Quel est l'état réel de la Russie ? PIB, inflation... au "Davos russe", l'élite économique russe s'écharpe en public

Au Forum économique de Saint-Pétersbourg, le "Davos russe", Elvira Nabioullina, la gouverneure de la banque centrale de Russie, l'une des dernières voix libérales encore présentes à la table des décideurs politiques russes, a appelé à une "perestroïka" structurelle (une reconstruction) de l'économie. Et n'a pas hésité à répliquer publiquement à ceux qui, proches du Kremlin, voudraient présenter un tableau idyllique de la situation économique de la Russie depuis l'invasion de l'Ukraine.
Jérôme Cristiani
Elvira Nabioullina, gouverneure de la Banque centrale de Russie (ici au Forum économique de Saint-Pétersbourg, le jeudi 16 juin), n'hésite pas à monter au créneau quand Maxime Orechkine, ex-ministre de l'Économie et actuel conseiller économique du Kremlin, s'en prend aux prévisionnistes au motif qu'ils donneraient une vision pessimiste de la situation économique de la Russie.
Elvira Nabioullina, gouverneure de la Banque centrale de Russie (ici au Forum économique de Saint-Pétersbourg, le jeudi 16 juin), n'hésite pas à monter au créneau quand Maxime Orechkine, ex-ministre de l'Économie et actuel conseiller économique du Kremlin, s'en prend aux prévisionnistes au motif qu'ils donneraient une vision pessimiste de la situation économique de la Russie. (Crédits : Reuters)

C'est un spectacle rare que de voir des responsables russes étaler leurs divergences en public - qui plus est en pleine guerre avec l'Ukraine et dans un contexte d'opprobre général des pays occidentaux qui aurait dû inciter lesdits responsables à plus de discrétion sur leurs divergences internes.

Où et quand ? C'était hier, au Forum économique de Saint-Pétersbourg (St-Petersburg International Economic Forum, ou SPIEF, du 15 au 18 juin), rendez-vous très couru du gotha politique et économique mondial (d'où le surnom de "Davos russe")... jusqu'à l'invasion de l'Ukraine - et donc promis désormais à un hiver diplomatique durable.

Quoi ? Le motif qui a fait grimper le thermomètre sur l'estrade : principalement, l'inflation et les prévisions de croissance de la Russie dans un contexte de pilonnage du pays par déjà six vagues de sanctions occidentales infligées à l'envahisseur de l'Ukraine.

Qui ? Les plus éminentes autorités économiques russes. Exemple de la vigueur des échanges:

« Il n'est pas question pour l'instant d'un risque de déflation. Pour l'instant, nous avons une augmentation des prix de 16,7% sur un an », a déclaré vendredi Alexeï Zabotkine, vice-président de la banque centrale russe, selon l'agence Interfax, utilisant l'inflation annuelle, indice de référence.

Il était aussitôt contredit par le ministre du Développement économique Maxime Rechetnikov, qui rétorquait :

« Si, nous avons une déflation pour la cinquième semaine consécutive ! »

Et, soutenant qu'il n'était "pas nécessaire de mesurer l'inflation année par année", il martelait:

"Nous glissons vraiment dans une spirale déflationniste, nous devons prendre cela au sérieux."

Un désaccord rare entre deux représentants d'éminentes instances économiques russes mais pas inédit car la banque centrale d'une part et les ministères du Développement économique ou des Finances de l'autre sont parmi les seules institutions russes à afficher occasionnellement un désaccord public.

Guerre de tranchées entre optimistes et pessimistes

Ce vif échange, aux vues totalement contradictoires sur l'état économique de la Russie faisait suite à un autre accrochage, hier jeudi 16 juin, entre Maxime Orechkine, ex-ministre de l'Économie et actuel conseiller économique du Kremlin, et la patronne de la Banque de Russie, Elvira Nabioullina.

Maxime Orechkine, qui ne prévoit qu'une contraction du PIB de 5% cette année, avait durement critiqué les sombres prévisions de croissance qu'il juge excessivement pessimistes formulées en avril par le patron de la Cour des comptes, qui lui prévoit une chute du PIB de plus de 10% cette année.

À la limite de qualifier son opposant de traître à la patrie, il déclarait:

« J'ai le sentiment que [ceux qui font ces prévisions, Ndlr] ont soit le désir de nuire au pays, soit ils ne croient pas en leur propre pays, en son pouvoir. »

Il concluait en martelant un classique mantra patriotique :

« Nous sommes un pays fort, nous sommes un peuple fort, nous pouvons résoudre les problèmes. »

Pas de quoi impressionner la patronne de la Banque de Russie, Elvira Nabioullina, qui lui donnait la réplique en lui rappelant qu'il fallait s'intéresser au message et non tomber dans la facilité de s'en prendre au messager :

« Chercher des coupables chez ceux qui font des prévisions est la dernière chose à faire », a-t-elle rétorqué. « Dans les conditions d'incertitude où nous nous trouvons, considérer qu'ils sont des ennemis ou des mécréants est tout simplement absolument faux. »

Le Kremlin n'a cessé d'affirmer que le pays résiste aux sanctions occidentales, et que l'Europe et les États-Unis souffrent plus que la Russie de ces mesures de représailles, même si le pays se trouve en grande partie coupé du monde d'un point de vue financier, commercial et logistique. Autant de conditions qui impliquent pour Moscou de restructurer l'économie du pays.

"Les conditions ont changé, sinon pour toujours, du moins pour longtemps", a relevé Mme Nabioullina.

Elvira Nabioullina, une des dernières voix libérales audibles en Russie

Elvira Nabioullina, considérée comme l'une des dernières économistes libérales encore présentes à la table des décideurs politiques russes, est en charge de la gestion d'une économie de 1.800 milliards de dollars qui affronte les défis de la guerre et des sanctions occidentales.

Pour rappel, c'est elle qui vient de gérer le redressement du rouble sur les marchés financiers. Après s'être effondré à presque 132 roubles pour un dollar le 4 mars, il s'est depuis apprécié pour devenir la devise la plus performante cette année sur le marché des changes international. Le 23 mai, il s'est échangé  jusqu'à moins de 55 roubles pour un dollar, son meilleur niveau depuis 7 ans.

Au Forum économique de Saint-Pétersbourg, la gouverneure de la banque centrale russe a également appelé à une "perestroïka" ("reconstruction" en français) structurelle de l'économie.

En substance, elle a critiqué la trop grande importance du pétrole et du gaz dans l'économie russe depuis les découvertes d'immenses gisements d'hydrocarbures Sibérie après la Seconde Guerre mondiale. Ce faisant, elle pointait du doigt ce que l'on appelle la « malédiction des ressources naturelles » qu'elle résumait quant à elle en ces termes:

"Nous exportons au rabais, nous importons au prix fort. Et dans ces conditions, bien sûr, à mon avis, il est nécessaire de repenser les avantages des exportations", a déclaré Elvira Nabioullina. "Une partie importante de la production devrait travailler pour le marché intérieur".

Mme Nabioullina, qui dirige la banque centrale depuis 2013, a eu pour mentor l'un des économistes de marché les plus éminents de Russie, Evgeny Yasin, et elle n'est pas la première responsable politique russe à demander des mesures de diversification de l'économie.

(avec Reuters et AFP)

Jérôme Cristiani
Commentaires 10
à écrit le 18/06/2022 à 16:36
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on comprend pas comment ils peuvent avoir une deflation, alors qu'il y a plutot penurie de pdts et pbs d'appros, et que les taux de la banque centrale sont quand meme vachement eleves meme s'ils ont ete rebaisses......et faire des mesures a 5 semaine...

à écrit le 18/06/2022 à 7:48
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Pourquoi doit on croire plutôt la propagande occidentale qu'orientale? Parce qu'elle passe par les mêmes canaux médiatiques? ;-)

le 18/06/2022 à 11:03
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La situation économique des Pays Occidentaux est beaucoup plus transparente que celle des Pays totalitaires dont la Russie où l’interférence politique cherche constamment à nous faire prendre des vessies pour des lanternes…..

le 18/06/2022 à 11:16
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Vous êtes sérieux ou c'est du second degré ?

le 18/06/2022 à 18:21
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Russie Chine Turquie même discours qui tronquent les chiffres et la réalité souhaitée..un grand classique des pays dictatoriaux qui n ont aucun contre pouvoir ...au moins cette dame est courageuse mais risque de finir empoisonnée ou au goulag...

à écrit le 17/06/2022 à 14:52
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Avec la guerre en Ukraine, les ultralibéraux souvent proches de l'Otan et des oligarques, ont définitivement perdu la partie comme cette banquière droitière. Et c'est pareil en Chine communiste. Chine communiste et Russie converge pour être plus in...

le 17/06/2022 à 15:43
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C'est tout le contraire qui va se produire. La position de la Russie accélère les processus de remplacement par d'autres énergies par l'UE. Quand on aura plus besoin du pétrole et du gaz russe elle sera ruinée

le 17/06/2022 à 17:03
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La Russie vit de la rente de ses matières premières tout comme le Venézuéla, l'Algerie ou l'Arabie Saoudite alors que la Chine " usine du monde " à une industrie florissante .Economiquement la Russie est un nain , au niveau du pib la chine est 2 e et...

le 17/06/2022 à 17:44
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@ communiste Vous retardez d'au moins 2 guerres et bientôt de 3 avec la guerre d'Ukraine. Les dictatures, les autocraties sont juste capables de tirer les bénéfices des ressources naturelles ou d'exploiter leurs peuples, voire les 2 en même temps...

le 17/06/2022 à 18:00
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Je vois que les anticommunistes de tout poils sont très inquiets de la situation et s'énervent dans leurs posts désespérés.....

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