Pékin compte sur sa route de la soie 2.0 pour tenir son rang mondial

La « nouvelle route de la soie », qui doit permettre à Pékin de s'imposer comme un acteur commercial, politique et culturel incontournable dans le monde, est inscrite comme priorité nationale. Elle constitue l'une des réponses de la Chine pour maintenir sa place dans la mondialisation. À n'importe quel prix ?
Point de départ, il y a deux mille ans, de l’ancienne route maritime de la soie, le port de Beihai, au sud-ouest de la Chine, ambitionne de retrouver un rôle décisif avec la nouvelle route de la soie.

Pendant des siècles, les routes de la soie qui ont relié l'Asie et l'Europe ont permis à la Chine d'asseoir son influence tant culturelle qu'économique. Aujourd'hui, c'est donc vers cet héritage que la Chine se tourne pour répondre à ses maux contemporains : surcapacité, inégalités territoriales, tensions avec ses minorités. « La nouvelle route de la soie » qui est sur toutes les lèvres depuis plus d'un an est la solution brandie par le pouvoir chinois pour résoudre une grande partie de ses problèmes.

Le but annoncé est de développer le commerce avec 40 pays pour atteindre 2.500 milliards de dollars d'exportations par an d'ici les dix prochaines années. La carte ci-dessous montre une route terrestre qui passe par l'Asie Mineure et la Turquie pour rejoindre l'Europe de l'Est et l'Union européenne. L'autre route, maritime, passe par l'Asie du Sud-Est, rejoint l'Afrique et il est prévu qu'elle aille jusqu'en Amérique latine.

Mais, outre de vouloir favoriser le commerce, la nouvelle route de la soie est un peu à la Chine ce qu'était le plan Marshall aux États-Unis : un moyen de la positionner dans le monde culturellement, économiquement et politiquement, et surtout d'offrir à ses entreprises des débouchés extérieurs tout en promouvant le « Chinese way of life ».

« La Chine va utiliser ses capitaux pour financer les infrastructures locales, promouvoir le commerce et améliorer ses relations avec les pays de l'Asean, de l'Asie centrale et de l'Europe », explique Francis Cheung, analyste chez CLSA.

Inscrit comme prioritaire et élevé au niveau « stratégique », le programme est désormais lié au nom de Xi Jinping, président au pouvoir depuis 2012. C'est lui qui a annoncé l'initiative lors d'un voyage au Kazakhstan en septembre 2013 et qui, depuis un an, en parsème tous ses discours. Le programme va « répondre à l'appel de l'époque pour une coopération régionale et globale », disait-il lors du forum de Boao (dans le sud de la Chine) en mars dernier. Il en a déjà fait la promotion dans 17 pays. La réalisation la plus concrète est pour l'instant l'instauration d'un « couloir économique » entre la Chine et le Pakistan, en avril de l'année dernière.

Un concept élastique à vocation d'abord interne

Le concept remonte à 2012. Wang Jisi, professeur à l'université de Pékin, a réclamé la réouverture des anciennes routes de la soie pour « sécuriser les besoins en hydrocarbures » du pays et « accroître la coopération et l'aide économique dans tous les pays asiatiques du Moyen-Orient et de la mer Caspienne ».

Pour ce faire, l'État chinois a annoncé la création d'un « fonds pour la route de la soie » doté de 40 milliards de dollars. Il va aussi s'appuyer sur la nouvelle banque asiatique d'investissement créée l'année dernière sous l'impulsion chinoise (AIIB) et une banque nouvellement créée par les nations des Brics, appelée New Development Bank. Pékin devrait aussi directement investir entre 160 et 180 milliards de dollars. Les autres banques chinoises, Eximbank et le fonds d'investissement CIC, devraient aussi contribuer. Au total, il s'agit de lever quelque 300 milliards de dollars. Pour l'instant, on est bien loin des 8.000 milliards de dollars estimés nécessaires par la banque ADB pour consolider les infrastructures de la région.

Qu'importe. La machine à propagande est en route et, sans trop comprendre vraiment de quoi il s'agit, tous s'agitent en Chine pour faire étiqueter leurs projets « nouvelle route de la soie ».

« C'est comme cela que fonctionne la Chine. Pékin lance un concept. C'est à chacun de trouver ce qu'il va y mettre. Tomber sous l'égide de la route de la soie, c'est se faire bien voir et aussi avoir accès aux subventions », explique un diplomate européen.

D'autant que le slogan à quatre caractères (« one belt, one road », OBOR, en anglais) se prête facilement à l'outil de propagande communiste. Ainsi, les discours officiels et la presse regorgent-ils de cette « nouvelle route de la soie », concept élastique, qui est à mettre au pluriel. Elle doit être une pierre angulaire du XIIe plan quinquennal.

« La priorité est de développer l'économie domestique à travers les exportations des industries en surcapacité », continue Francis Cheung.

Mais pas seulement.

« En fait, la nouvelle route de la soie n'est pas un outil pour étendre la puissance chinoise, contrairement à ce que pensent certains. Elle répond vraiment à des prérogatives intérieures. À savoir le développement de l'ouest du pays, le besoin de reformer les entreprises en les poussant à s'exporter et le besoin de sécuriser des ressources ainsi que ses frontières », résume le diplomate européen.

La Chine se voit, malgré elle, évoluer dans un univers globalisé qu'elle ne peut maîtriser. Dans ce contexte, elle doit à la fois chercher de nouveaux relais de croissance et radicalement changer son appareil industriel, tout en définissant son rôle sur la scène internationale. D'autant que ses besoins énergétiques ne cessent de croître, et donc sa vulnérabilité. En 2013, elle a importé 282 millions de tonnes de pétrole et 53 milliards de mètres cubes de gaz. Elle se voit ainsi obligée de diversifier ses sources : Myanmar, Russie, Turkménistan, Kazakhstan sont autant de pays avec lesquels elle se doit d'avoir des relations pacifiées et des infrastructures sûres.

route de la soie

La nécessité de changer l'écosystème industriel

Là-dessus se greffe un modèle économique tiré par les investissements, à bout de souffle. Ainsi les entreprises, surtout dans le domaine de la construction (acier-ciment-verre), ont une capacité de production bien supérieure aux besoins actuels du pays. Les chiffres officiels montrent que le taux d'utilisation est de 66% pour les métaux non ferreux, 68% pour le caoutchouc et 66% pour les industries du textile. Pour l'instant, les licenciements ont été très limités, Pékin étant réticent à tout ce qui pourrait déstabiliser le pays. Une partie de la solution réside donc pour le gouvernement dans l'exportation non seulement de la production mais aussi des entreprises. Si la promotion des entreprises chinoises n'est en rien récente, ce qui est nouveau, c'est l'inscription de cette politique comme priorité nationale, mobilisant ainsi tous les acteurs du pays, tant politiques qu'économiques.

Ainsi pouvons-nous voir dans l'Anhui, une province centrale, pourtant loin de la route de la soie dessinée par Pékin, une agitation tous azimuts.

« Nous avons un marché limité en Chine. Nous avons besoin de changer notre structure industrielle », nous raconte Wang Xin, directeur des affaires extérieures de la province et responsable notamment de la promotion des entreprises locales à l'étranger.

« Nos entreprises peuvent désormais fournir de la technologie et créer des emplois », explique-t-il.

« Le marché intérieur n'est plus bon »

Et c'est ici une autre nouveauté. La Chine a désormais de la technologie de moyenne gamme à proposer aux pays en développement.

« Nous aidons les entreprises locales à construire des marques en leur transférant une partie de notre technologie », poursuit le haut fonctionnaire.

Et la province fait ce qu'il faut pour aider ses champions : subventions, prêts préférentiels, aide juridique et administrative, promotion dans des foires internationales.

Ainsi peut-on voir, depuis 2008, la multiplication des contrats chinois en Asie du Sud-Est, en Afrique et au Moyen-Orient. Les entreprises chinoises y construisent ponts, routes, ports et autres infrastructures, tout en sécurisant une partie de leurs besoins en ressources naturelles. Elles y vendent aussi machines à laver, réfrigérateurs et voitures. C'est ainsi que JAC, constructeur automobile dans la province, a comme objectif de vendre jusqu'à 20.000 véhicules au Kazakhstan d'ici à 2018. L'entreprise compte aussi ouvrir une usine au Brésil. Le tout grâce aux aides et subventions des autorités locales. L'Anhui va bénéficier directement du développement des infrastructures, surtout des trains de fret qui la place à douze jours de train du Kazakhstan.

« Le marché intérieur n'est plus bon. Nous devons monter en gamme et chercher d'autres débouchés », raconte, Oscar Yu, l'un des responsables de l'entreprise.

Même discours chez Anhui Conch, premier cimentier du monde et joyau de la province.

« Le gouvernement local nous a beaucoup soutenus. Ils font notre promotion à l'étranger, nous aident dans nos investissements », explique Zhou Bo, directeur de la comptabilité du groupe.

L'entreprise a déjà investi 1 milliard de dollars à l'étranger dans des projets d'infrastructure en Asie et espère investir 16 milliards d'ici à 2020, dont une partie en Europe. Alors qu'à l'intérieur, le marché stagne et les prix s'effondrent, c'est une question de survie pour ce mastodonte, qui compte plus de 200 filiales et emploie 50.000 personnes.

Contenir la contestation du parti dans les provinces

Car le vrai enjeu de la « nouvelle route de la soie » est bien de fournir un deuxième souffle à toute une partie de l'appareil industriel chinois. Et, par ce biais, développer l'ouest du pays, en y renforçant les infrastructures, et - espère Pékin - maîtriser le mécontentement latent. Car trente ans après le début des réformes économiques, les disparités et inégalités régionales apparaissent de plus en plus. Or, il est impératif pour Pékin de stabiliser les provinces éloignées de la capitale où les tensions ethniques et les attentats à répétition mettent en cause la légitimité du Parti communiste.

« L'harmonie et la stabilité au Xinjiang et dans les autres provinces de l'Ouest sont menacées... La route de la soie va créer une barrière stratégique pour consolider la sécurité nationale et accroître l'harmonie parmi les groupes ethniques », peut-on lire sur le document original écrit par Wang Jisi.

Ce n'est pas un hasard si c'est après avoir écrit un article sur le Xinjiang, où subsiste une minorité musulmane, que la journaliste française Ursula Gauthier s'est fait expulser de Chine... Concept fourre-tout, la nouvelle route de la soie serait-elle alors le coup de baguette magique qui résoudra tous les problèmes de la Chine ? Sans doute pas. Côté économique en tout cas, les analystes sont sceptiques.

« Économiquement, ce n'est pas important. C'est un gaspillage d'argent pour les banques et une perte de temps pour les entreprises d'État qui essayent de devenir profitables », selon Andrew Collier, directeur d'Orient Capital Research, cabinet de conseil économique basé à Hong Kong.

En effet, il n'est pas sûr que la route de la soie résolve le problème structurel du changement du modèle économique de la Chine. Le plus souvent, les entreprises chinoises sont désormais sous pression pour créer des emplois dans les pays où elles exportent et s'implantent avec leurs employés venus de Chine. Après une décennie d'exploitation en Afrique, le pays souffre d'une image de néocolonialiste dont il tente de se défaire. Mais surtout, les industries en surcapacité en Chine (charbon-ciment acier), le sont aussi ailleurs. La question est de savoir quels sont les réels besoins pour les produits chinois, à l'extérieur de la Chine ?

Des différences locales syndicales et culturelles

Ajoutons que les entreprises d'État et gouvernements locaux sont encore en train de gérer les dettes laissées par la dernière campagne des investissements, en 2009-2010. Et que le bilan des opérations chinoises à l'étranger n'a pas toujours été positif, que ce soit dans le domaine financier ou industriel. Les entrepreneurs chinois se heurtent à des différences locales, tant sur le plan syndical que culturel, lesquelles rendent les fusions et acquisitions d'autant plus coûteuses et compliquées à mettre en route.

Côté européen, les réactions restent tout aussi mitigées. Les marchés européens sont saturés et peu demandeurs de technologies chinoises.

« Nous ne nous sommes pas encore impliqués », explique un diplomate d'un pays grand partenaire commercial.

« Nous comprenons pourquoi c'est important pour les pays d'Europe de l'Est. Pour nous, c'est moins évident, même si nos interlocuteurs cherchent à développer le marché européen. »

Pour l'instant, une ligne directe en train est déjà en service entre la Chine et l'Europe. Elle est affrétée par des entreprises comme Hewlett Packard, qui a une usine à Chongqing, ou BMW, installé au nord du pays, à Shenyang. Deux entreprises allemandes ont des trains quotidiens : DHL et DB Schenker. Si elle permet de réduire le temps de transport entre l'Asie et l'Europe à quinze jours contre plus d'un mois par bateau, ses lignes de fret sont encore peu, voire pas rentables.

« Le transport par train est une option entre la mer et l'air. Elle est difficile à vendre aux entreprises. Le vrai problème, c'est de savoir ce qu'on met dans les wagons au retour. Pour l'instant, ils reviennent d'Europe vides », poursuit le diplomate.

« L'autre problème réside dans le besoin de normalisation : taxes, douanes... Pour que ces lignes fonctionnent, il faut de la stabilité politique dans les pays d'Asie mineure », continue-t-il.

Sécuriser les routes du commerce

Car le vrai défi pour la Chine est de sécuriser ses moyens de transport et les routes du commerce. Comme l'a montré l'actualité, les Chinois ne sont pas immunisés contre des attaques terroristes et la politique de la Chine à l'encontre des minorités musulmanes a fait d'elle une cible pour Daech.

« La route de la soie passera par l'Asie centrale et le Moyen-Orient où la construction d'infrastructures sera difficile à cause des déserts, des montages, du froid et de l'instabilité politique », estime Francis Cheung.

Le problème se pose aussi pour les voies maritimes qui concernent aujourd'hui la grande majorité du commerce chinois. Ainsi 80% des importations d'hydrocarbures passent par le Détroit de Malacca. À cela s'ajoute une opinion publique qui considère l'expansion de la Chine de moins en moins favorablement, comme c'est le cas au Kazakhstan, partenaire clé de la Chine en Asie centrale depuis cinq ans et qui a récemment limité les investissements et ressortissants chinois sur son territoire.

Commentaires 2
à écrit le 29/04/2016 à 15:42
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la gesticulation du tigre en papier me faire marrer

à écrit le 29/04/2016 à 8:54
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et la ligne ferroviere entre singapour et pekin via thailande et laos, Ils la veulent.

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