire à ne rien faire (dans les mairies le taux de fonctionnaires opérationnels étaient souvent de 10 % des effectifs) Que compte faire le gouvernement face à cela ? Entre des...

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