Gérald Darmanin : "L'Etat n'a pas su former les agents publics"

Par Propos recueillis par Philippe Mabille  |   |  1613  mots
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Lors de la matinale de la FNTP qui a eu lieu le 27 mars dernier, le ministre de l'Action et des Comptes publics Gérald Darmanin revient sur les réformes du gouvernement.

LA TRIBUNE - Vous avez eu la chance d'arriver au moment où le cycle économique redémarre. Le déficit public est passé sous la barre des 3%, à 2,6% l'an dernier, ce qui amène certains à poser la question de l'utilisation qui pourrait être fait de cette « cagnotte ». Que pensez-vous de ces demandes ?

GÉRALD DARMANIN - Nous connaissons de bonnes nouvelles avec des prévisions de croissance à 2% et de déficit public à 2,3% en 2018 dans le cadre du Programme de stabilité que nous avons présenté en Conseil des ministres le 11 avril avec Bruno Le Maire.

Mais sur l'amélioration des comptes publics, il faut rester prudent : la France a toujours le déficit le plus important de l'Union Européenne et nous sommes dans un contexte incertain au niveau international. Notre principal problème reste la dépense publique. Cela fait des années que nous avons des budgets en déséquilibre. Nous avions pris l'habitude de dépenser 125 quand on recevait 100 de recettes, soit 25% de plus. Aujourd'hui, alors que nous avons 101 de recettes, il faudrait dépenser 127 ?

Ce n'est pas comme cela qu'on s'en sortira. Il faut continuer de réduire la dette et le déficit, car la dépense publique fait naître des impôts et nous restons le pays d'Europe où ils sont les plus importants. Et faute d'avoir assez de recettes, nous empruntons, payons des intérêts et creusons la dette. Nous payons 42 milliards d'intérêts par an, plus que le budget de l'Armée. Ce cercle n'a rien de vertueux. Si nous n'utilisons pas cette amélioration relative pour nous désendetter, que ferons-nous le jour où il faudra affronter une nouvelle crise ? C'est pour cela que, quand j'entends le mot « cagnotte », je sors le revolver : le père Noël n'existe pas, même à Bercy.

Le Medef a demandé un nouveau moratoire pour le prélèvement des impôts à la source, en avançant les difficultés que cela occasionnerait pour les PME, que lui répondez-vous ?

En arrivant aux responsabilités, j'ai déjà décalé d'un an sa mise en place, notamment parce que les chefs d'entreprise m'ont expliqué qu'ils n'étaient pas prêts. Nous avons fait des expérimentations au cours de l'été dernier et j'ai pris à l'automne la décision de confirmer sa mise en place en 2019. J'ai conscience que cela exige des entreprises un effort de préparation, mais j'ai souhaité privilégier l'intérêt des contribuables pour qui ce sera un vrai progrès : près de 7 millions de foyers voient en effet leurs revenus baisser d'au moins 30% d'une année sur l'autre.

Payer l'impôt avec un an de retard les met en difficulté. L'impôt à la source sera une simplification bienvenue pour tout le monde, et lorsqu'il sera entré dans les mœurs, plus personne n'imaginera qu'on puisse faire autrement. Je ne suis pas d'accord avec ceux qui disent que les salariés vont avoir l'impression de voir leurs revenus diminuer : plus de 60% des Français sont déjà mensualisés et payent leurs impôts le 15 du mois. Les payer en fin de mois, lorsqu'ils touchent leur salaire, et sur leurs seuls revenus du mois, va les arranger considérablement.

Cette réforme fera-t-elle faire des économies à Bercy ?

Les économies qui seront réalisées sont difficiles à chiffrer, mais sur les 1.600 postes d'emplois publics qui seront supprimés cette année, 1.400 le seront dans mon Ministère. Par exemple, la poursuite de la dématérialisation de l'impôt permettra de diminuer les effectifs ou de les réemployer à d'autres missions.

 Vous avez baissé le taux de l'impôt sur les sociétés, mais les entreprises auraient aussi voulu la suppression des impôts sur la production qui empêchent les PME de grandir. N'avez-vous pas raté une occasion de faire une vraie réforme ?

En France, lorsqu'on souhaite baisser les impôts sur les entreprises, on a l'embarras du choix, et on peut toujours discuter de celui à baisser en priorité. Si on a baissé l'impôt sur les sociétés, c'était pour le mettre dans la moyenne des autres pays européens et rétablir la balance commerciale. Je constate que personne n'a demandé de le relever ! Le Président de la République a fixé un cap économique clair que nous tenons.

Le constat est qu'en France, il n'y a pas assez de capitaux qui vont s'investir dans les entreprises. C'est la raison pour laquelle nous avons créé la flat tax à 30% et supprimé la sur-fiscalisation de l'ISF qui était un impôt anti-investissement, tout en conservant, avec l'IFI, un impôt sur l'immobilier. Le but est de faire revenir les investisseurs dans notre pays et d'enrayer le départ des 1.000 contribuables qui le quittaient chaque année. Au total, je le rappelle, le Gouvernement a fait 10 milliards de baisse d'impôts cette année.

 En 2019, la transformation du CICE pour pérenniser la baisse des charges sociale aura un effet ressaut sur le déficit. Est-ce que la Commission accepte ce choix au moment où la France va peut-être sortir de la procédure pour déficit excessif ?

Quand nous sommes arrivés à Bercy avec Bruno Le Maire, la prévision de déficit pour 2017 était à 3,4% : en finissant l'année à 2,6%, nous avons donc gagné 0,8 points. Il faut rappeler que 0,1 point de déficit, c'est 2,2 milliards d'euros !

Et pourtant, il a fallu recapitaliser Areva, trouver 5 milliards d'économies en plein été, et 5 milliards d'euros pour réparer l'annulation de la taxe à 3% sur les dividendes votée sous François Hollande. Sans ces efforts nous serions au-dessus des 3% de déficits. Je suis le Ministre des contribuables, il m'appartient de dépenser l'argent public de façon utile et de ne pas laisser à celui qui me succédera des dossiers comme ceux que nous avons trouvés en arrivant.

Vous avez présenté fin mars un projet de loi de lutte contre la fraude fiscale. Quelles sont les principales mesures ?

Il est difficile d'estimer le niveau réel de la fraude fiscale et sociale, même s'il est probable qu'elle se chiffre en dizaines de milliards d'euros. Ce que je sais, c'est que tous les ans l'administration fiscale redresse entre 18 et 20 milliards d'euros auprès des particuliers et des entreprises, et que nous en récupérons entre 10 et 12 milliards.

Rappelons que s'il y a de la fraude, c'est sur les contribuables honnêtes que se reporte la charge : lutter contre la fraude est donc une mesure de solidarité et justice. Ce projet de loi vise à donner aux administrations, notamment le fisc, les moyens techniques et juridiques pour s'adapter à des fraudeurs de plus en plus ingénieux. Nous allons recruter à Bercy des data scientists pour être en mesure de mieux détecter des systèmes organisés de fraude et d'évasion fiscale.

Bercy va aussi se doter d'une police fiscale, qui pourra par exemple recourir aux écoutes téléphoniques : une cinquantaine d'officiers fiscaux judiciaires seront recrutés dans un premier temps, et placés sous l'autorité d'un magistrat. Nous allons aussi nous attaquer à ceux qui proposent des montages d'évasion fiscale : il faut sanctionner le fraudeur, mais aussi celui qui organise la fraude. Enfin, nous instaurerons le plaider coupable et le « name and shame » pour les grands fraudeurs.

Ministre de l'Action publique, vous attendez en avril le rapport de la mission CAP22. Quelle sera la méthode pour réduire comme annoncé de 3 points la dépense publique d'ici la fin du quinquennat ?

Réduire les budgets de 5% chaque année à coups de rabot n'est pas une solution. Il faut changer de paradigme en revoyant le périmètre même de l'action publique. CAP22 réunit des experts de la société civile, issus du privé et du public, chargés de proposer des solutions disruptives dans une vingtaine de domaines.

A partir de leur rapport, le Gouvernement proposera des réformes structurelles. Nous voulons changer totalement de logiciel pour faire des économies durables tout en améliorant la qualité du service public pour les citoyens.

Comment convaincre les fonctionnaires d'accepter ces transformations ?

Tous les métiers se transforment avec la révolution numérique, y compris dans la Fonction publique. Jusqu'ici, l'Etat a été un mauvais employeur : pas de vraie politique RH, progressions de carrières à l'ancienneté... Surtout, l'Etat n'a pas su former les agents publics. Nous allons consacrer 1,5 milliards à la formation pour préparer la Fonction publique aux métiers de demain.

La concertation avec l'ensemble des organisations syndicales de la Fonction publique a été lancée officiellement le 29 mars, après près de 2 mois à échanger avec les organisations syndicales sur la méthode, et elle durera un an : nous discuterons de tous les sujets : recruter davantage sous contrat, revaloriser les salaires en rémunérant au mérite plutôt qu'en augmentant le point d'indice.

Nous proposerons aussi des plans de départs volontaires, qui sont une bonne méthode dès lors qu'elle est appliquée dans le respect des agents et qu'elle vise à accompagner des projets de restructuration précis. Les Français dans leur majorité, agents compris, ont conscience qu'il faut moderniser l'Etat : mais il faut maintenant leur expliquer comment on va faire.

100% des services publics disponibles en ligne en 2022, est-ce possible ?

C'est un objectif.. Il faudra donner le choix du numérique à chacun. Il y a encore beaucoup de travail pour arriver à une identité numérique unique. Autant de sujets sur lesquels nous travaillons notamment avec Mounir Mahjoubi. Ce sera une vraie simplification, qui nécessite des garanties en termes de protection des données.