Engagée depuis plusieurs années, la réflexion portant sur la simplification de la feuille de paie est un chantier au long cours. Via la dématérialisation, quelques lignes pourraient être supprimées, ce qui allégerait les procédures des services comptables des entreprises.
Le Trésor propose d'aller plus loin. Dans une étude publiée la semaine dernière, ses économistes proposent de faire la distinction entre les cotisations contributives, qui financent notamment le risque vieillesse et le risque emploi, et les cotisations non-contributives (CSG, CRDS, contribution solidarité autonomie...) qui relèvent d'une logique de solidarité de la protection sociale dans laquelle les prestations sont versées à tous ou à certains publics, sous des conditions de résidence mais sans aucune condition de versement préalable de cotisation. Il s'agit principalement de l'assurance maladie et des prestations familiales, très largement universelles.
Les sommes en jeu sont en énormes. Alors que la protection sociale "pesait" 57,3 % du PIB en 2014, les prestations versées par l'ensemble de ces régimes en représentaient la moitié - 630 milliards d'euros, soit 29,4 % de PIB -, principalement sous la forme de pensions de retraite et de remboursements d'assurance maladie.
Distinguer les parts contributives et celles qui ne le sont pas
Premier constat réalisé par le Trésor, "en raison de la complexité de la fiche de paye et du manque de lisibilité du financement de la protection sociale, il est actuellement difficile pour les salariés de distinguer les parts contributives et non-contributives des cotisations sociales". C'est certain.
Dans ce contexte, estimant qu'un niveau élevé de dépense publique conduit mécaniquement à un niveau élevé de prélèvements obligatoires, le Trésor considère que les prélèvements affectés au financement des régimes contributifs pourraient être moins défavorables à l'activité et l'emploi. "En effet, les cotisations contributives financent des prestations directement rattachées au cotisant et peuvent ainsi être perçues comme un revenu différé ou une assurance obligatoire plutôt que comme un impôt. À l'inverse, les prélèvements finançant des régimes non-contributifs (cotisation maladie ou famille) ne diffèrent pas économiquement d'un impôt sur les salaires", explique l'étude.
Le raisonnement de ses auteurs est donc le suivant : si l'on fait la distinction entre les cotisations contributives et celles qui ne le sont pas en remplaçant sur la fiche de paye la traditionnelle distinction juridique entre les cotisations employeurs et salariés, une clarification de l'affectation des cotisations sociales au financement des risques contributifs est envisageable.
Repenser les négociations salariales
Cette réforme aurait pour le Trésor l'avantage suivant : en permettant aux assurés de percevoir effectivement le lien entre les cotisations versées et les droits ouverts ou prestations reçues, ces derniers pourraient considérer les cotisations contributives comme un revenu différé.
Conséquence, les négociations salariales pourraient être menées différemment. "Même s'il est aléatoire, l'on peut penser que les salariés négocieraient en fait un revenu courant net des cotisations non contributives et de l'impôt sur le revenu, mais y compris cotisations contributives", indique le Trésor. Résultat, la négociation salariale pourrait ne plus porter sur le salaire brut (y compris cotisations salariales mais hors cotisations employeurs, soit environ 130 % du salaire net), mais sur un "salaire complet" (salaire net et cotisations contributives, soit environ 150 % du salaire net), "plus représentatif de la véritable rémunération du salarié", selon l'étude.
A partir de cette hypothèse, qui repose sur plusieurs éléments théoriques et vérifiés empiriquement, les salariés, c'est-à-dire les assurés, pourraient être incités à augmenter leur offre de travail, par rapport à la situation dans laquelle les agents ne perçoivent pas l'existence d'une éventuelle récupération partielle de ces versements. "Une meilleure perception de ces cotisations contributives pourrait donc être de nature à réduire le chômage structurel", avance le Trésor. Rappelons que le chômage structurel est celui que l'on observe lorsque l'économie est à son niveau d'équilibre.
La promesse d'Emmanuel Macron
La solution au chômage de masse - 6 millions de personnes environ sont inscrites actuellement à Pôle emploi - réside donc dans une réforme de la feuille de paie ?
Si l'approche du Trésor est intellectuellement correcte, elle se heurte à plusieurs difficultés. Pour que cette réforme produise les effets décrits dans l'étude, il faut que les salariés aient une connaissance parfaite, sinon très bonne, des mécanismes de financement de la protection sociale. Par ailleurs, tant que le nombre de demandeurs d'emplois sera aussi élevé, le rapport de force engagé lors des négociations salariales restera à l'avantage de l'employeur, sauf peut-être dans les métiers en tension.
En dépit de ces fragilités, il n'en reste pas moins que cette piste de réforme tombe à pic puisqu'elle vient alimenter le débat suscité par la promesse de campagne d'Emmanuel Macron, le président de la République, de supprimer les cotisations chômage et maladie pour les faire financer par une augmentation de la CSG.