Loyers impayés : 11 millions d'Américains menacés d'expulsion, le moratoire prolongé in extremis

Par latribune.fr  |   |  1170  mots
À Washington, hier 3 août 2021, devant le Capitole des États-Unis, l'élue démocrate Alexandria Ocasio-Cortez, le chef de la majorité démocrate au Sénat Chuck Schumer et la démocrate Cori Bush, ancienne SDF, célèbrent la prolongation du moratoire empêchant les expulsions de locataires n'ayant pas payé leur loyer notamment à cause de la pandémie de Covid-19. (Crédits : Reuters)
Obtenue de haute lutte par l'aile gauche du parti démocrate, dont une élue ancienne SDF, la reconduction du moratoire, empêchant les expulsions de millions de locataires qui n'ont pas pu payer leur loyer (les impayés se comptent en dizaines de milliards de dollars), a deux vertus: sanitaire et économique.

Après l'expiration le samedi 31 juillet à minuit du moratoire fédéral sur les expulsions de logements mis en place par les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) en septembre 2020 et renouvelé plusieurs fois depuis, des millions d'Américains qui n'ont pu payer leur loyer, risquaient l'expulsion immédiate et de se retrouver à la rue avec leur famille.

Mais, après des jours d'incertitudes, sous pression de l'aile gauche des démocrates, les autorités sanitaires américaines ont finalement décrété, hier mardi 3 août, un nouveau moratoire sur les expulsions de locataires.

Jeudi 29 juillet, en effet, la Maison Blanche avait pris les parlementaires de court, en assurant que les autorités sanitaires ne pouvaient plus, pour des raisons juridiques, prolonger encore ce moratoire, et en leur demandant de légiférer en urgence. Ce que les élus ne sont pas parvenus à faire avant que la Chambre des représentants ne cesse ses travaux pour la pause estivale.

Le blocage a suscité dimanche 1er août de nombreuses critiques dans les rangs de responsables démocrates. La patronne de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, et plusieurs autres leaders démocrates avaient appelé le président Joe Biden à prolonger le moratoire: il s'agit d'un "impératif moral" pour empêcher les gens de se retrouver à la rue, ont-ils déclaré dans un communiqué commun.

Prolongation du moratoire :  des vertus sanitaires et économiques

La fin de la période de grâce est donc repoussée au mois d'octobre. Le motif avancé est de santé publique: si les populations fragiles se retrouvent à la rue et donc obligées de se regrouper dans des asiles et autres centres d'hébergement d'urgence, cela risque d'accélérer l'expansion du très virulent variant Delta au moment où la pandémie de Covid-19 flambe à nouveau sur le sol américain.

"L'émergence du variant Delta a mené à l'accélération rapide des contaminations aux Etats-Unis, plaçant plus d'Américains en plus grand danger, surtout s'ils ne sont pas vaccinés", a écrit la directrice des Centres de prévention et de lutte contre les maladies (CDC), principale agence fédérale de santé publique des Etats-Unis, Rochelle Walensky.

"Ce moratoire est la bonne chose à faire pour que les gens restent chez eux et pas dans des lieux de rassemblement où le Covid-19 se propage", a-t-elle expliqué.

Ce moratoire s'étendra jusqu'au 3 octobre.

Selon les calculs du CBPP, un institut de recherche indépendant, plus de 10 millions de personnes aux Etats-Unis sont en retard sur le paiement de leur loyer. Et quelque 3,6 millions de locataires estiment qu'ils risquent de se faire expulser dans les deux mois, selon une étude du bureau des statistiques réalisée début juillet auprès de 51 millions de locataires.

Mais selon une étude de l'Aspen Institute, le nombre d'Américains débiteurs serait encore plus élevé. Son étude dénombre plus de 15 millions de personnes dans près de 7 millions de ménages en retard de paiement de loyer et qui doivent collectivement plus de 20 milliards de dollars aux propriétaires.

Versement laborieux des aides : 3 milliards versés sur les 46 prévus

De fait, même s'il risque d'être contesté en justice par les propriétaires, ce nouveau moratoire "laissera probablement du temps supplémentaire" pour verser aux locataires des fonds alloués dès février par le Congrès pour les aider à payer leurs loyers, a espéré le président Joe Biden depuis la Maison Blanche.

Des raisons de bureaucratie, notamment, ralentissent considérablement ces versements. Seuls 3 milliards de dollars ont ainsi été distribués aux locataires en difficultés, sur une enveloppe totale de 46 milliards de dollars, dont 25 milliards ont déjà été envoyés aux Etats et collectivités locales.

Une décision de la Cour suprême en juin avait stipulé qu'une reconduction devrait être adoptée par le Congrès, et non plus décidée par les CDC.

La colère contre le président, accusé de ne pas avoir trouvé de solution à temps, grondait depuis des jours dans l'aile gauche du parti démocrate.

Une élue de la Chambre, Cori Bush, qui a elle-même été sans-abri, campait devant le Capitole, siège du Congrès à Washington, depuis vendredi en appelant le Congrès et la Maison Blanche à agir sans plus attendre tandis que 11 millions de personnes étaient menacées d'expulsions.

 "Aujourd'hui, notre mouvement a fait bouger des montagnes", a tweeté Cori Bush mardi, en accueillant la nouvelle du nouveau moratoire sur les marches du Capitole, accompagnée notamment par la jeune élue Alexandria Ocasio-Cortez.

Laquelle Alexandria Ocasio_Cortez était montée au créneau la semaine dernière, reprochant à l'administration Biden d'avoir attendu le dernier moment pour demander au Congrès d'agir, insistant sur l'injustice qu'il y aurait selon elle à expulser des locataires alors que plusieurs milliards de dollars d'aides destinées à régler au moins en partie le problème des loyers impayés n'ont pas été dépensés.

"Nous ne pouvons pas expulser des gens de leur maison quand notre part du contrat n'a pas été remplie", a-t-elle fustigé sur CNN.

Parmi la poignée de parlementaires démocrates qui avaient passé la nuit dimanche sur les marches du Capitole pour soutenir un petit groupe de jeunes activistes et plaider la prolongation du moratoire, un membre de la Chambre des représentants, Jamaal Bowman, élu de New York, avait fait cette déclaration à l'AFP:

"Nous voulons que la Chambre des représentants se réunisse, le Sénat peut intervenir aussi, le Président pourrait prendre un décret, il faut faire tout ce qui est possible" (...) "Expulser des gens, ou rendre leur expulsion possible en temps de pandémie est inhumain."

Ajoutant, pas tendre pour ses collègues démocrates, majoritaires à la Chambre des représentants:

"Nous autres parlementaires, nous sommes prompts à défendre Wall Street, à défendre les grandes entreprises, à prendre des décisions qui permettent à Jeff Bezos et Richard Branson d'aller dans l'espace."

Les propriétaires poursuivent le gouvernement

La National Apartment Association, un groupe de propriétaires qui gère près de 10 millions de logements locatifs, a poursuivi en justice le gouvernement américainla semaine dernière pour les milliards de dollars de loyers impayés qui n'ont pu être récupérés par ses membres faute de pouvoir procéder aux expulsions.

Le groupe a qualifié le nouvel ordre du CDC de "mandat gouvernemental non financé qui oblige les apporteurs de logements à fournir un service coûteux sans compensation financière et qui impose aux locataires une dette insurmontable".

Et, avec la relance économique, les prix des loyers regrimpent

Le redémarrage de l'économie américaine, qui ne profite pas à tous les foyers de la même façon, fait grimper les loyers. Selon le dernier pointage réalisé par le site spécialisé Realtor, entre juin 2020 et juin 2021 le loyer médian aux Etats-Unis a grimpé de 8,1%.

(avec AFP et Reuters)