18 ans de développement effacés : le scénario extrême de l'économie ukrainienne

La guerre coûtera à l'Ukraine au moins 10% de PIB, selon les premières estimations du FMI, qui redoute jusqu'à 35% de baisse de la production de richesse annuelle. Dans le scénario le plus extrême, celui d'un enlisement du conflit, jusqu'à 18 ans de progrès en matière de développement pourraient être effacés en 12 à 18 mois en Ukraine, selon Achim Steiner, administrateur du Programme des Nations unies pour le développement, affilié à l'ONU. Aujourd'hui, la moitié des entreprises sont fermées ou soutiennent l'effort de guerre, le secteur agricole et industriel (50% du PIB) sont paralysés, une partie de la main d’œuvre a quitté le pays ou s'est engagée dans la défense territoriale. En dépit de cette déflagration, les services vitaux et le système financier du pays continuent de fonctionner, notamment grâce à l'aide internationale. A court terme, le défaut de paiement de l'Ukraine n'est pas envisagé par les institutions internationales. Mais le prix de la guerre pourrait plonger 90% d'Ukrainiens dans la grande pauvreté.
La guerre en Ukraine, suite à l'invasion russe, a détruit les infrastructures, ravagé les cultures et érodé le capital-humain. Le PIB pourrait se contracter jusqu'à 35% si le conflit s'enlise. Conséquence, plus de 90% des ukrainiens pourraient se retrouver dans un situation de grande pauvreté. Le coût de la reconstruction du pays s'élève déjà à 100 milliards de dollars, estime le gouvernement ukrainien.
La guerre en Ukraine, suite à l'invasion russe, a détruit les infrastructures, ravagé les cultures et érodé le capital-humain. Le PIB pourrait se contracter jusqu'à 35% si le conflit s'enlise. Conséquence, plus de 90% des ukrainiens pourraient se retrouver dans un situation de grande pauvreté. Le coût de la reconstruction du pays s'élève déjà à 100 milliards de dollars, estime le gouvernement ukrainien. (Crédits : Reuters)

Derrière les chiffres froids des décès et les bombes destructrices, le conflit en Ukraine ravage le capital humain et les moyens de production de cet État de 42 millions d'habitants, dont près de 3 millions ont déjà quitté leur pays, soit 7% de la population. Selon les premières estimations du Fonds monétaire international (FMI), l'invasion russe - qui a entraîné une résistance armée ukrainienne - le PIB ukrainien (155 milliards de dollars en 2020) devrait se contracter d'au moins de 10% cette année. Et cela dans une perspective de "résolution rapide du conflit".

"Si le conflit s'enlisait, sur la base de l'historique des guerres au Liban, en Irak, en Syrie ou au Yémen, il pourrait plonger de 25% à 35%", alerte toutefois le Fonds monétaire international. "Le scénario le plus extrême est évidemment une implosion de l'économie", a expliqué ce mercredi 16 mars Achim Steiner, administrateur du Programme des Nations unies pour le développement, affilié à l'ONU. "Nous estimons que jusqu'à 18 ans de progrès en matière de développement pourraient être effacés en 12 à 18 mois en Ukraine", s'alarme Achim Steiner.

Un paysage économique qui a déjà radicalement changé

En 2014 et 2015, l'Ukraine avait également subi un choc économique, avec une production en baisse de 6,6 % et 10 % respectivement, à la suite de l'annexion de la Crimée par la Russie. Mais l'économie ukrainienne, fortement dépendante des exportations, a progressé de 3 % l'an dernier, portée par une récolte céréalière record. La production devait encore augmenter de 3,6 % en 2022.

Les dégâts sont déjà majeurs et le paysage économique a radicalement changé. "Les dégâts sur les infrastructures sont massifs. Nous avons des pénuries de nourriture, de médicaments ; dans certaines parties du pays, l'électricité est à court de courant ; et la partie la plus précieuse de la richesse de l'Ukraine - son capital humain - est laissée en nombre que nous n'avons pas vu en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale", s'est ému Kristalina Georgieva, la directrice générale du Fonds monétaire international dans une rencontre avec des journalistes le 14 mars dernier.

"Au 6 mars, 202 écoles, 34 hôpitaux, plus de 1.500 habitations dont des immeubles, des dizaines de kilomètres de routes et d'innombrables infrastructures critiques dans plusieurs villes ukrainiennes ont été entièrement ou partiellement détruits par les troupes russes", décrit Vladyslav Rashkovan, le directeur exécutif du FMI représentant l'Ukraine.

Selon le principal conseiller économique de la présidence ukrainienne, Oleg Oustenko, l'invasion de son pays par la Russie avait déjà provoqué au moins 100 milliards de dollars de dégâts. "Mais pour nous, le FMI ou la Banque mondiale, il faut voir la fin des hostilités pour pouvoir évaluer ce qu'il faudrait [comme moyens financiers] pour la reconstruction."

50% des entreprises ukrainiennes ont fermé ou soutiennent l'effort de guerre

Selon les estimations de l'institution internationale, 50% des entreprises ukrainiennes ont complètement fermé. Les citoyens qui sont restés rejoignent massivement les forces de défense territoriale, cette armée citoyenne qui épaule les unités régulières. Le gouvernement ukrainien réorganise la production du pays pour soutenir l'effort de guerre. Et exhorte également les expatriés ou ceux qui viennent de quitter le pays d'envoyer des fonds pour soutenir la population et l'activité de défense.

Les envois de fonds des expatriés sont historiquement très précieux dans la richesse du pays. En 2020, ils représentaient 10 % du PIB, principalement en provenance de Pologne, de Hongrie et de la République tchèque. Ils soutiennent traditionnellement non seulement la consommation des ménages, mais contribuent également aux comptes extérieurs. En effet, le solde du compte courant est devenu exceptionnellement positif (3,4 %) en 2020 grâce, notamment, à la résilience des envois de fonds, alors qu'il serait tombé au-delà de -6 % sans cette contribution.

Menace sur la production agricole, qui représente 15% du PIB et 20% des emplois

Malgré les dommages importants causés par la guerre, le gouvernement et le pays ont jusqu'alors continué à fonctionner. "Les télécommunications fonctionnent, les banques fonctionnent, notamment les filiales françaises qui travaillent avec les banques ukrainiennes, afin de faire fonctionner un minimum les circuits économiques et financiers du pays, sinon c'est l'écroulement", expliquait hier à France 24, Jerôme Pasinetti, directeur de l'intelligence économique chez Amarante international. "Le véritable problème est dans l'incertitude liée à la production agricole et à l'industrie", poursuit l'expert, mais aussi aux canaux d'exportation de ces produits. Pour des mesures de sécurité, les grandes compagnies maritimes et routières n'opèrent plus en Ukraine et ne peuvent plus acheminer les marchandises, notamment via le port stratégique d'Odessa, actuellement sous les bombes.

Mais l'un des principaux problèmes économiques de l'Ukraine à venir est l'incertitude quant à la future récolte des produits agricoles. Le potentiel agricole du pays est majeur, avec 55 % des terres arables (blé, maïs, orge, colza, tournesol, betterave, soja).

L'agriculture et l'agroalimentaire sont ainsi l'un des moteurs de l'économie ukrainienne, générant 15% de son PIB, employant 20% de la population active et représentant 40% des exportations du pays, souligne une note du trésor français. Aujourd'hui, le pays produit 80 Millions de tonnes (Mt) de céréales et d'oléagineux par an, dont 54 à 55 Mt sont exportées. L'Ukraine est le premier exportateur d'huile de tournesol, le 2ème de colza, le 3ème exportateur de noix et de miel, le 4ème exportateur de maïs, d'orge et de sorgho et le 5ème exportateur de blé.

Face à un risque de pénurie, l'Ukraine a annoncé le 6 mars limiter les exportations de plusieurs produits agricoles (blé, avoine, volailles, oeufs...). Selon un décret publié, une licence décernée par les autorités est désormais nécessaire pour exporter le blé, la viande de volaille, les œufs, l'huile de tournesol. Des quotas ont également été introduits pour l'exportation de bétail, de viande de bétail, de sel, sucre, avoine, sarrasin, seigle, millet. Les revenus liés à l'agriculture devrait donc s'effondrer.

Le secteur industriel emploie quant à lui quelque 25% de la population active, selon les chiffres de la Banque mondiale, et représente plus de 20% du PIB. Le secteur manufacturier ukrainien est dominé par des industries lourdes telles que le fer (l'Ukraine est le septième producteur mondial de fer) et l'acier. Ces deux secteurs représentent à eux seuls environ 30% de la production industrielle.

Aide internationale massive

Dans ce contexte de guerre et d'arrêt de l'économie, "les besoins de financement sont importants, urgents et pourraient augmenter considérablement à mesure que la guerre continue", a détaillé la directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva, auprès des journalistes de la presse internationale. Le FMI a annoncé lundi envoyer 1,4 milliard de dollars de fonds d'urgence à l'Ukraine - le maximum autorisé par ses règles. Cela s'ajoute aux 2,7 milliards de dollars d'allocation accordés à l'Ukraine précédemment et les 700 millions de dollars décaissés en décembre. Ce financement de 1,4 milliard d'euros supplémentaire est déjà sur le compte de l'Etat ukrainien, assure l'organisation internationale.

"L'objectif de soutenir le fonctionnement de l'économie ukrainienne et surtout la capacité des autorités ukrainiennes à payer les salaires, les pensions, fournir le financement nécessaire pour les services de base. Le financement a été fourni pour assurer les fonctions vitales de l'Etat", a précisé la directrice générale du FMI. "Nous sommes prêts à fournir un financement supplémentaire si cela s'avérait nécessaire", a-t-elle ajouté.

Il faut ajouter à cela les nombreux dons des ONG et des citoyens du monde entier, ainsi que des aides spécifiques des Etats, notamment de l'Union européenne, en plus de l'envoie d'armements militaires pour résister à l'agresseur russe.

Le président Zelensky a notamment exprimé auprès du FMI une vision spécifique de canaux de financement "pour aider la population, pour aider les entreprises et pour diriger la reconstruction".

Reconstruire le pays avec les avoirs russes gelés

Dans une interview accordée à la BBC, le chef de la banque centrale ukrainienne, Kyrylo Shevchenko, a déclaré que les avoirs russes gelés dans des pays étrangers, à la suite de sanctions, devraient être utilisés pour aider à reconstruire le pays. "Le besoin d'argent sera énorme", a-t-il déclaré à la BBC. "Il pourrait être rempli grâce à des prêts et des subventions d'organisations multinationales et à une aide directe d'autres pays. Cependant, une grande partie du financement doit être obtenue à titre de réparation de l'agresseur, y compris des fonds qui sont actuellement gelés dans nos pays alliés".

De son côté, la Banque mondiale prépare un plan d'aide d'un montant global de 3 milliards de dollars. Hier, l'institution a annoncé une nouvelle aide de 200 millions de dollars. Cela s'ajoute aux 723 millions de dollars mobilisés pour l'Ukraine et son peuple la semaine dernière, dont 350 millions de dollars ont déjà été versés à l'Ukraine. Le total combiné de l'aide mobilisée par la Banque mondiale s'élève désormais à plus de 925 millions de dollars. Depuis son intégration en 1992, le pays a reçu 14 milliards de dollars de financement de la part de la Banque mondiale.

Au-delà de l'aide internationale, pour éviter l'effondrement de sa monnaie et l'instabilité de son système financier, le gouvernement ukrainien a imposé un contrôle des capitaux afin de préserver la disponibilité des réserves de change et réduire l'incertitude concernant le taux de change. Afin de soutenir davantage la stabilité financière, la Banque nationale d'Ukraine a mis en place une nouvelle facilité de liquidité et introduit des mesures réglementaires d'abstention. Bien que des limites de retrait en espèces aient été imposées, les transactions sans numéraire n'ont pas été limitées. "La politique budgétaire s'est concentrée sur la garantie de paiements prioritaires. L'Ukraine est restée à jour sur toutes les obligations de la dette", a expliqué Kristalina Georgieva.

Pas de risque de défaut de paiement à court terme

A court terme, la viabilité de la dette "ne semble pas menacée", estime par ailleurs le FMI. "Les données préliminaires ont montré qu'au 1er mars 2022, les réserves internationales de l'Ukraine s'élevaient à 27,5 milliards de dollars, couvrant 3,8 mois d'importations actuelles, un montant suffisant pour que l'Ukraine respecte ses engagements", a détaillé M. Rashkovan.

Reste qu'en dépit de la solidité actuelle du système économique ukrainien, 90% de la population ukrainienne pourraient être confrontés à la pauvreté si la guerre se prolonge, alerte également ce mercredi le PNUD, qui estime à 2% la part des Ukrainiens vivant sous le seuil de pauvreté. Mais c'était avant la guerre.

Commentaires 11
à écrit le 17/03/2022 à 14:17
Signaler
Mikhail Gorbatchev, reviens: ils sont devenus fous !

à écrit le 17/03/2022 à 14:05
Signaler
L'Ukraine a t'elle effectuée une quelconque réparation de guerre des dégâts commit par elle ( avec son calife les usa auquelle elle fit allégeance ) en Irak ? L'empressement des uns et des autres a t'il été de même en Irak ? En Libye ( détruite par...

le 18/03/2022 à 8:42
Signaler
la russie n a pas non plus payé pour ses degats en Afghanistan, en Hongrie (56), prague (68) ni pour les degats de Staline (pays balte, pologne en 39) Doit on payer pour avoir evité aux malien d etre conquit par les islamistes ? Cette interventio...

à écrit le 17/03/2022 à 13:58
Signaler
En 2015 le hryvnia ukrainien a été divisé par 3, personne en occident ne s'en ai soucié que tout allait couter 3 fois plus cher pour les Ukrainiens. 60% de l'economie ukrainienne est au black, a cela on joute une corruption systematique de toutes le...

à écrit le 17/03/2022 à 13:48
Signaler
Malheureusement si les (lourdes) sanctions économiques n'ont jusqu'ici pas conduit les peuples vénézuélien, iranien ou coréen à se débarrasser de leurs dictateurs, on voit mal comment il pourrait en être autrement en Russie...

à écrit le 17/03/2022 à 11:48
Signaler
La Russie payera.

le 17/03/2022 à 16:14
Signaler
ok, en suivant votre raisonnement, les irakiens, chiliens, vietnamiens sont priés d'envoyer leurs factures aux yankees de biden alors. Ah, les indiens d'amerique attendent toujours d'etre indemnisés pour l'occupation de leur terre

à écrit le 17/03/2022 à 10:30
Signaler
Avant de penser aux remboursements, il faut que la guerre se termine et là c'est un grand point ?.. Quand voit que les hommes et femmes Ukrainiens défendent à juste titre leur terre natale, il va être très difficile de relancer l'agriculture et l'ind...

à écrit le 17/03/2022 à 9:54
Signaler
Pas de commentaires de @bah, Churchill @, citoyen blasé @? Etc…. Bizarre eux d’habitude si prompt à dénoncer , polémiquer, le sujet ne doit pas les intéresser….

le 17/03/2022 à 10:34
Signaler
@ maurice: Ben non voyons vu que ce sont tes ukrainiens c'est forcément toi le mieux placé pour en parler !

à écrit le 17/03/2022 à 8:35
Signaler
Article indécent tandis que des vies ukrainiennes continuent de disparaitre. Êtes vous encore humain ?

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.