Taxe sur les multinationales : pourquoi ça coince

Les 139 pays du cadre inclusif de l'OCDE doivent se réunir ce vendredi pour finaliser les détails techniques de la réforme fiscale des multinationales. Malgré les ambitions affichées par les politiques lors des sommets internationaux, de nombreux points d'achoppement sur l'assiette fiscale notamment pourraient compromettre la finalisation de cet accord planétaire majeur.
Grégoire Normand
Cent quarante pays doivent se retrouver vendredi dans le cadre de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), basée à Paris, pour finaliser cette réforme ambitieuse visant à taxer davantage les entreprises multinationales, afin que l'accord puisse ensuite être avalisé par le G20 dans le courant du mois.
Cent quarante pays doivent se retrouver vendredi dans le cadre de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), basée à Paris, pour finaliser cette réforme ambitieuse visant à taxer davantage les entreprises multinationales, afin que l'accord puisse ensuite être avalisé par le G20 dans le courant du mois. (Crédits : Charles Platiau)

La dernière ligne droite des négociations va-t-elle déboucher sur un consensus ? Après les annonces très politiques du G7 en juin et du G20 en juillet, les 139 Etats membres du cadre inclusif à l'OCDE se réunissent ce vendredi au siège de l'institution internationale à Paris pour tenter d'entériner les derniers paramètres techniques de cette réforme fiscale d'ampleur. "Nous sommes à un moment critique des négociations internationales sur la fiscalité. C'est dans les quinze jours qui viennent que se joue la possibilité d'avoir un accord international", a expliqué le ministre de l'Economie Bruno Le Maire lors d'une récente réunion avec des journalistes. "Un accord définitif sur la fiscalité internationale est à portée de main. Cet accord répond à deux enjeux stratégiques. Le premier objectif est de taxer les multinationales du numérique à leur juste valeur. Le deuxième est d'harmoniser la fiscalité des multinationales. C'est une révolution fiscale qui est en jeu. Elle peut mettre fin à trois décennies de concurrence fiscale et de délocalisations", a ajouté le ministre français des Finances. Dans le même temps, le locataire de Bercy n'a pas caché son agacement. "Dans une négociation sur la fiscalité, il y a d'abord les grands piliers. Tant que les paramètres techniques ne sont pas réglés, il ne peut y avoir d'accord".

Sur la scène internationale, l'arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche en janvier a relancé le cycle de discussions au point mort pendant la présidence de Donald Trump. Les révélations fracassantes des Pandora Papers et la pandémie mondiale ont remis au centre des débats le rôle des Etats et des multinationales dans la compétition fiscale internationale. Même si la possibilité d'aboutir à un accord n'a jamais été aussi proche, de nombreux obstacles d'ordre technique refont surface à quelques jours d'un nouveau sommet crucial du G20 prévu à la fin du mois d'octobre en Italie. Au total, 134 pays sur 139 soutiennent cet accord. Pour Vincent Vicard économiste au CEPII et auteur d'un chapitre sur le dumping fiscal dans l'ouvrage "L'économie mondiale en 2022" (éditions La Découverte), "les annonces du G7, du G20 et de l'OCDE cet été représentent une avancée, notamment sur la taxation à 15%. L'autre avancée est la mise en oeuvre d'un taux effectif. En revanche, il faudra être attentif notamment sur l'assiette fiscale", prévient-il.

La réallocation des surprofits au centre des tractations

Pour rappel, cette réforme fiscale au parcours tumultueux repose sur deux piliers. Ces deux piliers font actuellement l'objet de quelques points d'achoppement. Le pilier 1 de la réforme vise à répartir équitablement entre les pays les droits à taxer les profits des multinationales. L'impôt ne sera donc plus dû uniquement là où leurs sièges sociaux sont installés mais sur les profits également réalisés à l'étranger. "Sur le pilier 1 de la taxation des multinationales, le point de blocage est sur la réallocation des surprofits. Beaucoup de pays en développement comme la Turquie veulent une part importante de l'ordre de 30%. Les Etats-Unis, où sont les sièges des entreprises du numérique, plaident pour un taux de 15%. Nous plaidons avec l'Allemagne pour un taux de compromis à 25%", a indiqué le ministre français. L'un des objectifs du pilier 1 est de réallouer ces surprofits dans les Etats où ces multinationales enregistrent du chiffre d'affaires et pas seulement en fonction de l'Etat d'implantation du siège. Le rapport de force entre les émergents et les pays d'implantation des sièges est loin d'être récent. En effet, certains Etats rappellent régulièrement que les géants du numérique par le biais notamment des réseaux sociaux comme Facebook profitent des données personnelles de leur population.

Un consensus sur le taux  à 15%, le risque d'une assiette fiscale à trous

Sur le pilier 2, la question du taux à 15% largement débattue en début d'année semble faire désormais partie des acquis. Il faut dire que les Etats-Unis de Joe Biden sous la pression des mastodontes de la Tech avaient fortement révisé à la baisse leurs ambitions. La secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen, avait annoncé au printemps que l'administration proposait un taux à 15% contre 21% initialement. Ce taux à 15% avait fait débat au sein des économistes. Thomas Piketty avait rappelé qu'en appliquant ce niveau d'imposition, cela favoriserait les grands groupes qui ont toujours les moyens de délocaliser leurs profits via des filiales au détriment des PME et des indépendants qui se retrouvent à payer des taux nettement supérieurs à 15% dans la plupart des pays développés.

Concernant l'assiette fiscale, le sujet reste largement débattu. Le risque est d'obtenir un accord avec un grand nombre d'exemptions ou de régime dérogatoire. "Sur le pilier deux, les blocages sont principalement sur les modèles économiques. C'est pour cela que les négociations sont difficiles" indique Bruno Le Maire. Certains Etats récalcitrants comme la Pologne par exemple mettent en avant leur modèle de développement. Si certaines économies servent surtout de lieu d'implantation sans réelle activité en raison de régimes fiscaux particulièrement attractifs, d'autres pays font valoir des activités réelles avec des emplois derrière. "Pour beaucoup d'Etats, le niveau de fiscalité reste un outil majeur d'attractivité pour implanter des activités comme la Pologne. Ces Etats assurent que derrière ces implantations de filiales, il y a une réelle activité. Ces pays demandent une défalcation (une déduction) sur la masse salariale ou les actifs corporels" assure une source proche des négociations. Dans un entretien accordé à La Tribune, le directeur du centre de politique fiscale à l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui est au cœur de ces négociations depuis des années, Pascal Saint-Amans rappelait que "suite au soviétisme, ces pays ont conservé une tradition d'avoir des exonérations fiscales pour attirer des usines ou des activités physiques. Ces Etats ne veulent pas perdre ces exonérations. La mise en place d'un impôt minimum mondial met en principe fin à cela. Des concessions ont néanmoins été faites pour prendre en compte leurs intérêts".

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Le point technique du "carve-out" ( le"détourage",c'est-à-dire la cession par une société ou un groupe de sociétés d'une branche d'activité") est particulièrement central. "L'enjeu actuel est le détourage des activités dans certains secteurs ou certaines régions de pays. La négociation s'est déplacée du taux vers le carve-out. L'objectif est de faire les mêmes règles pour tous les pays. Le diable est dans les détails" rappelle Bruno Le Maire. Dans une note les chercheurs de l'observatoire européen de la fiscalité dirigé par l'économiste Gabriel Zucman en pointe sur ces sujets rappelaient que "au-delà même de la réduction significative des recettes fiscales qu'ils engendrent, les « substance-based carve-outs » risquent d'inciter les multinationales à localiser leurs employés et leurs actifs, bref leur activité économique réelle, dans des juridictions à la fiscalité arrangeante. Ils peuvent donner lieu à une nouvelle forme de concurrence entre États dans laquelle les entreprises qui bénéficient de traitements fiscaux avantageux sont protégés de l'impôt minimal mondial par leurs investissements".

L'Irlande fait un pas, la pression internationale s'accroît

Parmi les autres points de dissension, l'Irlande est restée pendant longtemps farouchement opposée à cet accord sur les multinationales. En effet, le modèle économique de l'Irlande repose en grande partie sur un taux d'imposition sur les sociétés très bas relativement aux autres pays européens. Beaucoup de grandes firmes internationales avaient choisi d'implanter leur siège européen dans cet Etat. Il semble que Dublin ait fait un pas en faveur de l'accord. Le Premier ministre irlandais Micheal Martin a dit au quotidien Irish Times qu'il y avait eu "des progrès importants" dans les discussions avec l'OCDE pour parvenir à une ébauche d'accord avant le sommet de vendredi.

De son côté, Bruno Le Maire s'est montré relativement confiant à l'égard de son homologue irlandais Pascal Donohe lors de l'échange avec des journalistes. Une source proche des négociations a révélé à l'agence de presse Reuters une nouvelle version du texte en discussion n'évoque plus un taux mondial d'impôt sur les sociétés "d'au moins 15%", mais "de 15%" qui serait une demande de l'Irlande. "La réforme vise clairement les paradis fiscaux et l'Irlande est dans le viseur", rappelle Vincent Vicard interrogé par La Tribune. Du point de vue de Dublin, il y a une pression internationale. Cette pression accroît le risque que l'Irlande se retrouve isolée" poursuit-il. La dernière ligne droite promet encore quelques batailles.

Grégoire Normand
Commentaires 10
à écrit le 09/10/2021 à 9:14
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Au fait, elles sont où les GAFAM européenne, constat d'une édifiant échec..

à écrit le 08/10/2021 à 20:50
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Toute taxe se répercute sur le consomateur et ,toujours les même qui paie

à écrit le 08/10/2021 à 18:43
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En 2008 les politiciens nous ont annoncés en coeur après que les citoyens ont eu renfloué les ultra riches suite au crach des subprimes : " Les paradis fiscaux c'est fini ! "

à écrit le 08/10/2021 à 13:27
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Espérons que cette idée aussi stupide que ceux qui l'ont eu s'arrête nette. Taxer les multinationales c'est encore taxer le travail, ce qu'il faut est que les riches payent un véritable impôts, qu'une entreprise soit riche tant mieux pour sas salarié...

à écrit le 08/10/2021 à 9:25
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On ne va pas nous servir des impossibilités techniques ou financière pour échapper à cette imposition sinon elle seront tôt ou tard démantelées.

à écrit le 08/10/2021 à 8:31
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Il est grand temp de démanteler ces multiples nationales gafam qui appauvrissent les états… soit ils comprennent soit on se tourne vers leurs challengers chinois !!

à écrit le 08/10/2021 à 7:45
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Une multinationale a besoin d'un "terrain" homogène pour écouler sa production et d'un hétérogène pour écouler ses bénéfices!

le 08/10/2021 à 20:56
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Mais vous parlez de l'UE de Bruxelles, ce n'est pas tolérable pour les peuples... ils ont leur mot a dire!

le 08/10/2021 à 20:57
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Mais vous parlez de l'UE de Bruxelles, ce n'est pas tolérable pour les peuples... ils ont leur mot a dire!

à écrit le 08/10/2021 à 7:44
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Une multinationale a besoin d'un "terrain" homogène pour écouler sa production et d'une hétérogène pour écouler ses bénéfices!

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