Révocation du droit à l'avortement : pour les États-Unis, une décision aux graves conséquences sociales et économiques

Par latribune.fr  |   |  1320  mots
(Crédits : EVELYN HOCKSTEIN)
La très conservatrice Cour suprême américaine résulta de quatre années de présidence Trump, a annulé cette nuit l'arrêt « Roe vs Wade » rendu par les États-Unis sur la question de la constitutionnalité des lois qui criminalisent ou restreignent l'accès à l'avortement. Une majorité d'Américaines et d'Américains soutiennent le droit à l'avortement, montrent les enquêtes d'opinion, mais l'annulation de l'arrêt est depuis des décennies un objectif affiché des conservateurs chrétiens et militants "pro-vie", qui organisent des marches annuelles à Washington.

La Cour suprême américaine a révoqué vendredi l'arrêt Roe vs Wade de 1973 qui avait ouvert la voie à la légalisation de l'avortement aux États-Unis, offrant une victoire historique aux républicains et religieux conservateurs qui veulent limiter ou interdire ce droit.

"C'est un jour triste pour la Cour suprême et le pays", a réagi le président Joe Biden, estimant que la décision de l'institution garante de la Constitution américaine ramenait les États-Unis 150 ans en arrière.

La Cour, où les conservateurs siègent en force, a voté par cinq voix contre quatre pour l'annulation de l'arrêt Roe et parallèlement validé par six voix contre trois une loi républicaine du Mississippi interdisant l'avortement après quinze semaines de grossesse. Le président de la Cour, John Roberts, a fait savoir dans une opinion séparée qu'il s'était contenté de voter en faveur de la loi du Mississippi, contestant que la Cour se prononce sur le fait de savoir si l'avortement était ou non un droit fédéral.

Les juges favorables à la révocation de l'arrêt Roe ont estimé que ce texte autorisant l'interruption volontaire de grossesse au niveau fédéral était une décision erronée, car la Constitution des États-Unis ne fait aucune mention spécifique du droit à l'avortement.

La Cour suprême américaine avait reconnu le 22 janvier 1973 le droit à l'IVG comme un droit constitutionnel, se fondant sur le respect de la vie privée. L'arrêt Roe vs Wade autorisait les avortements tant que le foetus n'est pas viable - soit entre 24 et 28 semaines de grossesse.

En 1992, la Cour avait également, dans un arrêt intitulé "Planned Parenthood of Southeastern Pennsylvania vs Casey", réaffirmé le droit à l'avortement et prohibé des lois imposant des obstacles pour accéder à l'IVG. La décision intervenue vendredi signifie que chaque État est désormais libre d'autoriser ou non l'avortement.

Dans la foulée, le Missouri a annoncé qu'il interdisait l'IVG. Vingt-cinq autres États pourraient suivre. Une dizaine d'États libéraux autorisent au contraire le droit à l'avortement.

Dans son allocution télévisée, Joe Biden a déploré une "erreur dramatique" de la Cour suprême et appelé les Américains à élire des représentants et sénateurs démocrates aux élections de mi-mandat en novembre dans le but de rétablir le droit à l'IVG au niveau fédéral.

"Le Congrès doit agir (...). La lutte n'est pas terminée", a dit le chef de la Maison-Blanche. "Les électeurs doivent faire entendre leurs voix. Cet automne, ils doivent élire davantage de sénateurs et de représentants qui codifieront le droit des femmes à choisir"

Des conséquences "néfastes" sur l'économie américaine

Un retour sur le droit à l'avortement aux États-Unis aura des conséquences "très néfastes sur l'économie", empêchant des femmes de continuer leurs études et gagner correctement leur vie, augmentant leurs chances de tomber dans la pauvreté, avait pourtant averti début mai la secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen.

"Je crois que retirer le droit des femmes à décider quand, et si, elles veulent avoir des enfants, aurait des effets très néfastes sur l'économie et ferait régresser (la condition des) femmes de plusieurs décennies", avait déclaré la ministre de l'Économie et des Finances de Joe Biden, lors d'une audition au Sénat.

Elle notait que "refuser aux femmes l'accès à l'avortement augmente leurs chances de vivre dans la pauvreté ou d'avoir besoin de l'aide publique".

"L'élimination d'un droit qui existe depuis un demi-siècle, en particulier pour les femmes à faible revenu et appartenant à des minorités, qui ont déjà subi une grande partie du fardeau de la pandémie de Covid, serait un désastre", avait-elle averti.

La décision Roe vs Wade "a contribué à accroître la participation au marché du travail pour de jeunes femmes", avait rappelé Janet Yellen.

Cela "a permis à de nombreuses femmes de terminer leurs études, ce qui augmente leurs possibilités de gagner de l'argent. Il a permis aux femmes de planifier et d'équilibrer leur famille. Et les carrières".

Par ailleurs, avait ajouté la ministre, "la recherche montre également qu'elle a un impact favorable sur le bien-être (...) des enfants".

"Absolument erroné"

Début mai, le projet de décision revenant sur l'arrêt Roe vs Wade, rédigé par le juge conservateur Samuel Alito, avait fuité dans la presse, provoquant de vives réactions politiques et des manifestations.

La décision votée vendredi ne diffère guère de la version originale.

"La Constitution ne fait aucune mention de l'avortement, et aucun droit de la sorte n'est implicitement protégé par une quelconque disposition constitutionnelle", a écrit Samuel Alito.

"Roe était absolument erroné depuis le début. Son raisonnement était exceptionnellement faible et la décision a eu des conséquences dommageables. Et loin d'installer un consensus national sur la question de l'avortement, Roe et Casey ont enflammé le débat et approfondi les divisions", a-t-il ajouté.

L'un des juges conservateurs de la Cour, Brett Kavanaugh a semblé cependant rejeter l'idée, défendue par les militants anti-IVG, d'une inscription dans la Constitution d'une interdiction de l'avortement sur tout le territoire des États-Unis.

"La Constitution ne proscrit ni ne légalise l'avortement", a écrit ce juge qui pourrait jouer un rôle pivot dans de futures décisions de la Cour concernant l'IVG.

Brett Kavanaugh a ajouté que la décision rendue vendredi ne permettait pas aux États d'empêcher leurs résidentes de se rendre dans un autre État pour avorter ni de punir rétroactivement des IVG.

Dans leur opinion dissidente également rendue publique, les trois juges progressistes de la Cour - Stephen Breyer, Sonia Sotomayor et Elena Kagan - ont estimé que, "quelle que soit la portée exacte des lois à venir, un résultat de la décision d'aujourd'hui est certain : la limitation des droits des femmes, et de leur statut de citoyennes libres et égales".

En conséquence de cette décision, ont-ils souligné, "dès le premier instant de la fécondation, une femme n'a aucun droit à la parole".

Une "décision terrifiante"

L'ancien président républicain Donald Trump, qui avait promis pendant sa campagne de 2016 de nommer une majorité de juges favorables à l'annulation de l'arrêt Roe vs Wade, a salué une décision "redonnant les droits aux États, là où ils auraient toujours dû rester".

Au Vatican, l'Académie pontificale pour la vie s'est également félicitée de la décision de la Cour. "Le fait qu'un grand pays à la longue tradition démocratique ait changé de position sur cette question interpelle le monde entier", a-t-elle dit.

La présidente démocrate de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, a estimé que "la Cour suprême sous contrôle républicain" avait atteint son "objectif sombre et extrême d'arracher le droit des femmes à prendre elles-mêmes des décisions sur la santé reproductive".

L'ancien président Barack Obama a déclaré que la décision "intensément personnelle" d'avorter était désormais soumise "aux caprices des politiciens et des idéologues, attaquant les libertés fondamentales de millions d'Américaines".

À l'étranger, le président français Emmanuel Macron a déclaré que l'avortement, "droit fondamental", devait être "protégé" et exprimé sa solidarité avec les femmes américaines. Le Premier ministre canadien Justin Trudeau a déploré une décision "terrifiante" et son homologue britannique Boris Johnson a regretté "un grand pas en arrière".

Le directeur général de l'Organisation mondiale de la santé, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a exprimé sa déception. "Les droits des femmes doivent être respectés, j'aurais attendu de l'Amérique qu'elle protège de tels droits", a-t-il dit.

(avec l'AFP et Reuters)