"Les investisseurs ont compris qu'avec l'élection d'Emmanuel Macron, les choses changent en France"

Par Propos recueillis par Robert Jules et Philippe Mabille  |   |  4132  mots
"Les Français, au fond, se moquent de savoir si l'on vient de la droite ou de la gauche : ils demandent des résultats et c'est cela qui compte pour moi", affirme le nouveau ministre de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire.
« Sortons une fois pour toutes de la lutte des classes ! », demande le ministre de l'Économie venu de la droite, Bruno Le Maire qui veut "accomplir la transformation économique de la France » voulue par Emmanuel Macron. C'est aussi une mutation « culturelle », explique-t-il à La Tribune. Il dévoile les priorités fiscales pour 2018 et défend une action audacieuse pour renforcer l'attractivité de la France. Enfin, il prône un approfondissement de l'intégration européenne en travaillant étroitement avec l'Allemagne sur l'harmonisation fiscale et en avançant vers un budget et un ministre des Finances de la zone euro.

LA TRIBUNE - Macron est Jupiter, et vous, vous vous présentez comme Hermès, le dieu messager. Il est annonciateur des bonnes, mais aussi des mauvaises nouvelles. À Bercy, ce sont souvent les mauvaises, en l'absence de marges budgétaires...

BRUNO LE MAIRE - Mon rôle ici à Bercy est justement d'accomplir la transformation économique de la France, pour pouvoir annoncer de bonnes nouvelles. Les meilleures, ce serait qu'il y ait enfin du travail pour tous dans notre pays ; ce serait que ceux qui payent le tribut le plus élevé au chômage, les jeunes les moins qualifiés, puissent trouver leur place dans la société ; ce serait enfin que l'économie française réalise pleinement son potentiel. Nous avons des atouts considérables à exploiter dans les services et dans l'industrie, grâce aux nouvelles technologies, à la révolution digitale, à la robotique ou à l'intelligence artificielle. C'est ainsi que je conçois mon rôle : porter la transformation économique du pays au bénéfice de tous les Français. Et sans délai.

Comment vous sentez-vous, vous qui venez de la droite, dans cette majorité ? Vous êtes en adéquation avec le projet économique du président ?

Oui. J'ai fait des choix clairs et cohérents. J'ai soutenu Emmanuel Macron au deuxième tour de l'élection présidentielle. Devenu ministre, je me suis présenté aux élections législatives sous l'étiquette de la majorité présidentielle. Les électeurs de ma circonscription ont validé mon choix.

Je souhaite que mon expérience passée soit utile à cette nouvelle majorité. Je ne renie rien, pas un seul de mes choix, pas une de mes décisions politiques. Mon parcours, que ce soit au service de Jacques Chirac et Dominique de Villepin, ou comme ministre de Nicolas Sarkozy, aux Affaires européennes puis à l'Agriculture, servira le président de la République. Je suis dans la majorité avec mon passé politique, dont je suis fier.

Oui, mais avec les difficultés, les références de gauche et de droite pourraient bien faire leur retour. Comment vous situerez-vous alors ?

Nous sommes dans une période de recomposition complète de notre vie politique. Elle est encore inachevée et va se poursuivre. Jamais je n'aurais envisagé d'entrer au gouvernement sans avoir la légitimité que donne l'élection. Les Français, au fond, se moquent de savoir si l'on vient de la droite ou de la gauche : ils demandent des résultats et c'est cela qui compte pour moi. Dans ma circonscription, je ne me suis pas retrouvé opposé à la droite ou à la gauche mais aux extrêmes. Cela a été le cas dans beaucoup de circonscriptions en France. Face à ce risque, nous n'avons pas le droit d'échouer. Ne comptez donc pas sur moi pour entrer dans de vaines querelles politiciennes. Ce ne serait pas à la hauteur du choix historique qu'ont fait les Français. À deux reprises, à l'élection présidentielle puis aux législatives, ils ont mis de côté les deux partis de gouvernement historiques.

Ils ont renouvelé presque complètement l'Assemblée nationale. Le moins que nous puissions faire, au gouvernement, c'est d'être à la hauteur de cette audace.

Un texte va bientôt autoriser le droit à l'erreur. Est-ce qu'un ministre d'Emmanuel Macron a un droit à l'erreur ?

Comme tout le monde, je ferai des erreurs. Cela fait partie de l'engagement politique. Seuls ceux qui ne font rien ne font aucune erreur. Si j'en fais, je les assumerai et je les corrigerai au plus vite.

L'audit de la Cour des comptes a mis en évidence un grave dérapage des comptes publics en critiquant sévèrement la gestion Hollande. Quelles mesures allez-vous prendre pour tenir l'objectif d'un déficit inférieur à 3% dès 2017 ?

Je ne suis pas là pour accabler les gestions du passé. En revanche, nous devons éviter de reproduire les erreurs qui ont conduit à ces dérapages. La première erreur, c'est de penser que toujours plus de dépenses publiques améliorera le quotidien des Français. Si c'était le cas, avec 56,2 % du PIB de dépenses publiques, nous devrions être le pays le mieux portant au monde ! Notre niveau de dépenses publiques est un des plus élevés d'Europe, et nous avons pourtant un niveau de chômage parmi les plus hauts et un taux de croissance parmi les plus bas. Vous le voyez donc : la voie du « toujours plus de dépenses publiques » est une impasse. À nous de le faire comprendre et d'opérer une vraie transformation culturelle.

La deuxième erreur à ne pas renouveler, c'est de penser que l'on peut corriger nos déficits en augmentant les impôts et les taxes. Non ! Augmenter les impôts est une solution de facilité. Le seul choix courageux, c'est de réduire la dépense publique. J'insiste sur ce point : pas de nouveaux impôts ! C'est une promesse du président de la République. C'est pourquoi il n'y aura pas de projet de loi de finance rectificative cet été.

Enfin, derrière la question des déficits, il y a une question de souveraineté. Un pays qui a une dette et des déficits trop importants peut perdre son indépendance financière. Le jour où les taux d'intérêt remontent, les intérêts de la dette consomment toutes les marges budgétaires et vous rendent dépendants de vos créanciers. Je ne souhaite pas cet avenir à la France.

Devrez-vous faire des choix, au moins dans le rythme d'application, dans les promesses fiscales du candidat Macron ? Quelles seront vos priorités entre mesures de compétitivité pour les entreprises et mesures de pouvoir d'achat ?

Nous avons dit très tôt, avec le Premier ministre, que la situation des finances publiques était dégradée et que cela nous amènerait à prendre des décisions difficiles. Ce sera ma ligne de conduite : dire la vérité, ne jamais la maquiller.

La transformation de notre culture économique, c'est aussi arrêter d'opposer l'intérêt des salariés à l'intérêt des entreprises. Les deux vont de pair et se rejoignent. Sortons une fois pour toutes de la lutte des classes ! Une entreprise qui se porte bien peut redistribuer la richesse produite à ses salariés. Je souhaite donc que l'on avance sur deux jambes. Dès le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, il faudra supprimer toutes les charges sociales salariales sur la maladie et le chômage, pour que les salariés puissent avoir en 2018 une amélioration visible de leurs revenus. Pour les salariés du secteur privé, le gain de salaire net sera de 526 euros pour un couple de personnes rémunérées au Smic. Autre exemple, une personne rémunérée 2 000 euros brut par mois bénéficiera d'un gain de salaire net de 355 euros par an. Il faut que chacun constate que le principal changement, dans ce quinquennat, c'est que le travail paye !

C'est la priorité. Mais cela n'interdit absolument pas d'engager les mesures pour permettre à nos entreprises d'être compétitives, notamment la baisse de l'impôt sur les sociétés. Nous souhaitons parvenir en 2022 à un taux de 25 %, ce qui doit être programmé sans attendre.

Emmanuel Macron a réussi à faire travailler ensemble des personnes venues d'horizons politiques différents, issues de la gauche et de la droite, sous l'autorité d'un Premier ministre qui lui-même vient de la droite républicaine. Ce qui vaut en politique peut et doit servir de modèle à une évolution de la société. Dans ces moments de grands changements, il faut moins de conflits sociaux et plus de travail en commun pour avancer.

Recomposition politique, recomposition sociale et économique. Le parallèle n'est-il pas un peu angélique ?

Je ne le pense pas. Le ministère de l'Économie et des Finances doit être celui de la conquête économique. Mais la conquête ne vaut que si elle est partagée par tous les Français. La conquête, cela ne se fait pas seul. Cela se fait en équipe, en associant toutes les forces, de l'ouvrier spécialisé jusqu'au jeune entrepreneur qui crée sa startup, en passant par l'artisan ou le patron du CAC40. C'est cela, ma vision de l'économie : chacun doit avoir sa place pour réussir dans l'intérêt de tous. Ce dont souffre l'économie française, c'est de ne pas utiliser tous ses talents et de ne pas faire de place à tout le monde. C'est cela aussi la révolution culturelle que je propose.

Cela signifie qu'il faut que la culture des syndicats évolue aussi ?

J'en suis convaincu. Je crois au syndicalisme quand il est au service des salariés et pas d'une idéologie. J'avais proposé, quand j'étais candidat aux primaires de la droite et du centre, que n'importe quel salarié puisse se présenter au premier tour des élections professionnelles sans être affilié à un syndicat.

Cela sera-t-il repris dans les ordonnances sur le travail ?

Dans la réforme du marché du travail, il y a la volonté de valoriser les accords d'entreprise. C'est une façon de reconnaître le dialogue social et une occasion d'améliorer les relations syndicats-patronat dans notre pays. Derrière ces mesures, il y a une vision de la société. Qu'il y ait des désaccords entre des chefs d'entreprise et leurs salariés, c'est normal et naturel. Mais pourquoi ces désaccords se régleraient-ils systématiquement dans le conflit ? Nous quittons cette culture du conflit pour aller vers une culture du dialogue, qui existe dans des pays voisins et donne de bien meilleurs résultats. C'est la méthode voulue par le président de la République et conduite par le Premier ministre. Parce que conflit veut dire perte de temps, épuisement des personnes, angoisses sur l'avenir, tout ce qui, à mon sens, affecte la société française et que nous devons transformer. Nous y parviendrons en rétablissant la confiance entre les Français.

Le dossier de la reprise de GM&S est-il un cas emblématique de la nouvelle politique industrielle de votre ministère ?

GM&S est le deuxième employeur de la Creuse. Sa fermeture aurait de lourdes conséquences pour l'emploi dans ce département. Nous ferons donc tout pour trouver une solution. Évidemment, il ne s'agit pas de se substituer aux entreprises qui veulent investir, mais de se battre pour sauver cette entreprise en ne s'interdisant aucune piste au regard de l'urgence.

Le cas de GM&S est emblématique et me permet de préciser le triple rôle que doit selon moi jouer l'État dans une économie de marché comme la nôtre.

L'État doit d'abord protéger les plus fragiles. Deuxièmement, l'État doit aussi mettre en place un cadre favorable au développement des entreprises, tant pour les dirigeants que pour les salariés. Il doit soutenir l'innovation, qui est la condition nécessaire pour saisir toutes les opportunités de développement nouvelles. C'est pourquoi nous maintiendrons le crédit impôt recherche. Mais nous créerons aussi, comme l'a annoncé le chef de l'État, un fonds de 10 milliards d'euros pour financer notamment des innovations de rupture. La compétitivité de la France passe par un investissement massif dans l'économie de la connaissance et le digital. Nous devons combler notre retard dans la robotisation. Il y a en France 100 robots pour 100.000 emplois industriels ; en Allemagne, c'est trois fois plus. La robotisation crée des emplois, à condition d'accompagner les salariés et de leur donner les qualifications nécessaires. Je regarde les faits : les pays les plus robotisés sont aussi ceux dont le taux de chômage est le plus faible. Cette transformation permettra de doper notre potentiel.

Enfin, le troisième rôle de l'État est d'être présent dans des secteurs stratégiques comme la défense, l'énergie et le nucléaire. Il en va de notre souveraineté nationale. Dans les autres secteurs dans lesquels l'État est au capital, il y aura des cessions d'actifs.

Martin Vial peut-il rester le patron de l'Agence des participations de l'État alors que sa compagne, Florence Parly, est ministre de la Défense ?

Le directeur général de l'APE a pris toutes les décisions nécessaires pour se déporter de tous les sujets défense pour lesquels il pourrait avoir un conflit. Il peut donc continuer à exercer ses responsabilités sur les autres dossiers. Il a toute ma confiance.

« Vous êtes les bienvenus en France », avez-vous dit en vous adressant au gotha de la finance à Wall Street, au moment où le Brexit suscite les appétits des places de la zone euro. Concrètement, comment allez-vous convaincre un investisseur étranger de choisir Paris plutôt que Francfort comme place financière ?

Il y a là encore une révolution culturelle à mener. Le secteur financier au sens large représente en France plus de 800 000 emplois. La finance n'est donc pas notre ennemi. Elle représente une véritable force pour notre économie. Elle garantit le bon financement des entreprises. Elle compte aussi bien des grandes banques de stature internationale que des leaders de la fintech. Le Brexit représente pour la France une opportunité historique de faire de Paris une grande place financière mondiale. La compétition est forte, face à Francfort, mais aussi Dublin et, ne l'oublions pas, New York. Mais nous avons des atouts à faire valoir pour attirer les investissements dans la finance. Je compte sur la mobilisation de tous les acteurs.

Quels atouts ? Notre image à l'étranger souffre de notre fiscalité et de notre droit du travail trop lourds...

Nous allons agir, en baissant la fiscalité des entreprises, en allégeant les charges sur les salaires, en réformant le marché du travail, mais aussi par des mesures spécifiques, comme le développement des classes bilingues dans notre système éducatif et l'ouverture de nouveaux lycées internationaux. L'ISF sera remplacé par un impôt sur l'immobilier, qui ne concernera plus les valeurs mobilières. À New York, ces mesures sur l'amélioration de l'attractivité ont été bien reçues. Les investisseurs ont compris qu'avec l'élection d'Emmanuel Macron, les choses changent en France. Ils attendent des actes concrets : signe de l'importance que le gouvernement accorde à ce sujet, le Premier ministre en personne dévoilera prochainement d'autres mesures concernant spécifiquement la place de Paris.

L'ISF sera bien réformé dès 2018 ?

La réforme de l'ISF sera votée cette année et entrera en vigueur en 2019.

L'Union européenne ne fait plus rêver. Pour autant, ceux qui prônent un repli national ne parviennent pas à séduire une majorité des électeurs. Que peut faire la France pour relancer le projet européen ?

Durant la campagne, Emmanuel Macron a placé l'Union européenne au coeur de son projet. Il a été élu. C'est un fait politique majeur qui permet à la France de jouer à nouveau un rôle de leadership en Europe. L'Union européenne doit se remettre en cause et se transformer pour mieux défendre les intérêts des Européens. C'est en ce sens que nous avons engagé la révision du statut des travailleurs détachés, qui crée des situations de concurrence déloyale dans de nombreux secteurs, comme le transport routier et le BTP. Il est nécessaire de trouver le bon équilibre.

Autre exemple, la position de l'Europe face aux Gafa [Google, Apple, Facebook, Amazon, ndlr] doit évoluer. Nous ne pouvons pas accepter que des géants de l'Internet profitent de l'accès aux clients européens sans payer leur juste part aux pays dans lesquels ils ont des activités. Ce sont de très belles entreprises : elles sont les bienvenues, mais doivent contribuer équitablement à l'effort collectif.

Troisième exemple, la Chine, qui veut avoir accès à nos marchés publics mais refuse aux entreprises européennes l'accès aux marchés publics chinois. La réciprocité est nécessaire. Pour de nombreux pays, l'Europe est simplement perçue comme un vaste marché. Ce n'est pas notre vision. Il nous faut donc évoluer en transformant la zone euro pour passer de l'union monétaire à une véritable union économique.

Comment mener une telle intégration politique ?

Il nous faut déjà mieux coordonner nos politiques économiques et budgétaires. Cela veut dire respecter les règles communes, mais aussi que les pays en situation d'excédent utilisent une partie de leur marge de manœuvre pour soutenir la croissance de l'ensemble de la zone. L'Union bancaire est déjà bien engagée, mais il faut aller jusqu'au bout pour permettre un financement efficace des entreprises de la zone euro. Il faut également parvenir à une harmonisation fiscale. Avec Wolfgang Schäuble [ministre des Finances allemand, Ndlr], nous sommes décidés à œuvrer rapidement en ce sens.

Au-delà, il faut créer un budget de la zone euro qui permettrait par exemple de financer des infrastructures et d'investir dans un système éducatif harmonisé et dans le numérique. Cet objectif atteint, il faudra logiquement nommer un ministre des Finances de la zone euro. Enfin, il y a la proposition de Wolfgang Schäuble, qui a avancé l'idée d'un Fonds monétaire européen qui s'inspire du FMI. C'est une mesure dont il faut discuter.

Sur chacun de ces sujets, nous avons mis en place un groupe de travail et les premières conclusions seront présentées au conseil des ministres franco-allemand le 13 juillet à Paris.

Il y a dix ans, une crise financière majeure a fait vaciller le monde. Il y a survécu, douloureusement, mais les marges de manoeuvre des politiques monétaires et budgétaires sont épuisées. Comment se prémunir d'une nouvelle crise, que certains disent inévitable ?

L'Union bancaire en Europe, la mise en place de Bâle III et les nouvelles règles prudentielles sont des outils indispensables pour éviter une nouvelle crise financière. Mais ces règles doivent rester dans un cadre favorable à l'Europe et ne doivent pas créer de distorsions en faveur des banques américaines ou d'autres pays. L'Europe doit défendre ses intérêts face à ses grands partenaires que sont les États-Unis ou la Chine. Cela vaut aussi pour la finance. Au-delà de ces règles, nous avons également des instances de suivi de risques comme le Haut conseil de stabilité, que j'ai réuni la semaine dernière et qui permet une analyse précise de la situation économique et financière.

Comment retrouver le chemin de la prospérité, thème des Rencontres économiques d'Aix-en-Provence, où vous intervenez ?

Sommes-nous condamnés à vivre dans un régime de croissance faible avec peu de créations d'emplois ? Je ne le crois pas. Au contraire, l'innovation, les nouvelles technologies, la révolution de l'intelligence artificielle - une révolution dont on ne mesure pas encore assez l'ampleur - doivent nous permettre de retrouver un chemin de croissance plus élevé. Il y a aussi, autour du développement durable et des énergies renouvelables, de nouveaux leviers.

Nous ne sommes qu'au début de ces révolutions. Imaginez ce que sera la situation énergétique de l'Europe si nous parvenons un jour à maîtriser la technologie du stockage des énergies renouvelables... Le futur peut nous appartenir si nous sommes capables de prendre à bras-le-corps ces progrès, en gardant à l'esprit la nécessité d'éviter les dérives. C'est particulièrement vrai dans le domaine des données. C'est sans doute la plus grande richesse économique disponible aujourd'hui. On peut avoir plus de transparence sur les données pour faire émerger de nouveaux acteurs économiques et des startups. Mais le rôle de la puissance publique, c'est d'éviter que ces données ne tombent dans de mauvaises mains ou ne soient commercialisées sans contrôle. Cela soulève des questions éthiques majeures, par exemple dans le secteur de la santé. Certaines données médicales, sur les maladies chroniques ou le cancer, ne doivent pas être transmises sans contrôles aux assureurs, sinon cela ouvrirait la voie à un ciblage des risques, et donc à une rupture d'égalité entre les citoyens. On ne peut pas séparer économie et éthique.

La question de l'éthique préoccupe profondément les Français. Ils attendent de leur classe politique un comportement exemplaire : ils l'ont montré en soutenant la volonté de moralisation d'Emmanuel Macron. Ce qui vaut pour la vie politique vaut également pour la vie économique. Les Français veulent une ferme application des règles. Que les bénéficiaires de la mondialisation en respectent les règles et montrent leur souci de contribuer à la prospérité mondiale, en payant leur juste part d'impôt notamment. Que les politiques se soucient davantage des salariés affectés par la mondialisation, notamment à travers une véritable sécurité des parcours professionnels, une meilleure formation tout au long de la vie active.

La prospérité doit bénéficier à tous. Sans cette prospérité partagée, pas de stabilité démocratique, pas de véritable vivre ensemble.

L'amende de 2,4 milliards d'euros adressée à Google sur le e-commerce, c'est un premier signal de l'Europe pour reprendre la main dans l'économie numérique ?

C'est une façon pour l'Europe de poser des règles et des limites aux géants du numérique. Et de rappeler que la culture européenne n'est pas celle du laisser-faire ni du laisser-aller généralisé. La culture de l'Europe, c'est celle de la règle, du droit. On ne peut pas tout faire. Si cette amende peut être le début d'une prise de conscience que l'Europe est fidèle à elle-même quand elle impose cette culture-là, ce serait une très bonne chose. Les États-Unis, de tradition libérale, n'hésitent jamais à défendre leurs intérêts et à donner des amendes très supérieures à 2 milliards d'euros à des entreprises. Que l'Europe arrête d'avoir peur de son ombre ! Elle est une grande puissance économique mondiale. C'est tout le sens de la transformation de l'union monétaire en union économique.

Que pensez-vous de la théorie de la fin du travail avec les nouvelles technologies?

Le grand défi de l'avenir porte sur le travail. Je suis convaincu que les transformations technologiques nous permettront de renouer avec la prospérité. Mais il faut que cette prospérité profite à tous. C'est là que l'État a un rôle à jouer. Quelles formes prendra le travail demain ? Comment aider les gens à s'adapter plus rapidement à des changements plus fréquents ? Comment faire pour que la formation professionnelle ou l'apprentissage apporte aux salariés et aux chômeurs les compétences pour les nouveaux métiers qui apparaissent ? Ce sont les questions parmi les plus importantes pour les grandes démocraties contemporaines. Dans ces domaines, il faut que le ministère de l'Économie, le ministère du Travail, celui de l'Éducation nationale travaillent ensemble, la main dans la main. Nous allons avec Muriel Pénicaud et JeanMichel Blanquer mener une réflexion approfondie avec tous les acteurs, entrepreneurs, scientifiques, chercheurs, pour savoir comment adapter la société française à l'avenir du travail. Il n'y a pas de bonne économie sans une éducation et une formation solides. C'est la clef du retour d'une prospérité partagée.

Propos recueillis par Robert Jules et Philippe Mabille

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ENCADRÉ/REPERES

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Hermès à Bercy

Bruno Le Maire en Hermès, messager de Jupiter-Macron... oui, le ministre de l'Économie a osé la comparaison lors de son récent déplacement à New York pour « vendre » au gotha de Wall Street les atouts de la France. L'ancien candidat à la primaire de la droite et du centre (2,4% des voix), réélu député dans sa circonscription de l'Eure sous l'étiquette "majorité présidentielle" se revendique toujours fidèle à ses convictions... de droite.

Né le 15 avril 1969 à Neuilly-sur-Seine, ce normalien, agrégé de lettres modernes et énarque, sorti au Quai d'Orsay, a été directeur de cabinet de Dominique de Villepin aux Affaires étrangères puis à Matignon. Secrétaire d'État aux Affaires européennes puis ministre de l'Agriculture de Nicolas Sarkozy, il avait pesté de voir Bercy lui passer sous le nez au profit de François Baroin. Son ralliement à Emmanuel Macron lui a enfin permis de conquérir cette citadelle pour mettre en œuvre les réformes économiques et fiscales du candidat et tenter de réduire enfin les dépenses publiques. Il est là pour porter les mauvaises nouvelles, mais lui laissera-t-on la primeur de l'annonce des bonnes, si elles viennent ?