"Les femmes migrantes sont dans une situation de vulnérabilité insurmontable"

Par Cécile Barbière, EurActiv  |   |  1182  mots
En Jordanie, dans le camp de Al Zaatari, des femmes réfugiées de Syrie attendent de rencontrer un médecin devant le baraquement des consultations médicales.
La multiplication des situations d’instabilité dans le monde et la crise migratoire fragilisent la santé sexuelle et reproductive des femmes, affirme le vice-président de l’ONG Gynécologie Sans Frontières. Un article de notre partenaire Euractiv.

Le Docteur Richard Beddock est vice-président de l'ONG Gynécologie Sans Frontières, qui intervient depuis 1995 sur la santé des femmes dans les pays en développement.

EURACTIV - L'amélioration de la santé maternelle et reproductive a fait partie des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) qui se sont achevés en 2015. Estimez-vous que les progrès réalisés ont été à la hauteur?

RICHARD BEDDOCK - Les Objectifs du millénaire pour le développement ont permis de mettre un coup de projecteur sur les enjeux de la santé maternelle et reproductive, ce qui n'avait jamais été fait auparavant. Il faut noter les efforts qui ont été rendus possibles par ce cadre : une réduction de moitié des décès maternels et une réduction de la mortalité infantile. Mais l'objectif de réduire de trois quarts la mortalité maternelle n'a pas été atteint et le bilan des OMD met l'accent sur la situation qui reste très préoccupante.

L'amélioration de la santé maternelle reste plus lente que certains autres objectifs de développement.  Comment accélérer les progrès ?

Il y a beaucoup de points dans lesquels nous devons doit agir, et le premier c'est la situation de la femme dans le monde. Il faut par exemple renforcer l'accès à l'éducation scolaire, aux soins de santé, mais aussi à l'information en matière de santé sexuelle et reproductive. Pour permettre cela, il faut impérativement permettre la scolarisation jusqu'à un certain âge et donc interdire les mariages précoces et forcés. Le renforcement de ce cadre sociétal et politique est indispensable, mais ne dépend pas de la médecine.

En second lieu, il faut construire un cadre qui va permettre aux femmes de choisir le moment de leur grossesse en permettant donnant accès à des soins sécurisés pour accompagner la grossesse, à l'avortement médicalisé. Dernière étape,  il faut qu'une personne qualifiée accueille la femme pour l'accouchement. Il y a aujourd'hui une femme sur quatre qui accouche dans le monde sans l'assistance d'une sage-femme.

Dans la majorité des pays en développement, on est très loin d'avoir ce cadre politique et médical pour accompagner les femmes. Comment intervenez-vous ?

Nous nous rendons dans les structures sanitaires des pays en développement, principalement en  Afrique en Asie, mais aussi en Europe, pour les améliorer. Nous n'essayons pas de nous substituer au système de soin, mais former le personnel médical local pour qu'il puisse ensuite dispenser les soins et transmettre la formation.

Au Burundi, nous avons mené une mission de plusieurs années dans l'hôpital de Rema. [Au Burundi, le pourcentage d'accouchements effectués sans personnel qualifié est de 60%, et le taux de mortalité maternelle est de 800 décès pour 100.000 naissances, Ndlr]

Nous avons permis la formation en chirurgie aux soins obstétricaux et néonataux d'urgence complets mais également celle des soignants. Cependant, le soutien qu'on peut apporter ne peut exister que s'il y a une demande locale, que l'on ne peut pas créer. Nous avons également dispensé des formations pour apprendre à réparer les fistules, qui sont le deuxième drame lié à l'accouchement dans les pays en voie de développement. Cette ouverture entre la vessie et le vagin liés aux accouchements difficiles provoque souvent la mort de l'enfant, et pour la femme des fuites urinaires permanentes qui mènent souvent à leur répudiation.

Nous avons pu mener un véritable travail de qualité dans cet hôpital grâce au lien de confiance. Mais le chaos politique actuel au Burundi a mis fin à notre mission. [Le président burundais Pierre Nkurunziza a décidé de briguer un troisième mandat plongeant le pays dans l'instabilité, Ndlr]

Avez-vous été contraints de suspendre les missions de GSF dans de nombreux pays ?

Nous sommes une petite ONG donc nous n'allons pas aller dans des zones où les soignants seraient mis en danger. Il y a beaucoup de pays dans lesquels nous avions des missions de terrain, comme Haïti par exemple, mais qui est dans une situation d'insécurité qui nous a fait suspendre notre action. Nous intervenions également dans le camp de réfugiés Al Zaatari en Jordanie, mais là aussi, la situation s'étant dégradée nous avons dû arrêter notre mission.

Le travail sur la santé maternelle et reproductive se heurte souvent aux oppositions de certains pays à l'avortement. Comment parvenez-vous à regrouper des financements ?

Nous avons comme principe de ne pas arriver avec nos principes, justement ! Ne pas se présenter comme une ONG qui promeut l'avortement, mais comme une ONG qui accompagne l'accouchement des femmes. A notre niveau, la recherche des financements des missions est difficile. On a beaucoup de financements institutionnels et de donateurs. Quand on demande un soutien institutionnel, cela sous-entend que l'institution est d'accord avec notre démarche de soin.

En Jordanie, lorsque nous avons soigné des Syriennes à Al Zaatari, nous avions un financement des affaires étrangères français, donc nous n'avions pas de contrainte locale dans notre prise en charge.

Vous mentionnez votre intervention dans le camp Al Zaatari. Comment justement prendre en compte la santé maternelle au cours du parcours migratoire vers l'Europe, que de plus en plus de femmes mènent ?

Dans une situation de crise, les premières victimes sont toujours les plus faibles, c'est-à-dire les femmes et les enfants. Les femmes migrantes sont dans une situation de vulnérabilité insurmontable.

Nous ne sommes pas en situation d'apporter de l'aide à l'accouchement en situation de migration, c'est trop précaire. Et nous devons également faire face à la barrière de la langue. Du coup on a polarisé notre action sur Calais et sur les autres villages du nord de la France.

On agit à Calais depuis novembre pour aller au-devant de ces femmes et leur donner des soins gynécologiques  et obstétriques et faire le relais avec les hôpitaux du nord de la France, qui sont totalement débordés par la situation.

La situation à Calais est très difficile, car nous en sommes réduits à soigner des femmes les pieds dans la boue.  Ce sont le plus souvent des femmes jeunes qui entament ce parcours migratoire, elles sont dans la même détresse en Jordanie qu'à Calais.

Nous sommes très troublés par l'absence de financement public. Quand on va sur place avec nos soignants et notre matériel, on se rend compte qu'il y a un véritable besoin de soins, qui doit être entendu et dispensé.

Nous n'avons pas de financement institutionnel à Calais,  nous comptons sur la fondation pour la santé des femmes du Collège national des gynécos obstétriciens de France ainsi que des financements privés qui nous soutiennent dans nos démarches.

     | Lire aussi : L'UE ferme les yeux face à la violence envers les migrantes

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Par Cécile Barbière, EurActiv.fr

(article publié le mardi 8 mars 2016, à 7:00)

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