Japon : vers des Abenomics 2.0 ?

La victoire aux sénatoriales de Shinzo Abe ouvre la voie à une nouvelle politique alliant un plan de relance à la politique monétaire accommodante. La priorité est désormais donnée à la lutte contre la déflation.
Vers un plan de relance au Japon ?

La victoire claire dimanche aux élections sénatoriales japonaise du Parti libéral-démocrate (LDP) du premier ministre Shinzo Abe et de son allié, le Komeito, pourrait ouvrir la voie à une nouvelle accélération du soutien à l'économie nippone. Toute la journée, sur les marchés, les opérateurs ont parié sur une action concertée de la Banque du Japon (BoJ) et du gouvernement japonais. Il est vrai que l'enjeu est de taille.

Le yen trop fort

La BoJ semble avoir atteint les limites de ses possibilités. Non seulement elle rachète quelques 700 milliards d'euros (80.000 milliards de yens) par an, mais elle est passée cette année aux taux négatifs sur une partie de sa facilité de dépôts. Malgré tout, les effets du Brexit ont ruiné un des principaux objectifs de la banque centrale nipponne : le yen, havre de sécurité pour les investisseurs, a bondi de 110 yens pour un dollar à près de 100 yens pour un dollar. Mais avant même le vote britannique, la tendance du yen était plutôt à l'effritement. Or, sans yen faible, l'économie japonaise souffre non seulement dans sa compétitivité, mais aussi au niveau du taux d'inflation que la monnaie forte maintient à un niveau très bas. Et la BoJ semble désormais impuissante tant qu'elle agira seule.

Vers une relance de 10.000 milliards de yens ?

Dans un tel contexte, le blanc-seing acquis par Shinzo Abe ce dimanche est, pour lui, une invitation à agir. Certes, la campagne a surtout porté sur la question constitutionnelle et sur la question de l'armée japonaise, mais désormais le premier ministre dispose de deux années pour agir avant les élections à la Diète, la chambre basse du parlement, sans nouvelles élections. Renforcé, Shinzo Abe peut être tenté d'agir pour relancer la croissance. L'idée pourrait être de réaliser un vrai plan de relance de 10.000 milliards de yens par an, soit 88 milliards d'euros, ou 2 % du PIB avec un élargissement plus modeste des rachats de la BoJ. Autrement dit, le Japon pourrait tenter ce que la zone euro se refuse à essayer : combiner l'assouplissement quantitatif à la relance budgétaire.

Quelle sera la nature de cette relance ? L'effort pourrait porter sur les infrastructures, en partie pour fournir un relais à l'activité alors que la demande extérieure, notamment en provenance de Chine manque de dynamisme. Mais il s'agira aussi de soutenir la croissance par le soutien à la consommation des ménages. Déjà, la hausse prévue de la TVA a été reportée d'avril 2017 à octobre 2019.

Prioriser la lutte contre la déflation

Beaucoup d'observateurs internationaux, prompts à condamner un peu vite les « Abenomics » se lamentent déjà du refus du premier ministre nippon de réaliser des « réformes structurelles » qui, selon eux, peuvent seules dynamiser la croissance japonaise. Rien n'est moins sûr cependant dans la mesure où plusieurs de ces réformes libérales auraient encore un effet déflationniste. L'idée de Shinzo Abe est donc d'abord de lutter contre la tendance déflationniste qui, non seulement, alourdit le fardeau de la dette pour l'Etat, mais aussi réduit la capacité des salaires à monter malgré l'état de plein-emploi du pays, avant de réaliser ces réformes.

Abandonner l'objectif budgétaire

C'est dans cet esprit de priorisation que Shinzo Abe va également abandonner sa politique budgétaire. En bon libéral-démocrate, le premier ministre avait engagé une politique de restriction budgétaire. Depuis 2013, le déficit primaire était passé de 7,88 % du PIB à 5,44 % du PIB. Un effort qui devait se poursuivre pour atteindre l'équilibre en 2020. Certes, les niveaux de déficits sont importants, mais cette politique est contraire aux objectifs visés : elle est déflationniste et pèse sur les anticipations des acteurs économiques. C'est une des raisons - souvent peu citées - du relatif échec des Abenomics avec le problème de la « dépendance à la déflation » des agents économiques japonais et la dépression de la demande asiatique. Shinzo Abe pourrait donc remettre à plus tard - sans doute sans l'avouer ouvertement - l'objectif d'équilibre pour 2020.

Ce que pourrait alors proposer le gouvernement, c'est de ne plus tirer en sens inverse de la politique monétaire. Tokyo abandonnerait donc temporairement, au nom de la lutte contre la déflation cette politique et se lancerait dans un plan de relance ambitieux par un « deuxième budget supplémentaire » en octobre ou même avant. L'objectif est clair : relever rapidement les anticipations d'inflation en pesant sur le yen, en compensant la baisse de la demande externe, mais aussi en jouant sur des hausses de salaires. Car c'est là le nœud gordien du problème nippon : jamais les marges des entreprises n'ont été aussi élevées, mais la croissance des salaires ne suit pas. Or, sans hausses de salaires, il n'y aura pas de reprise de l'inflation.

Une leçon pour la BCE et la zone euro ?

Une fois l'inflation revenue, la croissance sera normalement plus soutenue et il sera plus aisé pour le Japon de se désendetter. Shinzo Abe devrait donc lancer un « Abenomics deuxième version », où désormais seul comptera la lutte contre la déflation. Pour cela, la BoJ sera toujours mise à contribution, notamment pour « financer » le déficit public et donc cette relance, mais elle ne sera plus seule. A l'heure où la BCE se voit chaque jour confronter à ses propres limites, l'expérience japonaise méritera sans doute qu'on l'observe, même si en zone euro, ce complément budgétaire semble impossible, pour des raisons politiques, à mettre en place. En attendant, sur les marchés, le yen est tombé ce 11 juillet à 102,6 yens pour un dollar.

Commentaires 4
à écrit le 12/07/2016 à 11:17
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Et cette politique de relance va encore échouer ... Comme toutes celles avant. Les politiques de relance ne marchent que pour empêcher qu'une crise se transforme en dépression. Mais ne permet pas de relancer la croissance. Je rappelle que Keynes parl...

le 03/08/2016 à 17:02
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Effectivement, leur sectarisme les niquera...

à écrit le 11/07/2016 à 21:50
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Rien n'est moins sûr qu'une hausse des salaires soit en mesure de relancer l'inflation dans une économie ouverte : en effet la hausse des coûts de production qui en résulte entraîne une dégradation de la compétitivité des productions nationales donc ...

à écrit le 11/07/2016 à 18:47
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"Une leçon pour la BCE et la zone euro ?" Pour l'Allemagne vous voulez dire plutôt non ? Vu que c'est elle qui dicte la politique économique de cette union européenne à l'agonie. Aucune chance il faut que les pays européens subissent l'austér...

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