L'Europe et la France neutralisés par les Américains sur les microprocesseurs ?

POLITISCOPE. Malgré la communication positive autour de l'investissement porté par le groupe franco-italien ST et l'Américain GlobalFoundries à Crolles près de Grenoble pour étendre l'usine de puces électroniques de STMicroelectronics, la réalité est bien celle d'une grande faiblesse industrielle de l'Europe dans la bataille pour la souveraineté dans les microprocesseurs. Dans les faits, les États-Unis ont gardé la haute main sur les logiciels de conception, la technologie substrat, et surtout sur les machines de fabrication. Et la bataille se joue en Asie où les Etats-Unis organisent début septembre un « Chip 4 » avec le Japon, Taïwan et la Corée du Sud, pour faire face à la montée des tensions avec la Chine.
Marc Endeweld
Aux Etats-Unis, Joe Biden vient de signer le « Chips and Science Act », qui vise à relancer la production des semi-conducteurs aux Etats-Unis à partir d'une première enveloppe de 52,7 milliards de dollars (51,7 milliards d'euros) de subventions.
Aux Etats-Unis, Joe Biden vient de signer le « Chips and Science Act », qui vise à relancer la production des semi-conducteurs aux Etats-Unis à partir d'une première enveloppe de 52,7 milliards de dollars (51,7 milliards d'euros) de subventions. (Crédits : FLORENCE LO)

Dans le jargon des communicants, c'est ce qu'on appelle un « effet d'annonce ». Début juillet, Emmanuel Macron se rendait à Crolles dans l'Isère, peu de temps après le sommet « Choose France », réunissant des investisseurs internationaux à Versailles. L'occasion pour le président français d'annoncer au grand public une nouvelle extension de l'usine de puces électroniques de STMicroelectronics présente dans l'agglomération grenobloise. Ce nouveau projet (qui correspond à un investissement total de 5,7 milliards d'euros, constitué en partie par des fonds publics) est en fait porté par le groupe franco-italien ST et l'Américain GlobalFoundries et vise à fournir à l'industrie automobile européenne les puces qui lui sont désormais nécessaires sur le marché des voitures « intelligentes » et électriques.

Des puces atteignant jusqu'à 18 nanomètres

Dans les faits, la future unité de Crolles pourra graver des puces jusqu'à 18 nanomètres. Pour les néophytes, c'est un prouesse technique. Mais dans l'univers secret de l'industrie des semi-conducteurs, cette finesse de gravure est déjà largement dépassée par de nombreuses usines à Taïwan ou aux États-Unis. « L'Europe doit être le leader de la prochaine génération de puces », avait pourtant claironné Thierry Breton, le commissaire au Marché Unique et au Numérique à Bruxelles, allant jusqu'à évoquer une « reconquête stratégique ». Cet investissement à Crolles s'inscrit ainsi dans le cadre du « Chips Act » européen, un vaste plan de la Commission européenne, estimé à 42 milliards d'euros, pour doubler (à 20 %) la part de puces produites en Europe d'ici 2030. Quelques jours plus tard, Emmanuel Macron avait insisté sur le fait que ce projet allait assurer une certaine « souveraineté ».

Ces grandes déclarations cachent mal pourtant les multiples faiblesses industrielles de l'Europe sur le front des semi-conducteurs et autres microprocesseurs. Dans son rapport publié au printemps, la Commission européenne peine à définir une réelle stratégie pour ce secteur hautement stratégique. Ni les États-Unis ni la Chine n'apparaissent clairement comme rivaux systémiques dans ses analyses. « Les montants financiers mis en avant, malgré des chiffres apparemment importants, non seulement ne sont pas à la hauteur des enjeux et des besoins nominaux, singulièrement en regard de ce que devraient être les objectifs industriels européens, mais sont aussi construits largement grâce à la mobilisation ou le recyclage de budgets préexistants », regrette un industriel du secteur, qui reste largement sur sa faim. Et pour cause : « l'Europe ne produit pas de smartphones et autres produits telcos - souvent à double usage- d'avant-garde numériques. C'est consubstantiel ! » L'Europe devait ainsi avoir comme priorité de revenir sur des segments où elle est aujourd'hui absente, ayant été évincée dans le passé. C'est en réalité l'ensemble de l'écosystème électronique qui est à prendre en compte, tant en amont qu'en aval.

UE et Elysée aux abonnés absents

Car le temps presse. Face à la montée en puissance de la Chine, les Américains tentent de maintenir leur prédominance mondiale. Cela passe, bien évidemment, par leurs pratiques ITAR, qui leur permettent de contrôler sur un plan normatif l'ensemble de ces filières hautement stratégiques. Face à cette stratégie intrusive, l'Union européenne comme l'Elysée se retrouvent aux abonnés absents. Pas question pour eux de contester les États-Unis. Résultat, comme sur le front sanitaire avec l'épidémie de Covid-19, l'Europe apparaît comme totalement ballotée, incapable de maîtriser et développer industriellement le moindre brevet. Elle n'est là que pour faire de la sous-traitance aux fleurons américains.

C'est d'ailleurs dans cette optique, que le géant Intel a décidé d'augmenter ses investissements en Allemagne ou que GlobalFoundries (l'ancien fondeur appartenant historiquement à IBM et contrôlé aujourd'hui par un fonds d'investissement emirati) s'associe avec STMicroelectronics. Au final, l'UE finance des capacités de production sur son territoire qu'elle ne maitrise en aucune manière. Dans les faits, les États-Unis ont gardé la haute main sur les logiciels de conception, la technologie substrat, et surtout sur les machines de fabrication.

L'Europe a pourtant des compétences et des centres de R&D de premier plan : IMEC, LETI... L'Europe dispose également de technologies enviées : la société néerlandaise ASML (première capitalisation boursière européenne) pour la lithographie grâce à ses machines ultra modernes de gravure, qui lui permettent de maîtriser 100% du marché mondial de l'extrême ultraviolet, la société française SOITEC sur les wafers SOI, enfin, STMicroelectronics sur le FDSOI. Mais, pendant ce temps-là, les Etats-Unis, financent, constituent des situation monopolistiques, normalisent et protègent, sans aucun  état d'âme.

Réunion préliminaire du « Chip 4 »

Ainsi, et il est révélateur que cela n'a suscité aucun commentaire cet été du côté européen, mais les Américains sont en train de réunir les grands pays producteurs de semi-conducteurs en Asie dans un front contre la Chine. Début septembre, doit ainsi se réunir une réunion préliminaire de ce « Chip 4 », cette future alliance majeure dans les semi-conducteurs, constituée par les Etats-Unis, leaders des écosystèmes et des équipements, le Japon, en pointe dans l'approvisionnement en matériaux-clés, Taïwan, champion de la fabrication des puces électroniques de dernière génération avec TSMC, et la Corée du Sud, experte des puces mémoires, avec ses géants Samsung Electronics et SK Hynix : quelques jours à peine après que Joe Biden ait signé le « Chips and Science Act », ce texte qui vise à relancer la production des semi-conducteurs aux Etats-Unis à partir d'une première enveloppe de 52,7 milliards de dollars (51,7 milliards d'euros) de subventions.

Début août, lors de sa visite si polémique à Taïwan, Nancy Pelosi, la présidente démocrate de la Chambre des représentants, avait d'ailleurs déjeuné avec le patron de TSMC, Mark Liu, selon le Washington Post. Sous Donald Trump, TSMC avait déjà promis d'investi 12 milliards de dollars aux États Unis dans la construction d'une usine en Arizona. On le voit, dans cette guerre mondiale des puces électroniques, tous les coups sont permis. Et les Européens semblent avoir encore plusieurs trains de retards, malgré les derniers « effets d'annonce ».

Marc Endeweld
Commentaires 11
à écrit le 24/08/2022 à 0:08
Signaler
Encore un article d'une grande exactitude: "et surtout sur les machines de fabrication".....Les meilleurs mondiaux sont en hollande: AMSL, pas aux USA. Par ailleurs, pour ce qui est de la conception, les logiciels sont tout à fait disponibles, ce qu...

à écrit le 23/08/2022 à 23:57
Signaler
il n'a jamais été tolérée aux occidentaux de s'approcher de semi conducteurs critiques et logiciels depuis la seconde. Le japon en a fait les frais dans les années 1980. Vous pouvez acheter une playstation, mais ça ne sera pas un processeur japonais....

à écrit le 23/08/2022 à 23:47
Signaler
Pas convaincu par la supériorité de la techno américaine dépendante de travailleurs détachés asiatiques infidèles à la bannière étoilée...

à écrit le 23/08/2022 à 9:46
Signaler
Ce que le Monde entier ne comprenne pas... c'est que si la France est en grande difficulté elle s'associe l'Europe. Dans un jargon (France et Europe) comme si la France ne fait pas partie du continent européen. Arrêtez tout cas....

à écrit le 23/08/2022 à 9:38
Signaler
Arrêtons de faire semblant ,nous ne pourrons jamais venir manger dans le pré carré des américains sur tout ce qui est rentable et stratégique . Focalisons nous sur ce que nous maîtrisons le mieux depuis 40 ans : la création de commissions parlementa...

le 23/08/2022 à 16:24
Signaler
mais nos dirigeants refuse de comprendre que les usa souhaite la destruction de l'europe et se serve d'un pays contre les autres a tour de role avec une preference pour l'allemagne il suffit de voir les programmes militaire et le dumping pour pla...

à écrit le 22/08/2022 à 18:09
Signaler
Tournons nous vers les chinois

le 23/08/2022 à 9:09
Signaler
Surtout pas; c'est la seul chose qu'il ne faut pas faire. Au contraire, il faut que l'Europe soit indépendante non seulement des USA mais aussi de la Chine. L'Europe doit retrouver sa souveraineté industrielle et sa propriété intellectuelle, et ne pl...

le 23/08/2022 à 9:21
Signaler
ca sera pire..fins des libertés individuelles, au droit d 'expression sinon chantage à ceci ou cela et ils sont dans la revanche historique ..ils n' ont pas oublier certaines humiliations historiques/politiques qu' ont leur apprend dès l ' école -con...

à écrit le 22/08/2022 à 17:51
Signaler
Je suis loin d'être convaincu par cet article.

à écrit le 22/08/2022 à 16:55
Signaler
en quoi les ricains sont responsables de notre situation de dépendance et retard? CE NE SONT PAS EUX QUI ONT PRIS LES DECISIONS IL YA 15-20 ANS DE TOUT SOUS-TRAITES HORS D EUROPE....que la population européenne demande des comptes à ses industriels ...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.