
La victoire nette du chef du Parti libéral canadien Justin Trudeau est une véritable leçon pour l'Europe. Certes, la personnalité du nouveau Premier ministre, sa jeunesse et son nom, ont sans doute joué un rôle dans le retour des Libéraux au pouvoir.
Mais, bien plus que ces éléments, c'est d'abord la capacité de Justin Trudeau à créer les conditions d'une alternative qui a été déterminante dans le scrutin canadien. La preuve en a été la très nette poussée de la participation, passée de 62 % à 67 % des inscrits, poussée qui a principalement profité au Parti libéral lequel, avec 4,2 millions de voix gagnées, est le seul grand parti à progresser.
L'audace de Justin Trudeau
Le fils de l'ancien chef du gouvernement Pierre-Elliott Trudeau a donc réussi à mobiliser l'électorat canadien. Il l'a fait avec un message clair, qu'il a résumé lors de son premier discours après les élections :
« Le temps est venu d'un vrai changement. »
Ce qu'a réussi Justin Trudeau, c'est convaincre les Canadiens qu'il était possible de changer de politique économique après neuf ans de direction conservatrice. Pour cela, il a pris une position audacieuse : défendre l'idée d'une véritable relance keynésienne, en acceptant de laisser filer les déficits pendant trois ans, non pas pour dépenser sans compter, mais pour investir, notamment dans le tissu des infrastructures du pays.
En fait, Justin Trudeau a pris acte de la situation dans laquelle se trouve le Canada. L'économie canadienne est certes solide, mais elle tourne au ralenti. Au premier semestre de 2015, elle a même connu une période de récession. L'endettement des ménages et la baisse des prix des matières premières laissent peu de perspectives.
Pour redynamiser le pays, pour lui rendre de la compétitivité hors coûts, il faut investir et la puissance publique doit intervenir et réamorcer la pompe par des investissements. Seulement, cette idée était extrêmement osée dans un Canada très attaché aux « grands équilibres » après la crise des années 1990. Cet attachement avait été beaucoup développé par les gouvernements conservateurs, ce qui avait renforcé du reste le rationnement d'investissements publics qui a encouragé la « maladie hollandaise » du Canada en concentrant les flux monétaires sur les matières premières pendant des années.
Une audace qui a payé
La preuve de l'audace du jeune vainqueur de l'élection canadienne, c'est qu'avec un tel programme, il est parvenu à déborder sur sa gauche le Nouveau Parti Démocrate (NPD), parti traditionnellement social-démocrate, qui n'avait pas osé renoncer à l'équilibre budgétaire. Ce problème du NPD illustre la crise mondiale de la social-démocratie, engoncée dans son obsession de passer pour un « bon gestionnaire » tout en tentant de conserver un discours social.
Les Libéraux n'ont pas ces problèmes. Justin Trudeau a été franc dans sa campagne et a osé le dépassement du mythe de l'équilibre budgétaire. Et cela a marché.
Selon un sondage de l'institut Ekos publié le 4 septembre, les Canadiens confirmaient que le programme économique libéral était plus convaincant que celui du NPD et que l'économie était leur première préoccupation. Progressivement, le NPD a donc vu une partie de son électorat glisser vers le Parti libéral.
Sans doute la chute du NPD, qui n'a obtenu que 19,5 % des voix contre 39,5 % aux Libéraux, est-elle liée à la campagne orchestrée par les Conservateurs sur l'affaire du voile islamique porté pendant les cérémonies de citoyenneté, comportement qui, selon eux, aurait reçu le soutien des néodémocrates.
Mais il convient de ne pas surestimer cet élément : Justin Trudeau n'avait, sur ce point, guère de différence avec le leader du NPD Thomas Mulcair. Certes, cette polémique a coûté cher au NPD au Québec, qui était sa place forte, mais, dans la « belle province », les Libéraux ont emporté la moitié des sièges. En réalité, Justin Trudeau l'a emporté parce qu'il a été capable de capter l'espoir d'une politique économique alternative en débordant le NPD sur sa « gauche ».
Sursaut démocratique qui tranche avec l'Europe
Quelles leçons en tirer pour l'Europe ? D'abord, que lorsque le monde politique parvient à casser les tabous économiques et à imposer un vrai débat sur les politiques à mener sur ce plan, il est possible de redonner du sens aux élections et à la démocratie.
Le sursaut démocratique du Canada ce 19 octobre, avec à la fois l'alternance et la hausse de la participation, semble être l'image inversée des différentes campagnes électorales qui ont eu lieu ces derniers mois en zone euro.
En Europe, l'économie est de plus en plus exclue de la démocratie
En Grèce, au Portugal, demain en Espagne, tout débat du type canadien semble aussi impossible qu'il peut l'être en France, aux Pays-Bas, en Finlande ou en Allemagne. L'Europe s'enferme dans une politique unique de consolidation budgétaire et de « réformes structurelles » en refusant tout investissement public d'envergure et s'en remet à la seule politique monétaire pour assurer la reprise. Or, on ne vote pas pour la BCE.
Toute autre possibilité semble verrouillée. Les grands partis européens défendent grosso modo les mêmes positions économiques. Et lorsqu'ils tentent une timide réaction, comme récemment les gouvernements espagnol et italien, la Commission européenne se charge de les ramener « à la raison ».
Au Portugal, le PS a ainsi imposé aux autres partis de gauche le respect de la politique de baisses des dépenses publiques. En Grèce, le mémorandum a tué tout vrai débat économique.
Tout est fait pour que l'économie échappe en zone euro au domaine politique. Dès lors, les conséquences politiques de ce verrouillage des choix économiques sont la progression des extrêmes et celle de l'abstention.
Le dépassement de la sclérose social-démocrate
Une des clés du problème européen réside dans la sclérose de la social-démocratie, qui n'est pas sans rappeler la faiblesse du NPD canadien. Et si la situation canadienne n'est pas transposable de ce côté-ci de l'Atlantique, Justin Trudeau a néanmoins montré qu'il était politiquement possible - et rentable - de dépasser la prudence idéologique de la social-démocratie et les tabous de la pensée économique dominante.
Certes, le Parti libéral du Canada n'est pas un parti de « gauche radicale », mais c'est précisément ce qui rend le scrutin canadien intéressant : un parti traditionnel et fondamentalement libéral, peut prendre des positions audacieuses sur le plan économique lorsque les circonstances l'exigent.
Le besoin d'un débat en Europe
Or, en Europe, les circonstances exigeraient une vraie réflexion sur le modèle économique de la zone euro et sur la nécessité d'une ambitieuse politique publique d'investissement. Si la BCE peine à réaliser son objectif, c'est bien qu'elle est seule dans son effort de relance de l'économie de la zone euro.
Or, l'Allemagne, qui a refusé d'exclure les investissements du calcul des déficits, refuse elle-même d'utiliser ses excédents pour investir. Elle préfère les accumuler. Pendant ce temps, l'architecture institutionnelle de la zone euro interdit tout débat sur ce sujet et limite l'investissement à un plan Juncker microscopique et peu ambitieux.
Si Justin Trudeau respecte ses promesses et réussit son pari, cette homme de 41 ans aura donné une leçon majeure au Vieux Continent.
PS: Les libéraux ont obtenus la majorité avec 40% des voix sur 69% des gens qui ont voté. Allo démocratie
Je confirme. Y ayant vécu 3 ans et ayant pas mal d'amis canadiens (dans la finance notamment), le principal objet de ces élections était bien de virer le cowboy de l'Alberta Harper dont les gens du Québec et de l'Ontario ne voulaient plus.
En effet, le Canada a un gouvernement fédéral. L'Europe n'a pas de gouvernement fédéral mais une accumulation de multi-gouvernements.
Le Canada a, avec un gouvernement fédéral, la possibilité d'avoir un tronc commun. Ce qui n'est pas le cas en Europe.
Finalement, l'Europe part dans tous les sens. Pas d'unité, pas de construction, pas d'efficacité, pas de projection. Bref, l'Europe a grossi/grandi trop vite au détriment d'une assise solide, pragmatique, pertinente et constructive.
La coquille Europe est là mais en manque d'équilibre. L'Europe se cherche encore. Elle est à la fois castratrice et ouverte à tous les vents.
prétendre le contraire releve de la méconnaissance du fonctionnement de l'Europe.
Le Canada est d'ailleurs tout aussi souverainement parti a plusieurs traités de libre echange bien contraignant. Le mythe de la souveraineté absolue est juste cela: un mythe.
Avec des multiplicateurs qui peuvent être à 2 ou 3 sur l'investissement public, les marchés ne se trompent pas, ils adorent ce genre de programmes.
Voila pourquoi le canada peut se permettre un petit deficit sur 2/3 ans pour financer de l'infrastructure (et non pas pour entretenir un deficit structurel permanent)
100% d'accord avec l'analyse de Godin. Trudeau a osé briser le tabou du sacro-saint "déficit zéro" devant lequel même les syndicats se prosternent.
C'est effectivement un contre-emploi pour un parti libéral qui avec Paul Martin, s'était fait le chef de file mondial de l'austérité, célébré par les média français. (http://ur1.ca/o4dwt)
Le résultat, c'est
* une mono-industrie de l'extraction qui s'effondre,
* un endettement des ménages alarmant (170% du revenu http://ur1.ca/o4e8o)
* un investissement en panne, malgré une pluie « d'incitatifs » (Nos entreprises s'assoient sur une trésorerie de 604 G$,32 % du PIB http://ur1.ca/o4eg2).
Tandis que le NPD, qui débutait la campagne largement en tête, faisait son virage à droite pour se faire accepter des média, Trudeau n'a pas craint d'être ridiculisé par les gardien du dogme austéritaire.
@discrimination: ne parle pas de choses que tu ne connais pas. Vas donc par exemple à Montréal où tu vas être le "môdit frinssais" :-)
Les USA en ont fait un énorme avec succès, la Chine va en faire un... cela fait longtemps que les plans de relance en économie ouverte existent et fonctionnent.
Vous en déduisez que le remède n'est pas le bon, c'est étrange!
Il faut comparer le résultat d'une politique à ses alternatives, et si vous faites cela vous tirerez un conclusion tout autre sur les Abenomics.
Keynes ne parle que d'une chose; de l'utilité des budget expensif pour compenser une crise (soit par des baisses d'impots soit par des dépenses d'infrastructures), le tout en prenant en compte la nature plus ou moins ouverte d'une economie, et du caractere TEMPORAIRE d'une telle politique.
or en France, les gens pensent que le Keynesianisme ca veut dire avoir des deficits permanents et financer a credit ses déficits structurels. De meme que les gens confondent Keynes avec l'Etat providence façon Lord Beveridge (lequel etait son ennemi personnel)
C'est ce malentendu qui plombe l'economie francaise depuis longtemps.
Le propre d'un investissement c'est de générer une dépense immédiate et des flux dans le futur, c'est le cas pour l'investissement public. Son successeur récoltera les fruits d'un arbre qu'il n'a pas planté.
Il ne vous viendrait pas à l'idée de penser que vous vous ruinez lorsque vous acheter un logement, mais pour un Etat vous ne pouvez pas le comprendre?
Les parties de droite du monde entier trempent dans des affaires de corruption et d’escroqueries économique. Prenons monsieur Juppé par exemple. Il a été condamnée pour des emplois fictifs. Il passe aujourd'hui pour quelqu'un de sérieux, d’honnête, de présidentiable etc... Peut-être a-t-il changé, admettons. On pourrais aussi dire que M. Hollande a été naïfs face à la capacité de l'Europe d'imposer ses conditions.
Nous verrons bien dans 5 ans si le pouvoir d'achat des canadiens s'est amélioré.
Le terme libéral, n'a pas le même sens que chez nous, en tout cas aux USA.
Peut-être qu'au Canada il va de même.
Mais de toute façon , on peut-être de droite, comprendre l'économie et faire des plans de relance de droite (et parfois intelligents).
Hollande lui se dit de gauche et fait une assez mauvaise politique de l'offre via le CICE!
Il est intéressant de voir la parole de la cour des comptes portée aux nue alors que vous critiquez le trop plein de fonctionnaires. Par ailleurs le premier président de la cour des compte est nommé par décret en conseil des ministres.
C'est une manière pour le gouvernement de se défausser de paroles contraires aux principes des socialistes.
@gringo
Vous avez raison, mais il convient de ne pas prendre des paroles de politiques en campagne, pour acquis.
Cependant sur votre remarque, les journalistes ne sont pas des historiens. Ils jugent le présent, vous imaginez si aucun article ne pouvait être écrit sur notre gouvernement car nous en connaissons pas encore les résultats de leur action!
Je ne pense qu'aucun être non fou aurait payé Einstein, Volta, Newton, Curie, Pasteur, pour faire des recherches "débiles" et à la rentabilité nulle pour le commun des mortels.
Que serait notre monde si ces hommes et femmes n'avaient pas reçu une scolarité de qualité, combien d'Einstein en puissance se défoncent à la colle dans les rue d'une favella, que serait botre monde s'ils avaient pu exprimer leur potentiel.
Que serait notre économie, s'il n'y avait ces routes, ces ports, ces réseaux routiers permettant aux homme d'échanger?
Recherche, éducation, infrastructures, les trois piliers de notre développement et vous appelez cela du gaspillage?
Et même si c'était du "gaspillage", ça serait toujours faire travailler des entreprises au bord de la faillite pour faire des routes et des écoles, donc distribuer de l'argent, payer des personnes à travailler plutôt qu'au chômage, ces personnes qui pourront leur tour faire travailler des commerçants et des artisans...
Penser que l'investissement public est un gaspillage est une énorme faute de raisonnement.
Un passage par les théories de la croissance endogène (cf wikipédia) vous permettra de voir ce qu'en pense des économistes ultra libéraux comme Lucas et Barro!
Donc les dettes des Etats font les rentes de certains ménages (les fonds en euros des assurances vies vous croyez qu'ils financent quoi? Votre banque elle achète quoi avec vos dépots?... de la dette publique!)
On a emprunté l'argent qu'on aurait du prélever par l'impot.
Ça n'est pas socialiste d'engraisser des rentiers, la dette n'est pas socialiste.
D'ailleurs je vous signale que si l'épargne des plus riches ne trouvait pas des Etats pour emprunter, la rentabilité de nos placement serait gravement négative. Finalement la dette protège le rentier!
Enfin l'explosion de l'endettement public (et privé aussi) est arrivé avec le virage libéral du monde au début des années 80 et concerne tous les pays, à croire que la dette c'est de droite!
Bon, en l'occurence, ce que ne réalise peut etre pas l'auteur, c'est que le Canada est dans une situation TRES differente de celle de la Grece. Le canada a un budget en surplus, elle emprunte a des taux bas (1.5% sur 10 ans) et a une structure étatique qui fonctionne.
Et surtout, ce déficit moderé promis, servira exclusivement a INVESTIR, et non pas a financer a credit les dépenses etatiques et sociales courantes.
Ca change fondamentalement la donne.
Il faudrait peut-être arriver à vivre avec nos moyens et s adapter à la mondialisation