Retraites : "Une réforme systémique fait nécessairement des perdants et des gagnants"

Invités le 28 janvier dernier des Mardis de l'ESSEC -en partenariat avec La Tribune-, les économistes Agnès Bénassy-Quéré et Jean Pisani-Ferry ont échangé autour de l'actualité économique française et européenne. Débat avec deux professeurs-chercheurs (respectivement à Paris 1 et à Sciences-Po) qui n'hésitent pas à prendre position dans le débat public.
Agnès Bénassy-Quéré et Jean Pisani-Ferry
Agnès Bénassy-Quéré et Jean Pisani-Ferry (Crédits : DR)

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Climat social oblige, le débat a commencé par la réforme des retraites. L'occasion était d'autant plus belle que Jean Pisani-Ferry, proche d'Emmanuel Macron, pressenti pour être Haut-Commissaire aux retraites avant la nomination de Jean-Paul Delevoye, a publié une tribune critiquant vivement cette réforme en décembre. Il a pu éclaircir sa position vis-à-vis de ce texte suscitant une fronde sociale inédite. Il affirme ne pas être opposé au système de retraite par point qu'il a contribué à élaborer durant la campagne de 2017, mais a exprimé son désaccord radical sur la conduite simultanée d'une réforme systémique et d'une réforme du financement.

Selon lui, cela « compromet la réforme et dégrade la confiance » que les Français lui accorde. Agnès Bénassy-Quéré le rejoint sur ce point, affirmant que bien qu'il soit très protecteur, le système de retraite français est avant tout perçu comme opaque et n'inspirant pas confiance. De plus, elle avoue comprendre les appréhensions autour de la fixation de la valeur du point et la gouvernance du futur régime. Le manque de clarté du gouvernement laisse penser que la valeur du point pourra être réajustée à la baisse en cas de besoin, et ce sans nécessiter l'accord des cotisants.

Cette opacité présente et cette incertitude future expliqueraient même certains comportements paradoxaux des Français, qui clament leur attachement à un système par répartition alors que leur forte épargne de précaution incite à passer à un système par capitalisation. D'où la volonté du gouvernement d'après Agnès Bénassy-Quéré « d'encourager la capitalisation », à travers une taxe de 2,8 % sur les plus aisés. Ils contribueront davantage et perdront un étage de leurs pensions de retraite qu'ils compenseront par un mécanisme de capitalisation.

« Dire que la répartition et la capitalisation sont antagoniques, c'est un peu absurde » d'après Jean Pisani-Ferry. D'autres pays superposent des mécanismes différents pour financer leur système de retraite. Pourquoi ne pas ajouter la capitalisation, qui existe déjà de manière informelle, à notre système ? Ainsi la loi Pacte a déjà prévu de nouveaux dispositifs d'épargne, censés être plus efficaces, les produits actuels n'étant pas adaptés au comportement de forte épargne des Français.

En outre, « la réforme systémique n'a pas pour but de faire baisser la part des dépenses de retraite dans le PIB », défend Agnès Bénassy-Quéré, son collègue expliquant aussi que cette trajectoire baissière a été enclenchée par les réformes précédentes - « trop tardives » - et la baisse du ratio actifs-retraités. En pointant « le paradoxe français qui est que la situation financière du système de retraite est bien meilleure qu'il y a 20-25 ans mais que les Français sont beaucoup plus inquiets » ils s'accordent sur la nécessaire refonte du système plus que du financement. Toutefois, Jean Pisani-Ferry prévient « qu'une réforme de ce type fait nécessairement des perdants et des gagnants ».

Plus globalement, la nature de la réforme est avant tout une question de choix de société d'après Jean Pisani-Ferry. Or ici, Agnès Bénassy-Quéré énonce un nombre limité d'options : cotiser davantage, travailler plus longtemps ou baisser les pensions. Les économistes pensent en général que l'allongement de la durée de cotisation est préférable dans une économie en manque de croissance.

« Financer un système de protection sociale généreux dépend avant tout du carburant que l'on met dedans, à savoir la croissance économique », conclut-elle sur ce sujet.

Europe : des politiques à réinventer ?

Les deux membres du Cercle des Économistes sont revenus sur la politique monétaire de la BCE. Ils affirment études à l'appui, que la politique monétaire non conventionnelle d'assouplissement quantitatif a eu un impact, faible mais bien réel, pour éviter la déflation qui guettait la zone euro. Quant à savoir si l'assouplissement quantitatif doit continuer ou non, ils demeurent indécis, mettant seulement en avant le risque d'instabilité financière causé par un excès de liquidité, et notamment la hausse prononcée des prix de l'immobilier et des actions. Ensuite interrogés sur la marge de manœuvre dont dispose la BCE en cas de nouvelle crise, leur réponse furent plus évasives.

Agnès Bénassy-Quéré pense que « seule la BCE ne peut sans doute pas grand-chose, mais en combinaison avec les États, elle peut ».

Jean Pisani-Ferry la rejoint, arguant que le plancher des taux négatifs est sûrement atteint et que la vraie réponse à la prochaine grande crise passera par de la politique budgétaire.

De plus certaines idées audacieuses circulent, comme des investissements verts massifs enclenchés par les États pour faire de la relance, que la BCE financerait en rachetant les obligations liées à ces dépenses sur le marché secondaire, ou encore celle de monnaie hélicoptère. Cette dernière proposition, source de nombreux fantasmes, consisterait à ce que la BCE donne une certaine somme d'argent à tous les citoyens de la zone euro.

Pour Agnès Bénassy-Quéré, tout cela illustre la « démission du politique ». On demande à la BCE de faire de la politique budgétaire car les États n'ont pas le courage de remettre en cause les normes de déficits dans la zone euro. Entre une politique monétaire dont les marges de manœuvre sont très réduites du fait des taux bas et une politique budgétaire sur-contrainte, les deux économistes ont quelques inquiétudes sur la manière de répondre à la prochaine crise... Relever la cible d'inflation à 4% en zone euro - comme le propose Olivier Blanchard - ne les convainc pas outre mesure. En effet, la faible inflation ne s'explique aucunement par des facteurs monétaires et la cible actuelle de 2% fixée par la BCE semble encore lointaine.

Ils admettent également naviguer à vue à propos de la politique commerciale qui doit s'adapter constamment aux tensions géopolitiques. La guerre « plus politique que commerciale » entre Trump et la Chine illustre bien que « la rationalité économique n'est pas au centre des décisions ». Ils regrettent l'attitude de Trump vis-à-vis de l'OMC qui aurait dû faire alliance avec les européens pour faire plier une Chine s'affranchissant des règles du jeu.

Ils pensent cependant que la politique commerciale peut constituer un levier pour faire pression sur les normes environnementales, s'inspirant des propositions du Prix Nobel William Nordhaus. Dans ce domaine, ils reconnaissent un retard de la science économique dans ses modèles de prévision et ne sont pas capables de prévoir l'impact macroéconomique de la transition énergétique sur l'inflation à moyen-terme. Nos deux économistes se disent « perplexes » sur ce sujet, Jean Pisani-Ferry allant jusqu'à craindre un certain immobilisme des investissements, les investissements bruns n'étant plus attrayant à moyen-terme, et les investissements verts ne l'étant pas encore assez. Seule une réelle volonté politique d'intervenir dans la transition écologique permettra de surmonter cette double incertitude, à l'image du Green Deal présenté par la nouvelle Commission Européenne.

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