La pandémie a entraîné un effondrement brutal de l'économie. Selon la dernière évaluation de l'observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) rendue publique le 11 décembre, les pertes de revenus sont estimées à 191 milliards d'euros sur l'ensemble de l'année 2020. "Le bilan est à la hauteur de la crise. Les pertes sont de l'ordre de 200 milliards. Les administrations publiques vont absorber deux tiers du choc et un tiers est à la charge des agents privés comme les entreprises et les ménages" a expliqué l'économiste Mathieu Plane lors d'un point presse. Les différentes vagues d'épidémie, la pénurie de masques et de médicaments au printemps et la saturation des hôpitaux ont obligé l'exécutif a mettre en oeuvre un arsenal important de mesures d'urgence économiques et sociales. En dépit de ces filets de sécurité, le produit intérieur brut devrait plonger de 9,5% en 2020 avant de rebondir à 7,1% en 2021. "C'est une crise inédite depuis la Seconde guerre mondiale. La plus grave que la France ait connu est celle des subprimes avec une récession d'environ -3%. C'est donc une crise trois fois plus importante que la dernière récession", a-t-il poursuivi.
125 milliards d'euros absorbés par les administrations publiques
La propagation du virus sur l'ensemble du territoire et les mesures sanitaires ont entraîné des pertes faramineuses absorbées en grande partie par la collectivité. Sur les 191 milliards d'euros, 125 milliards ont été encaissés par les administrations publiques. Les entreprises devraient environ absorber 60 milliards et les ménages et entrepreneurs individuels devraient encaisser une perte d'environ 8 milliards, soit 4% du total.
Le prolongement des premières mesures d'urgence décidées au printemps et le renforcement de certains dispositifs comme le fonds de solidarité pour le dernier trimestre ont sérieusement accru la part des pertes de revenus compensées par les administrations publiques. "Les coûts fixes non absorbés comme les bâtiments sont importants Le gouvernement a fait un pas avec le fonds de solidarité pour absorber ces pertes. 85% des pertes ont été absorbées par les administrations publiques au cours du dernier trimestre. La France n'est pas très loin du "quoi qu'il en coûte" a ajouté Mathieu Plane.
Une montagne d'épargne, surtout pour les plus hauts revenus
La mise sous cloche de l'économie et la fermeture de nombreux établissements ont accéléré les sommes épargnées par les ménages français. Selon les simulations du centre de recherches rattaché à Science-Po Paris, 89 milliards d'euros auraient été accumulés sur l'ensemble de l'année 2020. "Le taux d'épargne des ménages est hors du commun à 21,2% en 2020. Avec la chute de la consommation, l'épargne a bondi de 90 milliards d'euros. C'est un surplus. Cette épargne n'est pas distribuée de la même façon. Cela dépend de la catégorie sociale. Elle est plutôt concentrée sur les hauts revenus" a indiqué l'économiste. Le constat du chercheur corrobore une précédente étude du conseil d'analyse économique (CAE) menée par l'économiste de la London School Economic (LSE) Camille Landais qui rappelait que cette épargne se concentrait sur les 20% des plus hauts revenus.
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En effet, beaucoup de ménages situés dans les catégories à bas revenus ont été bien plus exposés que les classes moyennes supérieures et les catégories aisées depuis le printemps. Les secteurs qui font appel à ce type de main d'oeuvre ont souvent été obligés de fermer leurs portes et de mettre leurs salariés au chômage partiel ou de réduire leur coût en se séparant de leurs intérimaires, leurs saisonniers ou leurs CDD. A l'inverse, une grande partie des cadres a pu continué à travailler à distance et ont ainsi préservé leurs revenus. Au moment de la reprise de l'économie, la question de la consommation pour les ménages modestes va être cruciale. En effet, si ceux qui ont la plus forte propension à consommer se retrouvent en détresse financière, l'économie tricolore pourrait avoir des difficultés à redémarrer compte tenu du poids de la demande domestique dans le PIB.
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Un rebond de la croissance de 7,1% en 2021
La pandémie a donné le vertige aux économistes depuis le printemps. La plupart ont dû revoir leurs méthodes et prendre en compte des données en temps réel pour mesurer l'ampleur de cette crise inédite. "La prévision économique est très dépendante des mesures prophylactiques. Pour 2021, l'exercice a été rendu difficile avec les dernières annonces du Premier ministre jeudi 10 décembre. Notre prévision suppose qu'il n'y ait pas de troisième confinement. On suppose que l'on a une gestion de la crise sanitaire liée à la vaccination progressive de la population. Ce qui devrait alléger les mesures sanitaires. Le rebond est attendu à 7,1%. Le plan de relance n'a pas été revu. Hors plan de relance, le PIB serait environ à 6%. A fin 2021, la situation serait encore très dégradée avec un niveau inférieur de 1,4% à la fin 2019" a indiqué Mathieu Plane. Les annonces relatives au vaccin devraient en effet permettre au gouvernement d'assouplir les mesures d'endiguement. Il reste cependant de nombreuses interrogations sur le consentement de la population, l'efficacité du vaccin et son application en France.
Une reprise en ordre dispersé
La reprise de l'économie ne va pas concerner tous les secteurs de l'économie. "Les différences sont énormes selon les branches. Certains secteurs sont à l'arrêt et d'autres s'en sortent beaucoup mieux. L'aéronautique, les transports, l'hébergement-restauration et les services aux ménages risquent encore de souffrir l'année prochaine. Le redémarrage va en grande partie dépendre de ces secteurs" a expliqué le conjoncturiste.
La crise pourrait en effet laisser de profondes traces dans des secteurs très importants. Les chiffres du commerce extérieur déjà en berne avant la pandémie risquent à nouveau de plonger au regard des points forts de la France à l'export (l'aéronautique, le luxe). "Le déficit extérieur est un vrai problème. Les secteurs où la France se démarquent sont mis à mal notamment dans l'aéronautique, le tourisme. La balance courante se dégrade très vite. La France est très dépendante de l'aéronautique, de l'événementiel. Va-t-il y avoir un retour à la normale ou y aura-t-il des changements structurels ?" s'interroge Mathieu Plane. Pour Xavier Timbeau, directeur de l'OFCE,"la crise du tourisme et de l'aviation va durer plus d'une année. La crise frappe de plein fouet les domaines de spécialisation de la France. C'est peut être un argument pour que la France accélère sa transition énergétique."
Un chômage à 10,6% fin 2021
Sur le front de l'emploi, les indicateurs ne sont pas au beau fixe. Au total, 880.000 emplois auraient disparu au cours de cette année. L'emploi salarié paie un lourd tribut avec 790.000 postes en moins. Les services seraient lourdement affectés avec près de 584.000 postes en moins. Viennent ensuite l'industrie (148.000) et la construction (-54.000). Dans l'emploi salarié, les destructions de postes sont estimées à 90.000. "S'il n'y avait pas eu les mesures d'urgence comme le chômage partiel, il y aurait eu 2,5 millions d'emplois détruits. Le chômage partiel a permis de préserver plus d'1,6 million d'emplois" relève Mathieu Plane. Le chômage grimperait à 9,5% de la population active à la fin du quatrième trimestre 2020 contre 7,9% à la fin du premier trimestre de cette année. "En 2021, il y aura assez peu de créations d'emplois en net. La reprise d'activité devrait permettre de créer 1,6 million d'emploi mais le chômage partiel va diminuer. La sortie du chômage partiel devrait coûter 1,4 million d'emplois."