La cour d’arbitrage du TTIP incompatible avec les droits de l’homme

La nouvelle mouture du règlement des différends entre investisseurs et État n’est pas plus compatible avec les droits humains que la précédente, selon un expert de l’ONU. Un article de notre partenaire Euractiv;
Alfred de Zayas, expert indépendant, a été auditionné par la commission des affaires légales et des droits de l’homme du Conseil de l’Europe le 19 avril 2016.

Le règlement privé ou semi-privé  des différends entre les investisseurs et les États ne rend pas service à la démocratie, à l'état de droit et aux droits de l'homme, a affirmé un expert de l'ONU, Alfred de Zayas.

Auditionné par la commission des affaires légales et des droits de l'homme du Conseil de l'Europe le 19 avril, l'expert indépendant sur la promotion d'un ordre international démocratique et équitable a appelé à ce que ce type de mécanisme soit exclu de tout futur accord de libre-échange.

Protéger les investisseurs est "inutile" dans les Etats de droit

« Le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE) existant doit être abandonné et aucun nouveau traité d'investissement ne devrait contenir des dispositions sur la privatisation ou semi-privatisation du règlement des différends», a-t-il déclaré.

Prévu par de nombreux accords commerciaux, le règlement des différends tend à  garantir une protection des investisseurs face aux États, lorsque celui-ci ne respecte pas ses obligations à leur égard.

     | Lire : Matthias Fekl: «l'UE doit se doter de sa propre cour d'arbitrage»

Justifiée dans certains pays en proie à l'instabilité ou au manque d'indépendance de la justice, la clause d'arbitrage n'a pas d'utilité entre  les pays engagés dans le respect de l'État de droit, selon l'expert.

« C'est tout à fait inutile dans des pays signataires du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui se sont engagés à respecter les procédures requises et l'état de droit », a-t-il expliqué.

Santé, environnement... les Etats pourront-ils continuer à légiférer?

Dans les négociations commerciales actuelles entre l'Unon européenne et les États-Unis, la question  du mécanisme de règlement des différends est d'ailleurs devenue un tel  sujet de discorde que la Commission européenne  a proposé une nouvelle version de l'arbitrage en septembre dernier.

En lieu et place de règlement des différends, Bruxelles a proposé la création d'une cour d'arbitrage mi-publique, doté d'un mécanisme d'appel, inexistant dans la version précédente.

     | Lire : Bruxelles s'attelle à la réforme du mécanisme d'arbitrage du TTIP

Malgré ces améliorations, les critiques demeurent nombreuses sur l'impact de l'arbitrage sur la capacité des États à légiférer en matière de santé ou d'environnement. Selon Alfred de Zayas, le règlement des différends est responsable d'un « gel réglementaire » sur la législation en matière sociale et sur la protection de l'environnement.

Le nouveau système, un "zombie du RDIE"

« Malheureusement, le règlement des différends entre investisseurs et États n'est pas mort, et le système de tribunal d'investissement proposé dans le cadre du TTIP est un zombie du RDIE, qui souffre des mêmes défaillances fondamentales », a estimé M. de Zayas lors de son audition.

     | Lire : Les eurodéputés font volte-face sur la clause d'arbitrage du TTIP

« Ce sont les États, et particulièrement les États développés, ainsi que leur population, qui ont besoin de protection contre les investisseurs prédateurs » a affirmé l'expert.

« Le temps est venu d'abolir le RDIE et l'ICS pour s'assurer que, dorénavant, le commerce œuvre pour les droits de l'Homme et non contre eux. Les apriorismes idéologiques des fondamentalistes du marché doivent céder la place au bon sens, au respect des traités existants sur les droits de l'Homme, aux objectifs de développement durable et à la lutte urgente contre le changement climatique », a-t-il conclu.

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CONTEXTE

Même si la clause d'arbitrage entre les investisseurs et les États existe dans les accords depuis les années 1950, l'arbitrage est clairement apparu ces 20 dernières années.

Depuis les années 1950, les États membres de l'UE ont conclu plus de 1 400 traités bilatéraux d'investissement avec un grand nombre de pays tiers, représentant ainsi près de la moitié du nombre total des TBI dans le monde.

En Allemagne, le débat sur le RDIE fait rage depuis qu'une procédure d'arbitrage a été lancée contre le pays en 2012.L'affaire a été portée par Vattenfall, une entreprise suédoise qui demandait 4,7 milliards de dédommagements. La requête de Vattenfall faisait suite à la décision de l'Allemagne de fermer progressivement les centrales nucléaires, ce qui a entrainé la fermeture de deux centrales Vattenfall située dans la République fédérale.

Les opposants au mécanisme de RDIE considèrent qu'il permet à un investisseur étranger d'outrepasser les tribunaux nationaux et de contester un objectif politique légitime.

Un autre exemple donné par les détracteurs est le cas du différend entre la société de tabac Philip Morris et l'Uruguay et l'Australie. L'entreprise reprochait à ces deux pays l'introduction des paquets de cigarettes neutres. Le cigarettier a assuré que ces lois constituaient une forme d'expropriation. Même si ces cas ne sont toujours pas réglés, certains reprochent à la clause RDIE d'éloigner le pouvoir des gouvernements pour le mettre entre les mains des multinationales.

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Par Cécile Barbière, EurActiv.fr

(Article publié le 20 avr. 2016)

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