Pourquoi les femmes développent moins leurs réseaux professionnels que les hommes

Alors que les hommes comptent en moyenne 72 personnes dans leurs cercles, les femmes n'en identifient qu'une cinquantaine. Une différence de taille qui trouve son origine dans une plus grande méfiance des femmes vis-à-vis d'une approche utilitariste des relations, relève une étude publiée mardi.
Giulietta Gamberini
Moins de quatre femmes sur dix pensent disposer d'un bon réseau, contre 49% des hommes.

Perçu par sept cadres sur dix comme indispensable afin de booster leur carrière, le recours aux réseaux professionnels est néanmoins conçu et exploité de manière très différente par les hommes et par les femmes. Tel est le constat qui ressort d'une étude publiée mardi 26 mai par le Boston Consulting Group, menée de concert avec Ipsos et le réseau des anciens élèves de HEC en début 2015.

Alors que pour définir leur vision de ces réseaux, les hommes mettent davantage l'accent sur leur potentiel d'échange de services, les femmes se réfèrent essentiellement à des relations de confiance. Une vision "moins utilitariste", note Marie Humblot-Ferrero, directrice de projet au Boston Consulting Group, et qui produit un effet significatif sur la taille de ces cercles: moins inclines a y intégrer collaborateurs et clients, fournisseurs et recruteurs, les femmes finissent par comptabiliser seulement 50 contacts en moyenne, contre 72 pour leurs homologues masculins. Mais l'écart finit par se transformer en source d'insatisfaction ultérieure accrue des femmes vis-à-vis de leur vie professionnelle, puisque moins de quatre femmes sur dix pensent disposer d'un bon réseau, contre 49% des hommes.

Davantage de disponibilité

Comment expliquer cette approche différente mais quelque peu frustrante? "La plus grande sélectivité féminine doit sans doute être mise en lien avec une conception bien plus exigeante de ces réseaux", observe Dominique Lévy-Saragossi, directrice générale d'Ipsos France. Les femmes se montrent en effet bien plus disponibles que leurs homologues masculins vis-à-vis de leurs cercles: 63% ont par exemple un contact quotidien avec les collègues qui en font partie, contre 41% des hommes. Et ce même alors que "la plupart des femmes disposent de moins de temps à consacrer à leur vie professionnelle que les hommes", souligne l'analyste.

Le "syndrome de la bonne élève" rentre aussi en ligne de compte. "Diverses études menées par Ipsos montrent que les qualités professionnelles valorisées par les femmes sont essentiellement celles d'organisation et techniques, alors que les hommes citent plus souvent leur capacité à développer leur carrière", ajoute Dominique Lévy-Saragossi. "Les entretiens qualitatifs menés montrent que les femmes donnent la priorité à la qualité de leur travail plutôt qu'à leur réseau, et que c'est éventuellement grâce à la première qu'elles développent le deuxième", confirme Marie Humblot-Ferrero.

Les cadres interrogées, elles, citent, parmi les obstacles limitant le développement de leurs contacts, leur personnalité à 35% et une certaine maladresse à 22% (contre respectivement 28% et 16% pour les hommes). 16% d'entre elles évoquent également un sentiment d'inaptitude par rapport aux "codes" du milieu, alors qu'une telle perception ne touche que 10% de la population masculine. Pourtant, elles sont plus nombreuses que les hommes à admettre tirer de ces cercles de l'inspiration, du soutien et de la reconnaissance.

Les réseaux féminins d'entreprises jugés inefficaces

Cette utilisation très restreinte des réseaux n'est pas sans lien avec les inégalités professionnelles qui désavantagent encore les femmes, estime Dominique Lévy-Saragossi. "Les parallèles qui peuvent sans doute être établis avec d'autres études menées par Ipsos concernant la relation des femmes à leur travail semblent montrer que les causes de ces deux phénomènes sont en partie les mêmes", remarque-t-elle. "Aller vers une approche plus utilitariste n'est pas naturel chez les femmes", insiste la directrice d'Ipsos France.

Mais alors, comment encourager la population féminine à se servir davantage de cet instrument de développement de carrière ? Les réseaux de femmes en entreprises ne semblent pas constituer la solution. Non seulement ils ne concernent qu'une partie très réduite de la population : à peine un cadre sur dix, normalement appartenant à un groupe de plus de 1000 salariés, peut en effet en disposer. Surtout, bien qu'ils suscitent l'intérêt de presque sept femmes sur dix,  seules 23% des femmes interrogées les voient comme un moyen efficace pour parvenir à l'égalité entre sexes, et un tiers se disent gênées par leur approche militante.

Ainsi, 76% des femmes cadres interrogées pensent que les réseaux exclusivement féminins ne sont pas suffisants pour atteindre l'objectif de davantage de mixité et préconisent que les femmes intègrent progressivement les réseaux les plus puissants jusqu'à présent majoritairement masculins. Une méfiance qui n'est pas particulièrement surprenante : "A chaque fois qu'on analyse le regard porté par les femmes sur les actions de discrimination positive menées en leur faveur, on constate toujours ce sentiment d'attraction-répulsion, exprimant leur crainte d'être stigmatisées et leur envie de réussir comme et avec les hommes", rappelle Dominique Lévy-Saragossi.

L'altruisme : la solution ?

"A l'heure où les réseaux féminins se multiplient, et où le nombre de femmes occupant des postes clés s'accroît, se pose donc la question de comment renouveler ces cercles et leur positionnement stratégique", s'interroge alors Marie Humblot-Ferrero, qui co-anime aussi le réseau Women Initiative. "Une plus grande ouverture semble progressivement s'imposer", considère-t-elle. Elle compte également sur l'effet d'entraînement constaté une fois que les individus élargissent leur réseau, les motivant à y consacrer de plus en plus d'énergie : "Aujourd'hui, les femmes se focalisent plus sur l'effort demandé par leurs cercles que sur les bénéfices que ceux-ci peuvent leur apporter. Mais une fois atteint un certain seuil critique de contacts, leur regard pourrait changer."

Dominique Lévy-Saragossi, elle, estime en revanche plus judicieux de s'appuyer justement sur la méfiance des femmes vis-à-vis de l'approche utilitariste. "Tant que nourrir leur réseau leur paraîtra comme un acte égoïste , elles auront du mal à s'y consacrer", estime l'analyste, avant d'ajouter : "Elles mésestiment toutefois le bénéfice que dans ce cadre elles peuvent apporter à la collectivité, notamment aux plus jeunes femmes. Les aider à s'en rendre compte est peut-être le meilleur moyen de les inciter à élargir leur cercle."

Giulietta Gamberini
Commentaires 2
à écrit le 26/05/2015 à 13:49
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Voilà une étude qui n’est pas nouvelle , effectivement les femmes – pour des raisons tenant aux caractéristiques de leur sexe et leur place dans la société – ont du mal à réseauter autant que les hommes.. Historiquement les réseaux sont nés d’un prin...

à écrit le 26/05/2015 à 7:51
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Hypothèses basées sur quelles études ? On pourrait aussi imaginer que les femmes ont l'intelligence de ne pas investir toute leur vie dans une carrière professionnelle incertaine... Car entretenir un réseau demande beaucoup de disponibilité. Cet art...

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