Roux de Bézieux : "La CGT est devenue un bastion conservateur ancré dans le XXe siècle"

Par César Bernard, Les Mardis de l'Essec  |   |  1556  mots
(Crédits : Noir sur Blanc (Essec))
ENTRETIEN VIDÉO. Geoffroy Roux de Bézieux, Président du MEDEF, a été l'invité le 27 mars 2019 dernier des Mardis de l'Essec, dont La Tribune est partenaire. Retrouvez ici la vidéo de son intervention et le texte rédigé à l'issue par un des étudiants.

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Moins d'un an après sa nomination à la tête du MEDEF, Geoffroy Roux de Bézieux a accepté de répondre ce mercredi 27 Mars aux questions des Mardis de l'ESSEC. C'est avec un franc-parler détonnant que cet alumnus de l'ESSEC s'est adressé aux nouvelles promotions. Une interview sans filtre durant laquelle la place du MEDEF au sein du dialogue social houleux en France, la politique économique d'Emmanuel Macron et l'évolution du patronat ont été les principaux sujets évoqués.

Des corps intermédiaires fragilisés

Geoffroy Roux de Bézieux a tout d'abord regretté l'affaiblissement des corps intermédiaires provoqué à la fois par la politique de renforcement de l'exécutif menée par Emmanuel Macron, qu'il qualifie de « président qui fait tout », et le mouvement des gilets jaunes, ardents défenseurs de la démocratie directe.

« Vous regardez les gilets jaunes, tout est contradictoire. Le rôle des représentants est de transformer ça en synthèse opérationnelle permettant d'avancer ».

Le grand débat national aurait renforcé cette tendance libérale :

« La démocratie directe est le meilleur chemin vers la dictature », a-t-il prévenu en rappelant les écrits de Tocqueville.

Mais les syndicats ont également leur part de responsabilité, « y compris le MEDEF » a-t-il ajouté. La baisse de leur représentativité et leur faible adaptation face aux évolutions rapides du monde de l'entreprise ont aggravé la méfiance dont ils sont victimes. Geoffroy Roux de Bézieux n'a pas mâché ses mots au sujet de l'actuel secrétaire général de la CGT :

« Quand on regarde les propositions de Philippe Martinez, on a l'impression que l'économie n'a pas bougé depuis 40 ans (...) La CGT est devenue un bastion conservateur ancré dans le XXe siècle ».

Afin d'éviter de tomber dans ce piège, le MEDEF peut compter sur son nouveau président :

« Ce que je veux, c'est permettre au MEDEF de s'adapter aux entrepreneurs (...) Le rôle du MEDEF c'est d'éclairer l'avenir ».

CICE : à la recherche du million d'emplois perdus

Geoffroy Roux de Bézieux a dû s'expliquer sur les engagements de son prédécesseur, notamment la promesse d'un million d'emplois créés sur 5 ans grâce à l'adoption du Crédit d'Impôt Compétitivité Emploi. Estimer l'impact précis du CICE sur le marché du travail est complexe : selon les estimations de France Stratégie, entre zéro et 330 000 emplois auraient été créés grâce à cette mesure phare du quinquennat de François Hollande. Toutefois l'actuel président du MEDEF se veut plus optimiste : « on n'en est pas loin », assure-t-il sans donner de chiffres précis et se félicite de la hausse des marges. La démographie française expliquerait également la lenteur des effets du CICE sur le marché du travail. Il a ainsi appelé à la patience face à une politique de long terme en citant l'ancien chancelier allemand Helmut Schmidt :

« Les profits d'aujourd'hui font les investissements de demain et les emplois d'après-demain ».

La récente décision du président Macron de transformer le CICE en baisse de charges « ne change rien pour l'entreprise » excepté sur le plan comptable.

Toujours à propos de fiscalité, notre invité s'est permis de critiquer ce qu'il considère être une idée reçue :

« Vous tombez dans le piège absolu des journalistes : ne croyez pas que les grandes entreprises payent peu d'impôts et les petites beaucoup, c'est l'INSEE qui le dit ! »

En réalité, les chiffres du Conseil des Prélèvements obligatoires indiquent que les taux d'imposition implicites (c'est-à-dire l'impôt sur les sociétés avant le résultat d'exploitation) étaient de 23,1% pour les grandes entreprises contre 22,5% pour les microentreprises, mais contre 27,8% pour les PME en 2014. Néanmoins, l'écart entre PME et grandes entreprises s'est considérablement réduit depuis 2007.

Dans la lutte contre le chômage structurel, Geffroy Roux de Bézieux a insisté sur l'importance de la formation :

« Les gens qui sont au chômage ne sont pas des gens diplômés ».

À juste titre, l'existence de deux marchés du travail hétérogènes et imperméables en France est incontestable : fin 2018, le taux de chômage des salariés disposant d'au moins bac+2 et de plus de onze ans d'expérience professionnelle était estimé à 4,2% seulement, contre 48,4% parmi les non-qualifiés avec une faible expérience d'après l'INSEE. Cette segmentation reflète un « problème majeur d'ascenseur social dans ce pays » :

« Les Français se disent que tout est joué d'avance, quels que soient les efforts que fourniront leurs enfants. La France est le pays de l'OCDE où la mobilité sociale est la plus faible ».

Il vante les États-Unis comme un contre-exemple :

« Les Américains ont toujours l'espoir que ce sera leur tour, ou celui de leurs enfants. »

Pour remédier à cette inertie sociale, Geoffroy Roux de Bézieux balaie l'idée d'un revenu universel au profit d'un « capital départ » théorisé par Thomas Paine et qui serait prêté sous conditions et sans intérêts à des individus souhaitant financer des projets d'étude, d'entrepreneuriat ou d'immobilier.

Par ailleurs, le président du MEDEF s'est exprimé en faveur d'une prolongation de la « prime Macron », une prime exceptionnelle de pouvoir d'achat défiscalisée. En effet, la mesure a pris fin la semaine dernière, le temps d'apaiser les gilets jaunes. 12% des entreprises l'ont versée aux salariés, pour un montant moyen de 449 euros par bénéficiaire.

"On ne change pas le monde par décret"

Souscrivant à l'analyse du sociologue Michel Offerle dans Patrons en France qui fait de la catégorie des « Patrons » la catégorie sociale la plus étirée, le MEDEF ne doit pas pour autant se segmenter selon son président, et ce, malgré l'existence de débats en interne sur une division entre activités industrielles et activités de service.

« 95% des intérêts des patrons sont les mêmes, ne serait-ce que la fiscalité, tout le monde en veut moins. (...) Mon job c'est de trouver une synthèse entre les différents types de patrons ».

Geoffroy Roux de Bézieux a également évoqué les enjeux de responsabilité sociale et environnementale. Si la vision friedmanienne du management est devenue obsolète, il juge la Loi Pacte inutile face à l'attente grandissante des citoyens envers les entreprises.

« Je n'ai rien contre, mais ça ne servira à rien. Ce sont les patrons qui changent le monde, pas l'État (...) Changer le monde, ça ne se décrète pas ».

Les entreprises conservent une « bonne image » souligne-t-il de surcroît. Toutefois celle des grands groupes s'est récemment dégradée après avoir atteint 53 points dans le baromètre Posternak-Ifop en septembre 2018.

« Je ne sais pas si le MEDEF a une responsabilité sur la mauvaise image des sociétés » a-t-il répondu tout en confessant que le mandat de son prédécesseur Pierre Gattaz a été marqué par la détérioration de l'opinion vis-à-vis de l'institution en dépit de plusieurs victoires symboliques.

Conscient du passage de l'entrepreneur « shareholder » au « stakeholder », l'ex-PDG de The Phone House a certainement marqué un tournant dans le leadership du MEDEF. Après s'être opposé aux parachutes dorés, Geoffroy Roux de Bézieux s'est fait remarquer pour ses mesures hétérodoxes vis-à-vis de la ligne traditionnelle du syndicat du patronat, en premier lieu la suppression de l'université d'été à HEC :

« La première décision d'un ESSEC, c'est d'arrêter de faire quelque chose à HEC » a commenté l'ancien ESSEC 84 avec humour.

Il a également évoqué la création du COMEX -40 réunissant 49 patrons de moins de 40 ans, dont 25 femmes afin d'aborder des thématiques RSE. Ce changement de cap radical lui paraît nécessaire face à « l'extraordinaire disruption » qui remet en cause le capitalisme familial à la française :

« Aujourd'hui, (les jeunes entrepreneurs) se rendent compte que ce que leurs parents ont fait ne fonctionne pas forcément de la même manière aujourd'hui (...). Ce qui fait changer les mentalités, c'est les générations qui ont de nouvelles priorités. Il y a une initiative d'étudiants de grandes écoles, disant "nous ne travaillerons pas dans une entreprise qui ne se préoccupe pas du climat" ».

Cependant cette conception européenne de l'entreprise et de la société serait menacée.

« La Chine est en train de montrer que liberté économique et liberté politique ne vont pas de pair ». Inquiet de la menace autocratique, le président du MEDEF appelle à une politique industrielle européenne : « La réponse de l'Europe, c'est celui de sa souveraineté. À un moment, il faut mettre en place une réciprocité. Le libre-échange ce n'est pas la jungle. Pour le moment, le système chinois prend le dessus ».

 Finalement Geoffroy Roux de Bézieux met en évidence deux « murs » auxquels l'économie française est confrontée : le mur de la mondialisation, marquée par les velléités expansionnistes de la Chine, et le mur du numérique porté par les GAFA et l'intelligence artificielle, dont découle la problématique de la fin du travail. De tous les syndicats, seul le MEDEF résisterait si les machines venaient à remplacer les hommes. Voilà qui inaugure un avenir prometteur pour Geoffroy Roux de Bézieux et ses successeurs.