Retraites : après la colère de la CFDT, le gouvernement veut "reprendre le dialogue" mais les syndicats maintiennent la pression

Par Arnaud Bouvier et Céline Loubette, AFP  |   |  1033  mots
"Je suis prêt à discuter, évidemment qu'on va discuter", a déclaré Laurent Berger, plaidant pour "retrouver le chemin du dialogue". Mais, a-t-il averti, "vouloir être constructif, ça ne veut pas dire se laisser marcher dessus". (Photo d'illustration : le secrétaire général de la CFDT s'exprime devant la presse le 25 novembre 2019 à Paris, au sortir d'une réunion à à Matignon avec le Premier ministre) (Crédits : Reuters)
Le gouvernement multiplie les appels du pied, ce jeudi, pour tenter de faire revenir à la table la CFDT, dont l'hostilité affichée à "l'âge d'équilibre", entre autres annonces d'Edouard Philippe hier, inquiète de nombreux députés LREM. Pour autant, le premier syndicat de France a appelé avec la CFTC et l'Unsa, à rejoindre la prochaine grande mobilisation du 17 décembre à l'initiative de la CGT, FO, FSU, Solidaires et quatre organisations de jeunesse. Le tout nouveau front uni syndical promet des perturbations même à Noël en l'absence d'avancées. Côté usagers, l'exaspération se fait de plus en plus palpable...

Édouard Philippe a entendu Laurent Berger : au lendemain de la présentation du projet de réforme des retraites qui a suscité la colère du dirigeant de la CFDT, le Premier ministre a dit vouloir "reprendre rapidement le dialogue" avec les partenaires sociaux, tandis que les transports restaient très perturbés par la grève.

M. Philippe s'est engagé à appeler les partenaires sociaux "dès cet après-midi" afin de "voir avec eux comment reprendre rapidement le dialogue" sur la réforme des retraites.

"J'ai noté ce matin la demande de certains partenaires sociaux et notamment de Laurent Berger qu'une réunion soit organisée à Matignon. Je l'ai dit hier [mercredi, Ndlr]: ma porte est ouverte et ma main est tendue", a-t-il insisté sur Twitter.

Fin des régimes spéciaux, "âge d'équilibre" à 64 ans, entrée dans le système à points à partir de la génération née en 1975... M. Philippe avait détaillé mercredi le contenu du futur "système universel de retraite" par points, assurant que "tout le monde serait gagnant".

Laurent Berger, favorable à un système universel par points mais fermement opposé à un allongement de la durée de cotisation via un "âge d'équilibre", avait immédiatement dénoncé le franchissement d'une "ligne rouge" et demandé au gouvernement de revenir sur ce point.

La CFDT, premier syndicat, avait dans la foulée appelé à descendre dans la rue, de même que la CFTC et l'Unsa, lors de la prochaine grande mobilisation le 17 décembre à l'initiative de la CGT, FO, FSU, Solidaires et quatre organisations de jeunesse.

Jeudi matin, gouvernement et majorité ont multiplié les appels du pied pour que la CFDT accepte de reprendre la négociation.

"Je suis prêt à discuter, évidemment qu'on va discuter", a répondu Laurent Berger, plaidant pour "retrouver le chemin du dialogue".

Mais, a-t-il averti, "vouloir être constructif, ça ne veut pas dire se laisser marcher dessus".

Mobilisation dans toute la France

La mobilisation contre la réforme des retraites est entrée jeudi dans sa deuxième semaine et des manifestations étaient organisées partout en France. A Paris, plusieurs milliers de personnes défilaient dans le calme, à la lumière des fumigènes roses des cheminots, a constaté un journaliste de l'AFP. Parmi eux, l'une des figures du mouvement des "gilets jaunes", Jérôme Rodrigues.

Les manifestants étaient notamment 4.800 à Limoges selon les syndicats, 1.200 selon la police, et ont occupé l'autoroute A20 à l'issue de leur manifestation. Ils étaient entre 3.000 et 9.000 à Lyon selon les sources, entre 2.000 et 6.000 à Bordeaux. A Brest, sous une pluie battante, les manifestants scandaient: "le temps est pourri, la retraite à points aussi !".

"Pas de trêve pour Noël sauf si le gouvernement revient à la raison"

Dans les transports en commun, le trafic était quasi inchangé par rapport à mercredi avec notamment un TGV et un Transilien sur 4 et 10 lignes du métro parisien fermées. Plus d'un cheminot sur six était en grève jeudi matin (15,5%) dont 71,6% parmi les conducteurs, selon les chiffres de la direction de la SNCF.

Il n'y aura "pas de trêve pour Noël sauf si le gouvernement revient à la raison" en retirant son projet, a prévenu le secrétaire général de la CGT-Cheminots, Laurent Brun, en tête de la contestation.

"On n'a aucune garantie que le point évoluera en fonction du coût de la vie. J'en suis à mon 8e jour de grève, j'ai déjà perdu 300 euros de salaire", expliquait Candy, cheminote en banlieue, rencontrée dans le cortège parisien. "Ça ne va faire que se renforcer".

Des usagers épuisés et exaspérés

Avec, côté usagers, une exaspération de plus en plus palpable:

"Je me lève à 4H30, je rentre à 21H00. Tous les matins, je suis stressé, énervé par le monde qui pousse dans le RER, toute la journée je suis debout pour mon travail, et le soir, je suis fatigué", raconte Fernando Duarte, ouvrier spécialisé rencontré à la gare du Nord à Paris. "Il faut vite que ça s'arrête, c'est vraiment dur".

Mercredi, Édouard Philippe a affirmé que "la loi prévoira une règle d'or pour que la valeur du point acquis ne puisse pas baisser", en réponse à l'une des principales inquiétudes exprimées par les opposants à la réforme des retraites.

Pour le Premier ministre, "les garanties données" justifient que la grève, "qui pénalise des millions de Français, s'arrête".

Avocats, policiers, dockers... menacent de durcir encore la mobilisation

Le mécontentement reste cependant large. Le Conseil des barreaux votera des actions vendredi, et les principaux syndicats policiers menacent de "durcir" leur mobilisation. Les enseignants de la FSU ont appelé à la reconduction.

La zone industrielle et portuaire du Havre était bloquée jeudi, tout comme les entrées du Grand Port maritime de Marseille, par des manifestants mobilisés à l'appel de la CGT. Des dockers ont également organisé des blocages au port de La Rochelle ou à Rouen.

Et des coupures de courant ont été organisées dans plusieurs villes, par exemple un centre commercial à Tourcoing, ou le centre-ville de Perpignan, à l'initiative de grévistes CGT. Plus généralement, des baisses de production ont été organisées dans le nucléaire et des arrêts de centrales hydro-électriques et thermiques, selon la CGT Energie.

Le projet de loi doit être soumis au Conseil des ministres le 22 janvier et discuté au Parlement fin février.

Les Français sont partagés sur la réforme des retraites, selon un sondage Elabe pour BFM TV: 50% s'y disent favorables et 49% opposés.

(avec les bureaux de l'AFP en régions)