Retraites : la réforme fait-elle vraiment reculer les inégalités hommes-femmes ?

Des mesures pour les femmes, c'est du moins ce que promet la réforme des retraites avec notamment la prise en compte du congé parental dans le calcul des années cotisées. Malgré des progrès, les retraitées continuent de toucher moins que les hommes. La réforme présentée mardi par la Première ministre va-t-elle réduire ces inégalités ? Rien n'est moins sûr tant ces dernières perdurent dans la vie active des travailleuses.
Coline Vazquez
En France, malgré des progrès, les femmes continuent de toucher moins à la retraite que les hommes.

« Une mesure de justice, d'équilibre et de progrès », notamment envers les femmes, s'est félicitée la Première ministre, mardi, en présentant la réforme tant attendue. Mais permet-elle vraiment une amélioration pour les travailleuses qui partiront à la retraite à partir du 1er septembre 2023 ? « Globalement, non », lâche Rachel Silvera, maîtresse de conférence économiste à l'université Paris-Nanterre et co-directrice du réseau de recherche Marché du travail et genre (MAGE). « Il y a des effets qui sont, à mon avis, injustes et qui renforcent les inégalités pour toutes les catégories les plus défavorisées et modestes qui sont entrées tôt sur le marché du travail, et dont les femmes font partie. C'est donc une double peine pour celles qui sont les moins qualifiées et qui occupent les métiers les plus pénibles », assène-t-elle, à La Tribune, pointant notamment le report de l'âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans.

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Une mesure qui s'accompagne d'un allongement de la durée de cotisation, portée à 43 ans, comme le prévoyait déjà la réforme Touraine en 2014. Or, les femmes peinent davantage que les hommes à réunir ces années. « En 2001, 84,5% des hommes retraités avaient validé une carrière complète contre 39,1% des retraitées », pointent dans un rapport Carole Bonnet, directrice de recherche à l'Institut nationale d'études démographiques (Ined) et Christel Colin, directrice des statistiques démographiques et sociales à l'Insee.

Un écart qui tend toutefois à se réduire grâce aux mesures mises en place par de précédentes réformes des retraites permettant notamment aux femmes de gagner quatre trimestres par enfant.

Des carrières hachées chez les femmes

Il demeure que les hommes cotisent plus longtemps que les femmes. Notamment à cause de carrières hachées. Les femmes sont, en effet, plus nombreuses à cesser de travailler ou à réduire leur temps de travail à mi-temps pour s'occuper d'un enfant ou d'un parent malade. « Les contraintes familiales ne sont toujours pas réparties entre les deux parents », regrette Rachel Silvera. En effet, selon une étude de l'Insee datant de 2013, « plus d'une mère sur deux d'enfants de moins de huit ans s'est arrêtée de travailler après la naissance de ses enfants ou a réduit temporairement son temps de travail, c'est-à-dire au moins un mois au-delà de son congé de maternité », contre un homme sur neuf. Et ce, notamment en raison de difficultés pour trouver une solution de garde.

Or, au moment de décider quel parent prendra un congé parental, il apparaît régulièrement plus profitable pour le budget de la famille de préserver le salaire du père, plus élevé en moyenne. Un choix qui peut aussi s'expliquer par un manque d'éducation des femmes quant au calcul de la retraite. « Quand elles s'arrêtent pour un congé parental ou réduisent leur temps de travail à un mi-temps, les femmes sont plutôt jeunes et pensent souvent dans l'immédiat sans anticiper les conséquences notamment sur leurs cotisations pour la retraite et sur le montant de leur pension », pointe Monika Queisser, cheffe de la division des politiques sociales à l'OCDE. La pension de retraite étant calculée sur les vingt-cinq meilleures années, un temps partiel peut, en effet, tirer à la baisse le montant touché à la retraite.

Le gouvernement a bien présenté une solution lors de la présentation de la réforme : celle de la prise en compte du congé parental dans le calcul des années nécessaires pour pouvoir bénéficier d'une retraite à taux plein dans le cas des carrières longues. « Chaque année, plus de 3.000 femmes pourront ainsi partir plus tôt à la retraite », indiquait le gouvernement dans un communiqué de presse. « C'est une mesure forte pour les femmes qui ont commencé à travailler tôt et on fait valoir à un moment de leur vie un congé parental pour élever leurs enfants », a abondé le ministre du Travail, Olivier Dussopt. « On affiche ça comme une avancée, mais la proportion de carrières longues reconnues comme tel est moindre chez les femmes que chez les hommes », rétorque Rachel Silvera.

Des pensions plus faibles pour les retraitées

En conséquence, une fois à la retraite, la pension des femmes reste inférieure à celle touchée par les hommes. Selon l'étude réalisée par Carole Bonnet et Christel Colin, en 2001 « les femmes retraitées âgées de 65 ans et plus percevaient en moyenne une retraite totale de 822 euros par mois, inférieure de 44 % à celle des hommes, qui s'élevait à 1.455 euros par mois en moyenne ». Un chiffre qui grimpe à 56% si on se réfère aux droits directs seuls, c'est-à-dire sans prendre en compte les dispositifs comme la pension de réversion ou encore les avantages familiaux tels la Majoration de durée d'assurance (MDA) ou l'Assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF).

Pour tenter de pallier ce manque pour les femmes, et plus généralement pour les retraités aux plus petites pensions, le gouvernement a inscrit dans la réforme une revalorisation de la pension minimum à 85% du SMIC, soit environ 1.200 euros brut, également présenté comme une mesure favorisant les femmes. Mais elle ne s'appliquera qu'aux retraité(e)s ayant des pensions complètes. Là encore, le fait que les femmes connaissent davantage des carrières hachées, les empêchant d'atteindre le nombre d'années requis, nuancent la portée d'une telle mesure.

Troisième disposition qui jouerait en faveur des femmes : le maintien de l'âge auquel il est possible de toucher une pension complète sans décote (67 ans), même sans avoir le bon nombre d'années cotisées. Une mesure « particulièrement favorable aux femmes qui sont deux fois plus nombreuses à devoir attendre cet âge en raison d'interruption de carrière », promet le gouvernement. « Elisabeth Borne a assuré que cette réforme était juste pour les femmes. Je ne vois pas en quoi il y a un progrès pour les femmes tant qu'il y a une décote », répond Rachel Silvera.

Le reflet des inégalités de la vie professionnelle

Difficile donc pour la maîtresse de conférence de partager l'enthousiasme de la Première ministre. Mais la réforme des retraites est-elle le nœud du problème ? Il apparaît en effet que les inégalités entre les femmes et les hommes observées à la retraite ne sont que le reflet de celles rencontrées pendant la vie professionnelle, constate Rachel Silvera comme Monika Queisser. « On nous demande souvent quel est le meilleur système pour éradiquer les inégalités entre les hommes et les femmes. Le problème est que les systèmes de retraite reflètent la carrière professionnelle, donc toutes les différences et les inégalités de la vie active. Et malheureusement aucun système de retraite ne peut éradiquer ça, à moins de couper le lien entre expérience professionnelle et retraite et payer la même pension à tout le monde », constate cette dernière. La France n'est d'ailleurs pas le seul pays à faire face à ces difficultés. « On peut dresser ce constat avec de nombreux systèmes de retraites d'autres pays. Quand on regarde le pays avec le plus grand écart femmes-hommes, c'est l'Allemagne, ce qui reflète le fait que les Allemandes travaillent moins que les hommes et souvent à temps partiel, surtout quand elles ont des enfants », ajoute-t-elle. Mais, selon la cheffe à l'OCDE, « ça ne veut pas dire que le système est inégalitaire ». « Pour aider les femmes, faudrait-il simplement augmenter à toutes leurs retraites ? Cela serait-il plus juste pour autant ? Pas forcément », s'interroge-t-elle.

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Si Rachel Silvera admet que « ces inégalités ne sont pas la faute du système de retraite » et prône la mise en place « en amont, de vrais leviers pour l'égalité au travail », elle milite néanmoins pour « un système de retraite plus juste qui devrait aller plus loin et compenser en partie ces inégalités » . « On pourrait imaginer que les femmes ayant dû s'arrêter de travailler ou réduire leur temps de travail pour s'occuper d'un enfant bénéficient d'un pourcentage supplémentaire pour le calcul du montant de leur pension », avance-t-elle.

Reste à savoir si cette proposition pourrait faire partie de la réforme des retraites dont certains points restent à définir, Elisabeth Borne ayant assuré être « prête à faire encore évoluer ce texte » si controversé.

Coline Vazquez
Commentaires 5
à écrit le 12/01/2023 à 20:56
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Tout le monde est là à monter sur ses grands chevaux mais, finalement, on ne sait pas très bien où est le problème (sauf, bien sûr, que la retraite à 65 ans est une injustice de plus pour affamer le petite peuple au profit des méchants riches capital...

le 13/01/2023 à 11:12
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a) les caisses du privé se portent bien, pas de déficit, b) l'Etat doit en effet verser les cotisations des fonctionnaires, mais à part ça, nada, c) ce qui est malsain, c'est de faire une réforme qui augmentera la proportion de pauvres aux métiers us...

à écrit le 12/01/2023 à 18:33
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Dans ce pays où l'on nous bassine avec les inégalités à longueur de journée, on continuera à avoir des régimes spéciaux qui ont plus d'avantages que tous les autres malgré le déficit de leurs caisses qui est compensé avec les impôts de tous les cont...

à écrit le 12/01/2023 à 17:11
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la réforme des retraites, c'est bon pour les marchés boursiers.

à écrit le 12/01/2023 à 17:00
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il faut aussi voir l autre coté. dans certains cas les femmes sont favorisées: depart a la retraite plus tot, bonnification si 3 enfants et pension de reversion. si les femmes epousent des hommes qui gagnent plus qu elles (ce qui prouvent qu elles o...

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