La livre turque dévisse de près de 15% face au dollar

Par latribune.fr  |   |  688  mots
Naci Agbal a été destitué de ses fonctions par un décret présidentiel qui n'avançait pas de motif, mais intervenait deux jours après un relèvement de 200 points de base du principal taux directeur de la banque centrale, une mesure destinée à lutter contre l'inflation, saluée par les marchés. (Crédits : Reuters)
Le limogeage brutal lundi du gouverneur de la banque centrale de Turquie par le président Recep Tayyip Erdogan a entraîné une forte dépréciation de la devise turque en début de journée et une baisse de 10% de l'IMKB, l'indice de la Bourse d'Istanbul, entraînant une suspension des cotations. Les investisseurs craignent une dégradation de la situation économique du pays où l'inflation en février atteignait 15,6%.

La livre turque a plongé et la Bourse d'Istanbul a clos en chute de près de 10% lundi, après le limogeage surprise par le président Recep Tayyip Erdogan du gouverneur de la Banque centrale du pays. Naci Agbal, un ancien ministre des Finances respecté, a été remercié vendredi soir un peu plus de quatre mois seulement après sa nomination.

La livre turque a dégringolé de 14,8% face au dollar tôt lundi sur les marchés des changes, s'échangeant en début de matinée en Asie jusqu'à 8,47 livres pour un billet vert contre 7,22 livres  en fin de semaine dernière. Elle s'est reprise quelque peu par la suite, remontant à 7,9 livres peu après 15H00 GMT.

La Bourse d'Istanbul a été aussi prise dans la tourmente, chutant de 9,8% à la clôture, après que les cotations ont dû être suspendues à au moins deux reprises dans la matinée, en application d'un mécanisme qui prévoit une interruption en cas de fortes fluctuations.

Aucun motif avancé

Naci Agbal a été destitué de ses fonctions par un décret présidentiel qui n'avançait pas de motif, mais intervenait deux jours après un relèvement de 200 points de base du principal taux directeur de la banque centrale, une mesure destinée à lutter contre l'inflation, saluée par les marchés.

Or le président Erdogan, partisan d'une forte croissance alimentée par des crédits bon marché, est hostile aux taux d'intérêt élevés, qu'il qualifie de "père et mère de tous les maux" et affirme, à rebours des théories économiques classiques, qu'ils favorisent l'inflation. Le limogeage de Naci Agbal et la chute de la livre, alors que l'économie pâtit déjà de l'impact de l'épidémie de coronavirus, ont laissé de nombreux Turcs désabusés.

"La Turquie donne l'impression d'être un pays qui ne suit aucune règle. Il n'y plus de droit, plus de démocratie et tout cela a un impact", s'exaspère Adem Demirtas, un conseiller financier rencontré dans une rue commerçante du centre d'Istanbul. "Soutenir le gouvernement ne veut pas dire fermer les yeux sur ses erreurs. Si des erreurs sont commises il faut qu'elles soient réparées", renchérit Sukru Kocak, un autre habitant de la ville.

Tentant de rassurer les investisseurs, le ministre turc des Finances Lütfi Elvan, a affirmé lundi que son pays maintiendra un régime de changes libres en dépit du plongeon spectaculaire de la livre turque.

Doute sur l'indépendance de la banque centrale

Naci Agbal a été remplacé par Sahap Kavcioglu, un économiste et ancien député du parti au pouvoir, une nomination qui inquiète les investisseurs et jette le doute sur l'indépendance future de la Banque centrale. Le nouveau gouverneur s'est engagé dès dimanche à prendre les mesures nécessaires pour parvenir à "une baisse durable de l'inflation".

Pour Jeffrey Halley, analyste chez Oanda, le nouveau patron de la Banque centrale turque "se trouve dans une situation difficile". "Soit il abaisse les taux au risque de voir fuir les investisseurs étrangers, l'inflation exploser et la devise s'effondrer. Soit il les augmente au risque de se faire virer", a-t-il écrit dans une note. En février, l'inflation s'élevait à 15,6% en rythme annuel en Turquie.

L'agence de notation Moody's a estimé dans une note que le changement de gouverneur "signale que de nouvelles hausses des taux ne seront plus à l'ordre du jour", et que ceux-ci pourraient même être baissés pour doper la croissance économique, qui a atteint 1,8% en 2020. L'envers d'une telle politique, selon Moody's, est qu'elle se traduirait par "une hausse des importations et un creusement du déficit des comptes courants".

Notant que le limogeage de Naci Agbal a provoqué "une forte baisse de la livre et un resserrement des conditions de financement extérieur", le cabinet de conseil Capital Economics a pour sa part souligné que le secteur bancaire devenait dans un tel environnement "une importante source de vulnérabilité et potentiellement plus exposé qu'il ne l'était avant la crise monétaire (turque) de 2018".